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Critiques de Seamus Heaney (13)
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La lucarne - L'étrange et le connu

Auteur irlandais nobélisé en 1995, Seamus Heaney serait l'un des poètes contemporains anglophone les plus appréciés et les plus connus... Pour ma part, je l'ai découvert grâce au challenge Nobel.



En tant qu'Irlandais, il avait tout pour me plaire, gardant une très bon souvenir de lecture de l'un de ses acolytes - auquel il a d'ailleurs dédié L'étrange et le connu - Derek Mahon.

Malheureusement, je n'ai pas accroché à la poésie de Seamus Heaney, disons que ses poèmes ne m'ont pas touchée. L'une des raisons est qu'il use et abuse de références à la mythologie gréco-romaine, ce qui a tendance à m'ennuyer prodigieusement en poésie (tout en aimant la mythologie). L'autre raison, ce sont ces références à un passé, un milieu, des vies que je ne suis pas parvenue à me représenter. Il y a là quelque chose de peut-être profondément anglo-saxon que nous ne pouvons saisir, des références culturelles implicites, je ne sais pas, car l'écriture ne m'a pas semblé hermétique en soi et pourtant... elle ne m'évoque pas grand chose au final.

Lire les deux recueils m'a pris un certain temps, avec à chaque fois l'espoir que quelque chose s'éveille en moi, et quelques poèmes m'ont quand même plu plus que d'autres: j'ai préféré le deuxième recueil. Pour le reste, j'ai tenté de gratter un peu pour y trouver le vent sauvage de l'Irlande et ses côtes de bruyère, le souffle salé des vagues grises, mais on reste à l'intérieur des terres et c'est le calme plat!





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La lanterne de l'aubépine

Le genre de chose que je ne manie qu'avec précaution: l'éditeur présente Seamus Heaney (ça ne se prononce pas Simusse mais Cheïmeuss (sic), c'est la même racine que "James") comme le poète de l'Ulster. J'ai des réflexes un peu datés sans doute, mais pour moi il n'y a pas d'Ulster, mais une Irlande qu'on appelle Irlande et pas Eire (sauf si vous parlez gaélique d'Irlande) et je me souviens encore de m'être fait ruer dans les brancards pour avoir parlé de "Londonderry" comme c'était marqué dans mon encyclopédie française.

Pour Heaney, il me fait un peu penser à John Millington Synge, pour manier les mythes avec adresse. Pour ce recueil, je n'insisterai guère là-dessus : le propos se fait politique, les drames personnels comme la mort de sa mère, deviennent universels (le terme « clearances » renvoie à des déplacements de population, en particulier aux Highlands). Ne pas oublier qu'avant le Nobel et tout ça, Heaney était controversé et certains l'accusaient d'apologie de la violence. Dans ce recueil, il chante tout de même les balles traçantes. Dans un contexte d'unanimité et de commémoration post-mortem, dans une actualité islamiste, on aurait tendance à oublier que Seamus Heaney n'était pas tiède (il a toujours refusé de figurer dans des anthologies de poésie anglaise) et les « troubles » en Irlande non plus. Un livre à lire au whiskey.
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L'étrange et le connu : Edition bilingue fran..

Les hasards de mes lectures font qu'au moment de la proclamation du prix Nobel de littérature, attribué à une poétesse américaine même pas traduite en français ailleurs que dans des revue, je viens de finir le recueil de poèmes d'un autre lauréat du même prix, qui même si partiellement traduit maintenant, n'a pas pour autant connu la célébrité ailleurs que dans son pays d'origine, l'Irlande. La poésie est certes difficile à traduire, mais j'ai surtout la sensation que pas grand monde n'en lit, quelle que soit la langue dans laquelle elle a été composée.



