Prix Nobel /Décoration
LITTERATURE, le ministre de la Culture, PHILIPPE DOUSTE-BLAZY a remis les insignes des Arts et Lettres (?) au prix Nobel de Litterature, l'Irlandais
SEAMUS HEANEY .
Nocturne
Dois-tu le vivre à nouveau ?
Martèlement sourd dans le foin,
Hennissement inquiet.
Lèvre d'éponge relevée au-dessus de chaque dent.
Hanche opalescente,
Muscle et sabot.
A l'étroit sous le toit.
Dans un sens, l'efficacité de la poésie est nulle. Aucun poète lyrique n'a jamais arrêté un tank. Mais dans un autre sens elle est illimitée."
Prix Nobel de littérature 1995
Décédé le 30 août 2013
Dresse le bâton de pluie : survient alors
Pour ton oreille une musique
Insoupçonnée. Dans la tige de cactus
Averse, écluse ouverte, remous et cascades
Se déversent. Tu deviens cette flûte
Où soufflerait de l'eau, tu l'agites encore
Et c'est le diapason d'un diminuendo,
Un filet d'eau mourant dans la rigole. Et voici
Le goutte-à-goutte des feuilles rafraîchies,
La petite pluie de l'herbe et des pâquerettes,
Et le scintillement du crachin, presque une haleine.
Redresse le bâton. Ce qui survient alors
N'est pas moins fort d'être advenu une fois,
Deux fois, dix mille fois déjà.
Qu'importe si la musique qui transperce le bois
Est glissement de sable ou graines dans le cactus ?
Tu es pareil au riche qui entre au paradis
Par l'oreille d'une goutte de pluie. Ecoute encore.
Je viens de marais aux fermes efflanquées,
Vieilles terres rapiécées que les pile ou face
De l'histoire ont laissé emmêlées.
Post-scriptum
Prends un beau jour le temps d'aller à l'ouest
Jusqu'au comté de Clare, le long du Flaggy Shore,
En septembre, en octobre, quand le vent
E la lumière se définissent l'un l'autre
Si bien que l'océan d'un côté se déchaîne
Sous l'écume scintillante et qu'à l'intérieur des terres
Parmi les pierres la surface du lac d'ardoise s'éclaire
De la foudre atterrée d'un troupeau de cygnes,
Plumes rêches hérissées, blanc sur blanc,
Têtes amplement déployées, obstinées,
Enfouies ou dressées, s'affairant sous l'eau.
Il est vain de penser te garer pour saisir cela
Plus pleinement. Ni d'ici, de de là-bas, tu es
Une hâte par où passent l'étrange et le connu
Quand de douces rafales agitent la voiture,
Prennent le coeur à l'improviste, le font éclater.
L'existence de Dieu prouvée par la musique?
L'hypothèse vaut tant qu'elle admet
Ce qui est sans mesure.
Que l'oreille soit alors une fenêtre de ferme
Dans la lumière placide où les extravagantes
Ont fait voile jadis vers leurs désirs.
Fait étrange …
Fait étrange : une fois perçu, ce qui s’annonce au loin
Se transforme en présage ;
Et ce qui advient n’est manifeste
Qu’à la lumière de ce qu’on a vécu.
Le septième ciel, peut être :
Toute la vérité d’un sixième sens disparu.
N’importe : le jour où la lumière se brisera sur moi
Comme naguère sur la route après Coleraine
Où le vent s’est fait plus salé, le ciel plus prompt,
Où un lamé d’argent a frémi sur la Bann
Au milieu du canal, entre les poteaux peints,
J’habiterai ce qui m’échappe.
Le brouillard est ici un présage redouté mais l'éclair
épelle la bonté universelle et durant les orages
les parents suspendent aux arbres leurs enfants emmaillotés.
Bonne nuit
Le loquet se soulève, un îlot de lumière
S’étend dans la cour. Voûtant le dos sous la porte basse,
Dans ce couloir doré ils passent
Puis s’évanouissent dans l’obscurité.
Flaque d’eau, pavés ronds, chambranle et seuil
Restent figés dans ce bloc de lumière
Jusqu’à ce qu’à grands pas, au-delà de son ombre
Elle rentre, et que tout redevienne noir.
/Traduit de l’anglais par Florence Lafon
Menthe
Bouquet de petites orties poussiéreuses,
Herbes folles au flanc de la maison,
Elle poussait derrière les déchets et les bouteilles vides,
Jamais verdoyante, presque invisible.
Disons-le : elle était aussi une promesse,
Une fraîcheur dans l'arrière-cour de notre vie,
Quelque chose d'inachevé mais de tenace
Qui flânait parmi les allées vertes.
Petits coups de ciseaux, lumière du dimanche
Matin où l'on coupait la menthe avec amour :
Restera cela même qui m'échappe aujourd'hui,
Donnez leur liberté aux choses qui survivent.
Que les odeurs de menthe se fassent capiteuses, démunies,
Prisonnières qu'on libère de cette cour,
Victimes de notre indifférence que nous condamnons
Pour les avoir trahies par notre indifférence.