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3.92/5 (sur 13 notes)

Nationalité : France
Biographie :

Je suis ethnologue, américaniste, spécialiste des chamanismes et des pratiques de gestion de l'aléatoire observées dans les Andes centrales et le piémont amazonien. Précisément, je travaille depuis 1998 avec les populations de langue quechua dans la région de Cuzco (Pérou). Et depuis 2007 avec les Awajun (famille linguistique jivaro) établis sur le Haut Marañón et ses affluents, principalement le Cenepa, le Chiriacu et le Nieva (Pérou). Je travaille également avec des personnes de passage, en Europe et en Amérique du Sud : chamanes en voyage et personnes impliquées dans des spiritualités alternatives, en quête d'expériences fortes, en quête de sens ou d'elles-mêmes et qui témoignent d'un rapport valorisé à l'inconnu.

Mes travaux portent sur les savoirs mobilisés et le comment de leur transmission, les plantes psychotropes et les intoxications rituelles, les processus de construction de la personne et les transes, les rituels bricolés comme les nouvelles spiritualités et leur attrait pour d'autres expériences de la réalité.

D'une manière générale, je situe mon travail à partir d'une expérience sensible, à la fois observation participante et flottante, et dans une perspective théorique qui prend en considération les situations discursives et le caractère singulier de l'expérience individuelle, centrale à mon sens dans la production du savoir ethnologique.
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Source : http://sebastienbaud.fr
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Appréhender les chamanismes
« Tout parle. Et maintenant. homme, sais-tu pourquoi / Tout parle ? Écoute bien. C'est que vents, ondes, flammes / Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! / Tout est plein d'âmes. »
Victor Hugo, « Les Contemplations »
Le chamanisme n'est pas une représentation du monde, ni ne l'explique par ailleurs. Il procède de celle-ci, les notions d'esprits et de pratiques chamaniques pouvant parfaitement être dissociées. Et pourtant, les esprits sont essentiels à la fonction chamanique, à sa nature et à son mode opératoire. Leur évocation constitue à elle seule le décret d'existence d'un monde que mobilisent les chamanes dans leurs pratiques, d'un monde outre-ment différent de celui que nous avons, dans nos sociétés, l'habitude de considérer. En d'autres termes, tout mode d'être et de penser qui considère la réalité de l'existence des esprits lève l'impensé phénoménologique, autorise le recours aux chamanes et leur permet d'agir ou d'être agis. Il leur permet de convoquer et de (se) déplacer (dans) un imaginaire, entendu ici comme lieu d'un possible relationnel. Le chamanisme est en ce sens une pensée de la relation, de celle qu'on en-visage ; raison pour laquelle le rituel se tient la nuit ou dans l'obscurité, raison pour laquelle aussi le regard des chamanes est voilé de bandelettes de tissu ou d'un rideau de perles.
Dans les sociétés à chamanes, la distinction entre ces registres de réalité que sont l'humain et le non-humain, le visible et l'invisible, n'est ni absolue, ni immuable, mais bien une expression instituée de relations entre des collectifs d'existants dont le statut ontologique et la capacité d'action varient selon les positions qu'ils occupent les uns par rapport aux autres (Philippe Descola). Ce qui caractérise les topographies chamaniques est l'idée qu'elles sont formées d'un maillage de chemins reliant entre elles les différentes régions et facilitant la communication entre celles-ci. C'est l'idée qu'elles sont une sorte de réseau ouvert, une combinaison de particules invisibles à l’œil nu mais animées d'une force ...
p. 91
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— Pendant la transe, avez-vous conscience de ce qui vous arrive ?
— Oui.
— Alors pouvez-vous décrire ce que vous ressentez ?