Seamus Heaney est donc Irlandais, et visiblement très enraciné dans sa terre et son histoire au combien compliquée. C'est une œuvre qui visiblement place l'individu dans une perspective, dans la succession des générations. L'auteur évoque ainsi dans un des poèmes l'homme de Tollund, un cadavre momifié qui daterait du IVe siècle d'avant notre ère ou un sarcophage étrusque conservé au Louvre. C'est que la mort est très importante dans ces textes. Pas forcément effrayante ni terrible, elle est là comme une évidence, et d'une certaine manière, elle n'est pas définitive : l'homme s'inscrit dans une succession, et le passé existe toujours d'une certaine manière pour la génération présentement en vie, comme elle survivra, laissera trace dans celles qui vont suivre.



Il y a une forme de spiritualité qui existe dans les gestes du quotidien, se relier au passé, mais aussi au monde dans son aspect charnel permet à l'homme d'accéder à une forme de transcendance, à gagner sa part d'immortalité. L'essentiel est le geste juste, une forme d'harmonie. Ce qui n'exclut pas la violence, qui rôde, les tourments du monde, la lutte, les souffrances.



C'est une poésie très complexe, très cérébrale, même si elle a son rythme, son souffle. A lire et relire à petites doses pour en saisir un peu l'essence.
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La lucarne - L'étrange et le connu

Ambitionner de lire au moins une fois tous les Nobel amène fatalement à la poésie, ce qui n'est pas le moindre des intérêts de ce chemin de découverte.

Après Yeats, voici donc un autre poète irlandais qui s'inscrit dans ses pas - selon une trajectoire qui, je l'avoue, me reste plutôt obscure.



On parle de l'oeil du poète, mais c'est ici aussi la main, le nez, tous les capteurs de perceptions qui sont mobilisés dans ces vers parfois très classiques, parfois d'une liberté étonnante face aux standard poétiques, mais où très souvent ce sont les objets ou les plus matériels des éléments qui ouvrent à l'auteur des portes de lecture et d'appréhension du monde d'une vastitude, d'une profondeur ou d'une clarté qui, si elles m'ont souvent laissée bien démunie, me donnent envie de lire encore et encore des vers pour espérer parvenir à entrevoir ces mondes derrière le monde dont parlent les poètes.
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La lanterne de l'aubépine

Accrochez-vous, il le mérite.

Le titre bucolique et l'origine de l'auteur me laissaient espérer une poésie pleine de belles images gaéliques à la Yeats.

Alors non, Heaney est d'une autre école et d'une autre génération : des avions passent dans le ciel irlandais, le bruit de l'imprimante couvre ici le son de la musique celtique.

Pourtant c'est très, très irlandais. Mais Heaney est aussi le poète d'un autre territoire : il vient d'Ulster, d'une famille catholique discriminée pour sa religion.

"Un pavé lancé il y a un siècle

Continue de me parvenir, première pierre

Jetée au front d'une arrière-grand-mère renégate."

Ses poèmes parlent donc d'une autre Histoire.

J'ai été déroutée, au début. J'ai besoin de comprendre ce que je lis, et au moins d'apprécier la musique des vers, et ce n'était pas le cas : les premiers poèmes m'étaient bien trop obscurs (encore que la préface et les notes du traducteur Gérard Cartier soient éclairantes).

Et puis je suis arrivée aux sonnets dédiés à sa mère. Et à partir de là, le charme a opéré : j'ai vu briller les robinets de cuivre, entendu tomber les pommes de terre épluchées dans le baquet d'eau claire, j'ai secoué et tiré moi aussi les draps de lin "d'abord sur l'ourlet puis en diagonale", senti aussi le vide de l'absence. "Sa force et sa paix deviennent un lumineux néant."

J'ai regretté la mort de L'Arbre aux souhaits, j'ai senti la boue "quand la paume cachée de l'eau trouva ma paume", j'ai passé mes doigts sur une gravure de déesse romaine et salué "ceux qui gardent la langue du pays".

Donc ne vous découragez pas aux premiers poèmes.