— J'ai beaucoup plus de force que dans un état normal. Je ne ressens pratiquement plus la douleur, et la perception du “moi” se transforme. En loup au début, mais depuis en différents animaux ou personnages. Je perds aussi la notion d'espace et de temps et je peux “voir” les yeux fermés ; des animaux, des visages ou des représentations géométriques. Mais plus étonnant encore, mes sens semblent accéder à un niveau 2. Plus subtil. Mes yeux, toujours fermés, se mettent par exemple à “voir” les corps, mais sans contour précis. Je vois une sorte d'espace, de “nuage” dont le contour s'étend bien au-delà de sa surface habituelle. Il est plus grand. J'y ressens des zones fluides ou bloquées, je vois des formes, des couleurs, des univers plus ou moins harmonieux, sur lesquels je ressens le besoin incontrôlable d'agir. Mon nez se met à renifler, comme celui d'un loup. Pas des odeurs, mais des zones “dissonantes”. Mes mains y répondent par des signes, des danses. Elles entrent dans le nuage, palpent des formes, les modulent, les transforment. Ma bouche aspire ou souffle sur certaines de ces zones, formule des langages ou entonne des chants que je ne connais pas, fait des sons que je suis incapable de reproduire dans un état de conscience ordinaire. Quant à mes oreilles, elles contrôlent la modulation de ces sons et savent à quel moment ils sont “justes”. Sans parler des informations que je me mets à percevoir. Dans cet état le cerveau semble gagner en intelligence perceptive. Il capte des informations qu'il ne voit pas, ou peu, dans un état de conscience ordinaire. Un peu comme si la perception de la réalité était “augmentée”.
p. 173
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Devenir chamane, c'est partir en quête des esprits ou répondre à leur appel. Devenir chamane procède d'un profond accablement, d'une meurtrissure du corps ou d'une confrontation à des états émotionnels intenses… comme si la personne se plaçait dans une situation de vulnérabilité et de détresse, afin d'apitoyer les esprits et de solliciter leur compassion ; comme si les esprits tourmentaient la personne, la plaçaient dans une situation intenable, sauf à reconnaitre leur vouloir. Devenir chamane donc, c'est prendre le risque de l'errance, de celle qui a pour finalité, non pas une accumulation d'informations, mais une ouverture de l'esprit (Kenneth White). C'est consentir à un dépaysement radical et effrayant, à un ensauvagement (au sens d'une présence, non plus à soi et au collectif humain, mais au sauvage et aux existants non humains) au dénouement incertain. C'est accéder à l'altérité dans un crescendo initiatique ou à partir d'une expérience brute, inattendue, qui modifie le devenir ordinaire et ouvre la personne sur l'invisible.
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D'après Cristôbal de Molina (1576), ils « disent [aussi] que telles grâce et vertu qu'ils avaient ils les avaient reçues du tonnerre, disant que quand un éclair tombe laissant quelqu'un effrayé, après être revenu à lui, il disait que le tonnerre lui avait montré cet art, soit celui de guérir avec des herbes, soit celui de donner des réponses aux choses qu'ils lui demandaient ». Aujourd'hui, le chamane est appelé yachaq, « celui qui sait », ou altomisayuq, littéralement « celui qui possède la table rituelle d'en haut » et est capable de voyages en esprit.
Chi pülashi, « celui avec le pülashi », le dangereusement sacré, le sur-naturel ; acquérir le pouvoir, c'est peu à peu devenir pü/asü, devenir chamane.