Accrochez-vous.

Il le mérite.



Challenge Nobel

Challenge Poévie
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La lucarne - L'étrange et le connu

C'est la première oeuvre que je lis de ce poète irlandais, prix Nobel de littérature en 1995. Dans ce recueil, Seamus Heaney investit ses cinq sens afin de nous révéler sa vision du monde. Il exprime le temps étale avec beaucoup de verbes et le temps dynamique avec des séries de mots. Il alterne textes lyriques parfois métaphysiques et poèmes de mœurs. Ce sont ces derniers que j'ai eu plus de mal à appréhender. Dans l'ensemble, j'ai aimé.
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Beowulf

Le grand poète irlandais d'Ulster Seamus Heaney propose une traduction du Beowulf qui nous conduira au plus près du souffle épique et de la respiration scandée, allitérative, du texte anglo-saxon original. Il le recrée et nous le rend sensible, autant que la barrière des siècles et des langues le permet. Il faudra lire, si cette édition la fait figurer, la préface, où il fait entrer le lecteur dans son laboratoire de traducteur et de poète.
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Beowulf

Beowulf est un poème épique scandinave (écrit avant l'an 1000) dans lequel le héros, Beowulf, vient sauver les Danois de deux monstres terrifiants Grendel et sa mère.



Seamus Heaney, poète irlandais, prix Nobel de Littérature 1995 a traduit ce poème et nous le rend accessible en anglais contemporain.



Hrothgar règne sur les Danois mais son domaine, Heorot Hall, est menacé par un monstre, Grendel, "fils de Caïn". Celui-ci opère la nuit et vient détruire Heorot et ceux qui y résident.



Arrive Beowulf qui offre ses services. Il combat Grendel sans arme et le tue. Une grande réjouissance s'ensuit. Mais la mère du monstre vient se venger et dans les nombreuses victimes, il y a l'ami et le plus proche conseiller de Hrothgar.



Beowulf part combattre ce deuxième monstre qui vit sous un lac. Beowulf s'équipe et combat sous l'eau mais ses armes ne servent à rien. Il s'empare alors d'une épée de géant et tue la mère de Grendel.



Récompensé et acclamé, Beowulf repart chez lui et règnera sur son territoire jusqu'au jour où un dragon mis en fureur s'attaque au pays. Ce sera le dernier combat du héros.



Je donne 5 étoiles à ce grand classique qui m'a totalement conquise.

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Ausgewhlte Gedichte, 1965-1975 =: Selected ..

Je ne savais pratiquement rien de Seamus Heaney avant de lire les deux recueils publiés par Gallimard, intitulés La lucarne et L'étrange et le connu.

Je ne savais pratiquement rien de ce grand poète et voici que, lisant l'entretien accordé par Michel Déon à L'Atelier du roman paru en septembre, je note ces lignes (pp. 32-3) : «Je suis heureux que vous me parliez de Seamus Heaney. Je l'aime beaucoup. L'homme est absolument exquis. [...] Et puis c'est un grand poète, un poète naturel, complexe parfois, mais sans que cela en ait l'air. Jamais il ne force son talent, un peu comme T. S. Eliot à qui il me fait penser. Rien à voir avec le pauvre Char et la plupart des poètes français contemporains». Ce qui m'a surpris, je crois, dans les poèmes de cet Irlandais, est effectivement l'étonnant mélange entre simplicité, je pourrais dire rusticité et rutilance, irruption inopinée du nouveau, et, parfois, éclair de la grâce, comme s'il s'agissait coûte que coûte, en explorant le passé (par exemple celui que symbolise la découverte de corps humains de l'âge de fer remarquablement bien conservés par les tourbières du Jutland au Danemark, dont Heaney fera un poème intitulé The Tollund Man, L'Homme de Tollund), en retrouvant quelque peu de sa force mais aussi de l'horreur de ses cérémonies sacrificielles dont la science valide l'existence, d'innerver un présent qui, du moins en Irlande du Nord, ne semble jamais très éloigné, comme affleurant à la surface du sol, ou bien visible par une lucarne que les vieux bardes ont connue.
Lien : http://stalker.hautetfort.co..
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Aeneid, tome 6

Le hasard fait quelquefois bien les choses. En train de rédiger une note sur Seamus Heaney, juste avant de prendre l’avion pour Toronto, j’ai appris qu’une nouvelle traduction du livre 6 de l’Enéide de Virgile, soit «Aeneid Book VI » par Seamus Heaney venait juste de sortir (16, Farrar, Straus and Giroux. 112 p.). Je me suis donc précipité pour lire cette nouvelle version. Cela tombe assez bien car cette traduction, qui date déjà de quelque temps avant la mort du poète, sort un peu après celle, très belle, de Paul Veyne en français (12, Albin Michel, 480 p.) mais qui comporte les 12 chants, donc le texte complet et en prose.

Le livre VI est celui de la descente d’Enée aux Enfers. Enée arrive à Cumes et rencontre la Sibylle qui va lui confirmer les prophéties faites à Anchise. Avec elle, ils parcourent les différentes régions des Enfers. Il y a tout d’abord le Vestibule lugubre ou pousse l'arbre des Songes mensongers et où Enée retrouve son ancien pilote Palimure. Vient Le passage du Styx se fait après discussions avec Charon et Cerbère. Les premières rencontres sont celles des morts prématurées, dont Didon, puis avec les guerriers dont Déiphobe auquel Enée raconte la chute de Troie. Ensuite ils arrivent devant le Tartare, où croupissent les coupables. Au bord du Léthé, dans les Champs Élysées, ils retrouvent enfin Anchise qui montre à Énée ses futurs descendants : les rois d’Albe, Romulus (le fondateur de Rome), ses successeurs, Brutus l’Ancien, Pompée, Jules César et enfin Auguste, appelé à mettre en place un Empire puissant et en paix. Énée remonte alors la surface de la Terre et fait mettre les voiles en direction du Latium. Voilà pour l’histoire et le déroulement du voyage.

Le texte de Virgile est connu, du moins dans ses grandes lignes. C’est la descente aux Enfers. On peut le rapprocher du chant XI de l’Odyssée dans lequel Ulysse voyage au pays des Morts.

L’Enéide fait une première apparition dans l’œuvre de Seamus Heaney dans « Seeing Things » en 96. Puis la mort de son père et la naissance d’une petite fille, Anna Rose, en 07 retardent le projet. Après une attaque cardiaque, Seamus, qui vient d’avoir 71 ans et se sent vieillir, publie un ouvrage intitulé « Human Chain » (10, Faber & Faber, 96 p.) comme une sorte de poèmes autobiographiques, repris d’ailleurs dans « New Selected Poems 1988-2913 » (15, Faber & Faber, 240 p.). Il décrit des chaines humaines: chaines d’ouvriers, chaines de soins médicaux, chaines de vie telles que le mariage et la famille. En particulier, le poème « Route 110 » comporte 12 suites de 12 vers dans lesquels Seamus Heaney narre le trajet du bus qu’il prenait lorsque, étudiant, il rentrait chez lui entre Belfast et « Cookstown via Toome and Magherafelt». L’allusion à la mythique Route 66 qui va de Chicago et Santa Monica en Californie, traversant les Etats Unis d’est en ouest, est manifeste. Tout comme les 12 poèmes font penser aux 12 chants de l’Enéide. Le voyage commence d’ailleurs dans une boutique de livres d’occasion dont la tenancière fait penser à un kangourou avec « the slack marsupial vent/ Of her change-pocket » (la poche de marsupial/ de sa réserve de monnaie). Le jeune homme lui achète un livre « Aeneid, Book VI » qu’elle lui emballe « Into a deckle-edged brown paper bag» (dans un pochon en papier kraft brun). Seamus traverse alors le vieux Belfast, parant la pression de la foule avec son livre « Parrying the crush with my bagged Virgil ». Il se compare alors aux ombres transportées par Charon « Like their owners’ shades close-packed on Charon’s barge». Puis dès que le conducteur s’ébroue « Once the driver wound a little handle [indiquant la destination du bus] everything/ Came to life» (tout prenait vie). «The inspector/ Who ruled the roost, separated and directed » (le contrôleur / qui réglait l’étage séparait et dirigeait).