Wichasha wakan en sioux lakota (Amérique du Nord), littéralement « celui avec le wakan (pouvoir imprégnant toute chose et être du monde, à des degrés divers) » ; si l'expression est communément traduite par « homme ou femme-médecine », le guérisseur en lakota est appelé pejuta wichasha (« celui avec la médecine »). Banman, dans le Kimberley (Australie), tout à la fois « homme-médicament », “esprit” et “pouvoir” de voir « par transparence » les organes et le squelette ; de voir à travers l'opacité des corps. « C'est le pouvoir, banman, raconte Banggal à Barbara Glowczewski, comme une pierre, on peut voir dans la paume des mains, cela voyage dans ton corps, remonte les bras jusqu'à l'intérieur de la poitrine : cela pulse. [...] La roche de quartz vient des serpents. Le quartz vient de la terre. [...] Les chamanes le mettent dans leur corps et le transportent. C'est comme une gelée à l'intérieur de leur corps. Ils le sortent pour que cela durcisse. »
p. 80
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Trois moments donc constituent et définissent le processus qui mène à la fonction chamanique, différent selon les sociétés, les histoires personnelles aussi. Ces moments, qui coexistent dans l'expérience initiale ou peuvent être clairement déterminés dans leur succession, sont : la vocation, le désir individuel d'être chamane ou la conformité à un choix collectif ; l'élection spirituelle, l'énonciation du devenir ; et l'apprentissage auprès d'un chamane confirmé. Trois modalités d'accès à la fonction chamanique ou vocations, indépendantes de la structure sociale et économique de la société d'appartenance de la personne, peuvent de même être distinguées : par héritage de la fonction, condition insuffisante cependant puisque devenir chamane demeure de l'ordre de l'alliance (il ne suffit pas d'être fils de chamane pour être chamane, c'est la rencontre avec l'aïeul, dépositaire de l'alliance originelle, ou l'esprit transmis par filiation, qui opère la transformation, et c'est l'apprentissage qui prépare à cette rencontre) ; par choix personnel, par attrait pour la fonction et le prestige qui lui est associé, par souci aussi de préserver les siens du malheur ; à travers enfin un ensemble de signes, qu'un chamane ou un parent averti attribuera à la volonté d'un esprit d'entrer en relation avec la personne (à nouer une alliance) et qui l'amènera à énoncer la vocation. Il n'est pas rare, pour devancer (ou encourager) une possible vocation, que l'enfant soit très tôt mis en contact avec les objets et substances chamaniques, puis initié aux techniques rituelles.
p. 126
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Le chamanisme consiste dans ce cadre à établir des relations d'échange, conçues sur le modèle des relations humaines, avec les espèces animales consommées. Précisément, pour que le chasseur puisse entrer en relation avec une espèce donnée, le chamane contracte une alliance, parfois signifiée comme dans les sociétés sibériennes et arctiques par ses épousailles avec un esprit femelle, l'esprit-maître de cette dernière ou la fille de celui-ci (la chasse étant un domaine presque exclusivement masculin). En d'autres termes, [...], par son initiation, le chamane devient l'époux ou le gendre de l'esprit-maître de l'espèce animale, source économique par excellence. Dans cette perspective, l'alliance matrimoniale fonde le chamanisme : séduction des esprits, mariage avec le tambour, dimension érotique de la pratique rituelle. Cette position permet au chamane de s'approprier du gibier. L'animal n'est donc pas tué, mais obtenu. Il se donne au chasseur, qui ne prend que sa chair et traite ses os en sorte qu'il renaisse. Grâce à son épouse, c'est donc en mari et non en chasseur — comme ravisseur, attitude dangereuse — que le chamane obtient au cours de ses voyages en esprit des promesses de gibier... en échange de la force vitale des êtres humains, nourriture des esprits. Tout l'art du chamane consiste dès lors à prendre et à reporter le moment de rendre (la mort) ; à gérer la circulation de la force vitale entre les espèces, entre existants non humains, animaux surtout, et humains.
p. 38/39
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Devenir chamane, c'est partir en quête des esprits ou répondre à leur appel. Devenir chamane procède d'un profond accablement, d'une meurtrissure du corps ou d'une confrontation à des états émotionnels intenses... comme si la personne se plaçait dans une situation de vulnérabilité et de détresse, afin d'apitoyer les esprits et de solliciter leur compassion ; comme si les esprits tourmentaient la personne, la plaçaient dans une situation intenable, sauf à reconnaître leur vouloir. Devenir chamane donc, c'est prendre le risque de l'errance, de celle qui a pour finalité, non pas une accumulation d'informations, mais une ouverture de l'esprit (Kenneth White). C'est consentir à un dépaysement radical et effrayant, à un ensauvagement (au sens d'une présence, non plus à soi et au collectif humain, mais au sauvage et aux existants non humains) au dénouement incertain. C'est accéder à l'altérité dans un crescendo initiatique ou à partir d'une expérience brute, inattendue, qui modifie le devenir ordinaire et ouvre la personne sur l'invisible. Dans ce devenir, il y a l'idée d'un anéantissement suivi d'une recomposition, d'une mort-renaissance, davantage soulignée encore quand l'expérience spirituelle et initiatique s'inscrit dans une logique de construction progressive du corps ; quand la personne est dévorée par les esprits, son corps démembré, puis forgé au feu pour en faire un corps autre...