Puis on a le contraste entre leur tenues en hiver « The standard-issue railway guard’s long coat » (la tenue standard et long manteaux des employés de chemin de fer) « coal-black, sharp-cuffed as slate » (noires comme le charbon, coupes strictes comme l’ardoise) et en été « a wedding guest’s bargain suit, grey/ As Venus’ doves » (un costume en soldes pour invités à un mariage, gris/ comme une colombe de Vénus). Des colombes de Vénus, « why not Mr Nicholl’s pigeons » (pourquoi pas les pigeons de Mr Nicholl) et d’un temple étrusque, Seamus saute aux maisons irlandaises avec « a votive jampot on the dresser shelf » (leur pot de confiture votif sur le plateau de la commode). Viennent ensuite les ombres « It was the age of ghosts» (c’était le moment des fantômes), temps troubles avec leur contingent de cérémonies dues aux morts « the corpse of their own dear ill-advised/ Sonbrother swimmer» (le corps de leur proche, mal conseillé /enfant ou frère nageur) quand ils passent l’estuaire de la Severn, comparée au Styx. Puis on en arrive aux allusions à Didon, « fadding into daytime, again it is her face/ At the dormer window » (s’affaiblissant à la lumière du jour, c’est encore son visage / à la fenêtre de la chambre à coucher). Le poème reprend ensuite deux des victimes des troubles de 70, « Mr Lavery » et « Louis O’Neill », puis poursuit avec le « Bloody Sunday [ou] Bogside Massacre » en 72 (où 26 civils furent tués). « And what in the end was there left to bury / Of Mr. Lavery... Or of Louis O’ Neill / In the wrong place / Thirteen who’d been shot in Derry ?» (Et que reste t’il à la fin pour enterrer /Mr Lavery ou Louis O’Neil / qui se trouvaient au mauvais endroit/ le treize qui ont été tués à Derry ?). Seamus Heaney termine, il est maintenant grand-père, par la présentation de la nouvelle née « as one/ Whose long wait on the shaded bank has ended» (comme celle / dont la longue attente sur la rive ombragée est terminée). Le poème est d’ailleurs dédié à Anne Rose, sa petite fille qui vient de naitre.

On a donc bien les douze chants, comme chez Virgile, qui décrivent successivement le voyage, les Enfers, la rencontre éphémère avec l’amour, les morts plus ou moins glorieuses, et finalement la mission de vie qui doit s’ensuivre.

Dans l’Enéide, le livre VI est celui où Enée et la sibylle descendent aux Enfers, et au terme de ce voyage, Enée retrouve son père Anchise qui lui prédit l’avenir de Rome.

Le tout est écrit selon 901 vers hexamétriques donc pouvant aller jusqu’à 17 syllabes dans le texte original. Seamus Heaney utilise des vers hendécasyllabiques, donc de 11 syllabes, conformes à la tradition post Shakespearienne, ce qui en fait un poème de 1222 vers. Il effectue également cette traduction (il en a fait d’autres) en mémoire, dit-il de son professeur de latin, le Frère Michael McGlinchey à St Columb’s College. En 57, il avait commencé la traduction du Chant XI, et le maitre consulté lui avait dit « Och, boys, I wish it were Book VI. » (Ecoute garçon, j’espère qu’il s’agit du chant VI). Il reconnait avoir changé d’avis après la mort de son père, en 86. « I gravitated towards that part of the poem and took special note of it after my father died, since the story it tells is that of Aeneas’ journey to meet the shade of his father Anchises in the land of the dead. » (Je m’approchais de cette partie du poème et en ai pris conscience à la mort de mon père, du fait que l’histoire qu’il raconte est celle du voyage d’Enée pour retrouver l’ombre de son père Anchise au royaume des morts). La raison que nous donne Seamus Heaney est donc bien la similitude entre son parcours et celui d’Enée pour retrouver l’ombre de son père Anchise au royaume des morts.

Parmi ses autre traductions ou adaptations, il y a « Antigone » de Sophocle, remanié dans « The Burial at Thebes » (05, Farrar Straus & Giroux, 79 p.) et plus tôt« Philoctetes » dans « The Cure at Troy » (91, Farrar, Straus and Giroux, 96 p.). La traduction luis plaisait car disait il « You get the high of finishing something you don’t have to start » (on a le plaisir de terminer ce que l’on n’a jamais commencé).

L’histoire éditoriale du manuscrit est assez complexe. Commencé, ou plutôt envisagée, il y a longtemps, en 57, le texte est finalement travaillé après la mort de son père en 87, et Seamus Heaney y travaillait encore lors de son décès en 13. Discussions entre la famille et l’éditeur, qui finalement accepte l’idée de la publication d’un texte déjà bien achevé. A signalé aussi que Virgile est mort avant d’avoir totalement achevé et retravaillé son Enéide (et d’avoir demandé que l’on brûle les textes en cours, ce qui ne fut pas fait).

Il reste à comparer, si cela est toutefois possible les lectures, et non les traductions de Paul Veyne et de Seamus Heaney. Tout d’abord, les vers de Seamus Heaney respectent une métrique qui n’est pas vraiment dans la prose de Paul Veyne. Certes, on gagne peut être en lisibilité, et on reste peut être plus fidèle au texte que des traductions en vers à versification française, avec rimes comme celle de Marie de Jars, Demoiselle de Gournay de 1641, ou de l’abbé Delisle de 1834. De plus la versification adoptée, héxamètrique, corsette le texte ce qui n’est pas le cas en latin, où la place des mots peut pallier à la longueur du vers. Ces traductions sont maintenant datées. Reste alors une traduction en vers libres. On trouve alors une traduction du style de celles de Jean Marie Nicolas de Guerle (1825), celle de Pierre Klossowski et Michel Foucault (15, Trente-trois Morceaux, 432 p.) ou de celle plus récente de Anne-Marie Boxus et de Jacques Poucet de l’Université de Louvain-la-Neuve et l’Université Saint-Louis à Bruxelles, respectivement (98-04). La traduction de Paul Veyne en prose permet de se passer de la structure du texte latin, et de ses traductions littérales que Paul Veyne qualifie de charabia. Cependant, la sortie de son ouvrage a été accueilli de façon assez surprenante, allant de « aventure passionnante », « fantaisie mythologique », « traduction trahie et ravivée ».

Je juxtapose ici trois traductions successives des mêmes passages traduits par Seamus Heaney et Paul Veyne, ainsi que de l’abbé Delisle pour comparaison. Tout d’abord l’arrivée sur les rives de Cumes. « Now a band of young hotbloods vaults quickly out / On to the shore of Italia, some after flint / For the seedling fire it hides in its veins, / Some crashing through woodland thickets, the haunts / Of wild beasts, pointing amazed at new rivers. ». «Une ardente jeunesse bondit vivement sur la rive de l’Hespérie. Ils vont chercher la semence du feu qui se dérobe dans les veines du silex, d’autres vont dépouiller la forêt, repaire opaque des bêtes sauvages, ou signalent les eaux courantes qu’ils ont rencontrées. ». « Soudain, avec transport, mille jeunes Troyens / Touchent d'un saut léger aux bords ausoniens. / Leurs soins sont partagés : du roc qui le recèle / L'un d'un feu pétillant fait jaillir l'étincelle. / L'autre parcourt des bois ou des fleuves nouveaux, / Va, d'un œil curieux, reconnaître les eaux. ». Puis la séquence du bûcher de Misène « On the beach the Trojans were mourning / Misenus as sorely as ever, paying / Their last respects to the inert ash. / With resinous pinewood and cut-off sections of oak/