p. 132
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Dans cette brève description d'une initiation spirituelle, la métamorphose est condition d'accès à l'apparence humaine des existants non humains. La dévoration et la renaissance consécutive marquent l'adoption par la personne d'une perspective de subjectivité autre. Le chamane est à même de percevoir le monde des esprits, là où la montagne est une tente et les existants des personnes, avec lesquelles il est alors possible d'interagir. Signes et épreuves disent ainsi une réflexivité singulière : l'existence de deux identités relationnelles définies par alliance ou pour le dire autrement, l'idée qu'il puisse y avoir de l'altérité en soi. À condition de dépasser la confrontation avec celle-ci, conçue comme un risque et une menace d'altération — cette autre manière de concevoir la maladie initiatique rapportée dans nombre d'histoires de chamanes —, un dessoulement se produit alors, un ravissement de la personne dans et par sa vision, un « en face » qui regarde dans les yeux. À condition de consentir à ce dépaysement radical et effrayant — un lâcher-prise —, la personne a le sentiment d'être sauvée, soutenue alors qu'elle s'approche dangereusement du fond de l'abîme, cette part de soi non négociable qui autorise toutes sortes de débordements, parfois dévastateurs, souvent salutaires.
p. 144/45
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Il ressort de ces premiers travaux, et du peu d'études encore réalisées dans le monde sur l'effet de la transe sur le cerveau, que l'état de transe modifie les connexions entre les différentes régions cérébrales. Plus précisément, les régions impliquées dans la gestion d'informations venant de l'environnement extérieur (cortex cingulaire antérieur dorsal, insula par exemple), ainsi que dans la gestion d'informations liées à la conscience de soi (cortex cingulaire postérieur — réseau du mode par défaut) fonctionnent différemment lorsque la personne est en état de transe (résultats obtenus chez 15 sujets). De plus, les régions du cerveau impliquées dans les perceptions sensorielles (cortex auditif et visuel, notamment) démontrent une activation différente lorsque la personne est en état de transe, par rapport à un état de conscience ordinaire (résultats obtenus chez 8 sujets en transe dite médiumnique, comparés à 8 sujets contrôles ; ainsi que chez 15 sujets en transe. L'activité électrique du cerveau semble être caractérisée par une modification des rythmes bêta, particulièrement dans les régions frontale, pariétale et occipitale — ces régions sont notamment connues pour leur implication dans la perception de soi — (résultats obtenus chez moi-même).
p. 182
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DEVENIR CHAMANE
Dans les sociétés à chamanes, il s'agit en permanence, pour tout un chacun, et davantage encore pour le chamane dont c'est la fonction reconnue, fonction multiple, de maintenir des valeurs humaines et écologiques tendant vers la réalisation et la préservation, tant qu'il est possible, d'équilibres fragiles constamment menacés :
— équilibre des relations que les êtres humains, individuellement et collectivement, entretiennent avec leurs environnements non humains, visibles et invisibles ;
— équilibre des relations que les êtres humains entretiennent les uns avec les autres, au sein de chaque communauté et entre les communautés ;
— équilibre de l'individu.
Le chamanisme, écrit Michel Perrin, implique une représentation particulière de la personne et du monde, laquelle laisse peu de place à l'absurde, le malheur et la maladie n'y résultant jamais de l'arbitraire. Il est contraint par une fonction, celle du chamane, qui est de prévenir tout déséquilibre et de répondre à toute infortune : l'expliquer, l'éviter ou la soulager. Se dire chamane, écrit Éveline Lot-Falck, ne signifie pas professer certaines croyances, comme le fait le prêtre d'une religion institutionnelle et séculière, mais témoigner d'un mode d'action.
p. 119
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