They constructed first a huge pyre, dressing its flanks / With branches darkly in leaf, fencing the base / With funeral cypress, crowning all / With resplendent armour and weapons. ». « Pendant ce temps, sur le ravage, les Troyens n’en pleuraient pas moins Misène et rendaient les derniers devoirs à ses cendres insensibles. Pour commencer, ils ont édifiés un bûcher imposant, fait de torches résineuses et de rouvre en rondins, en ont tapissés les cotés de feuillages sombres, ont dressé par-devant des cyprès funèbres et, au dessus, l’ont décoré d’armes étincelantes ». « Tous pleurent sa vaillance et sa trompe fameuse./ Et le héros surtout, du sommet d'un rocher, / Veut porter jusqu'aux cieux son superbe bûcher./ De l'antique forêt déjà les chênes tombent; / Les sapins orgueilleux sous la hache succombent: / Ils déchirent leurs troncs, ils coupent leurs rameaux, / Et du sommet des monts font rouler des ormeaux ». On constate immédiatement l’espèce de grandiloquence du texte en vers de l’abbé Delisle, qui a excessivement vieilli. Par contre le texte de Seamus Heaney, qui colle assez bien au texte latin se révèle beaucoup plus poétique que celui de Paul Veyne.

Une fois cette question de forme mise de coté, il faut passer au fond et pour cela s’intéresser à l’adresse de la Sybille, maintenant uniquement dans les traductions de Seamus Heaney et de Paul Veyne. « It is easy to descend into Avernus / Death's dark door stands open day and night. / But to retrace your steps and get back to upper air, / That is the task, that is the undertaking ». « Facile est la descente à l’Averne: nuit et jour est ouverte la porte du noir Pluton. Mais revenir sur ses pas, sortir et parvenir à l’air d’en haut, c’est la grande affaire, c’est la vraie épreuve ». Puis Virgile continue. « Only a few have prevailed, sons of gods / Whom Jupiter favoured, or heroes exalted to glory / By their own worth. » « Ne l’ont pu que les rares homes qu’a aimés l’impartial Jupiter, ou les fils d’un dieu que leur ardeur vaillante a élevés jusques aux cieux. ». C’est en effet, la grande question du texte de Virgile, et c’est ce qui fait par exemple la différence du texte de Virgile avec celui de Dante ou même d’Homère. La Sybille indique alors la mission à Charon, ou ce pourquoi Enée doit traverser le Styx. « Down to death’s deepest regions, to see his father. / If the sight of such devotedness won’t move you, / You nevertheless must recognise this bough, / And she shows the bough concealed by her cloak. » « Le Troyen Enée, que sa piété et ses exploits ont rendus illustre, descend voir son père au fond de l’Erèbe et de l’Ombre. Si le spectacle d’une telle piété ne suffit pas à t’émouvoir (elle fit voir le rameau caché sous sa robe), veuille au moins reconnaître ce rameau. ». La version de Seamus Heaney est donc essentiellement centrée sur la mission d’aller voir Anchise, tandis que pour Paul Veyne, c’est plutôt le coté de la notoriété d’Enée qui est mise en avant, donc sa mission future de fondation de l’Empire Romain. Il faut rappeler que Seamus Heaney vient de perdre son père lorsqu’il traduit ce chant VI. La retrouvaille avec Anchise est également légèrement différente dans les deux textes. « In eager joy, his eyes filled up with tears / And he gave a cry: “At last! Are you here at last? / I always trusted that your sense of right / Would prevail and keep you going to the end. ». « Des larmes coulèrent de ses yeux et un cri sorti de sa bouche : Tu es enfin venu ! Elle a triomphé d’un dur voyage, la piété que ton père attendait de toi. ». C’est donc un texte plus centré sur la relation père-fils et une mission qui est délivrée à Enée que traduit la version de Seamus Heaney.

Très tôt, Seamus Heaney s’intéresse au monde souterrain. C’est le cas de « Digging » qui ouvre le recueil « Death of a Naturalist » (66, Faber & Faber, 64 p.) dans lequel il fait le parallèle entre son stylo et la charrue « Entre mon doigt et mon pouce
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La lucarne - L'étrange et le connu

La poésie de Seamus Heaney évoque aussi bien les choses du quotidien que la culture classique, mêlant notamment les références à Grèce antique à celles de l'Irlande.

Ainsi les saints irlandais croisent-ils les Morrigan de la mythologie, Heaney célébrant son pays tout en évoquant les périodes de guerre, mettant toujours en avant sa volonté personnelle de paix.

Pour les lecteurs curieux, je partage sur le blog quelques réflexions sur certains poèmes de La lucarne et sa section "Illuminations" (titre rimbaldien !).
Lien : https://thomasspok.blogspot...
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Poèmes: (1966-1984)

Ce recueil de poèmes faisaient partie du programme de littérature lorsque j'étais en fac d'anglais et je reconnais que c'est l'une des rares "lectures imposées" que j'ai eu plaisir à lire à l'époque.
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Beowulf

"Shield had fathered a famous son:

Beow’s name was known through the north." (18-19).

Shield avait créé un fils célèbre:

Le nom de Beow était connu dans tout le nord. (18-19).

Beowulf est l'une des œuvres fondatrices de la poésie anglaise, est un poème tératologique héroïque gnomique élégiaque situé en Scandinavie ancestrale, l’ancienne Scandia du V-VI siècle.

La trilogie de Beowulf se compose de la lutte contre l'ogre Grendel combattu sans armes, la lutte contre la monstrueuse mère de Grendel, appelée la «loupe de mer», remportée avec une épée géante que notre héros trouve pendue au mur et avec laquelle il coupe la tête de Grendel aussi, posé dans sa couche et du combat final contre le dragon dans lequel Beowulf périt.

Beowulf de la terre Geat, correspondant au courant Suède méridionale, vient à la rescousse des Danois du sud menacé par Grendel, de la semence de Caïn, maraudage et et prédateur des marchandises dans la salle de l'hydromel, le centre de la société guerrier germanique dans laquelle le divine Hrothgar distribue des cadeaux et divise anneaux, immédiatement après il fait face à la mère de Grendel, puis il reveint victorieux à la maison où les Goths lui acclament leur roi, il affronte enfin le dragon en mourant héroïquement et le poème se termine par les Goths qui célèbrent les louanges de Beowulf, dont la mort, cependant, les rend incertain de leur survie.

Le fil rouge thématique est la querelle entre les hommes et les monstres et entre les nations.

La traduction «dans Hiberno-English» du prix Nobel pour la littérature Seamus Heaney rejoint le début et la fin de la poésie anglaise, l’éclairage philologique retourne la crédibilité émotionnelle à l'histoire dans laquelle la voix de l'obscur moine anglo-saxonne qui a vécu dans les septième et le huitième siècle en Northumbrie sonne comme un écho à nos jours et crée des suggestions en même temps ancestrales et de charme de la fée qui font référence à la trilogie de La Guerre des étoiles par G. Lucas et de Le Seigneur des Anneaux par J.R.R. Tolkien comme à la mythologie celtique et nordique avec ses orcs, elfes, fantômes et dragons légendaires.
Lien : http://www.libreriamedievale..
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