Citations de Sébastien Berlendis (65)
Un repas de midi, et le blanc partout qui éclate et fait plisser mes yeux. Le blanc des nappes, des serviettes, celui des robes, des fleurs de marguerite, des rubans dans les cheveux, la blondeur brûlée par le soleil de mes sœurs jumelles, les blancs des voiles du bateau qui attend, accroché au ponton. Seul le rouge des fraises des bois ramassées le matin, éparpillées sur la table à la fin du déjeuner, vient rompre cette blancheur.
( Texte d'un ado anonyme)
« Les filles s’écartent du sentier pour gagner les fougères hautes. Elles nous prennent la main, je suis un garçon qui marche derrière une fille, le sang et le cœur retourné. (p. 34)
Depuis six ans la maladie est dans chaque parcelle d'espace, l'asthme forme un dépôt qui durcit la poitrine. Je ne dors presque pas.
Le dernier cap est en vue, nous ne pouvons pas être plus au sud, les pins déversent leur masse sombre, mes yeux fixent la ligne blanche de la route, mes mains déplient la carte géographique, retracent l'itinéraire. A certains endroits, le bitume s'effrite, les virages flirtent avec le vide, le vert du maquis, les agaves en fleur contrastent avec le bleu de la mer.
« Des récits de mon grand-père, c’est cette image du peuple en vacances qui m’émeut, l’image d’une vie d’été avec ses stéréotypes à laquelle je demeure fidèle. » (p. 22)
[...] j’évoque un texte argentin récemment mis en scène au théâtre. Je raconte l’histoire de ce jeune garçon qui perd la mémoire. Bientôt il ne pourra garder qu’un seul souvenir, dernier souvenir qu’il peut néanmoins choisir. Je propose aux élèves de se mettre à la place du jeune garçon et d’écrire sur leurs plus beaux papiers le souvenir qu’ils souhaiteraient conserver.
« Cet été, Louise découvre la plage, les garçons, la frénésie, son corps. Avec elle, je découvre le mien. » (p. 50)
J’aime tant l’odeur et le goût des serviettes trempées d’eau de mer qu’il m’arrive souvent de mordre le tissu-éponge.
« Les images d’une adolescence au soleil continuent de modeler mon désir et mon imaginaire. Je me construis dans les souffles chauds, les idylles, l’horizon bleu, le sel marin. » (p. 71)
« Sans la présence de mes souvenirs et la voix de mon grand-père verrais-je autre chose qu’une étendue sèche de sable et des caravanes désolées. » (p. 81)
Je prends l'ancienne route comme lorsque j'étais enfant. Celle qu'on appelle la route de montagne. Pourtant, il n'y a pas de col à franchir. Sur quelques kilomètres, les lacets grimpent parmi les pins. Quant aux sommets des Maures, il se gravissent à pied.
Les adultes poursuivent au sommet, certains, sportifs, courent et se chronomètrent. Les enfants restent là, seuls, à monter et descendre les monticules de sable.
Torses nus, bermudas colorés, nous cherchons l’ombre dans les escaliers des barres d’immeuble, les terrasses secrètes – même si je ne viens que l’été, je connais la cartographie de la cité par cœur. Nous cherchons les frictions et l’épuisement sur les pelouses sèches des terrains de football, l’excitation des plongeons à la piscine municipale, nous n’allons jamais à la mer, nous attendons la nuit pour embrasser Carla.
Arpenter les allées du camp à la fin de l'été est devenu un rituel , une nécessité. Mes retours estivaux s'apparentent à une partition que je joue seul comme si le plaisir de goûter à ces lieux ne pouvait être partagé.
Bien que ma terre soit ici, ma famille dans les bras de Noam, je suis une fille du continent, protégée cela ne fait aucun doute, et là sur le quai, je n’ai pas encore l’âge de comprendre le combat pour la liberté. Je veux que le port entier vienne avec nous, mon grand-père m’appelle, je retiens mes larmes, je refuse de dire adieu.
Comment cesser d’être insensible, et dévoiler aux autres ses émotions lorsqu’on a appris trop tôt leur nocivité, leur capacité à nous perdre. Je vois aussi le rire de mes amis, la légèreté de leurs moqueries lorsque j’affirme que l’amour n’existe pas. Peut-il en être autrement lorsque le seul amour dont j’ai été témoin a volé en éclats comme le vase de porcelaine sur la table du salon.
Rien n'est plus inhabitable qu'un lieu où on a été heureux.
Avant de gagner les forêts hautes du Val di Vara, fenêtre ouverte, je tourne mon regard vers la Méditerranée. Le vert des aiguilles de pin, le bleu du ciel et de la mer, les scintillements d'argent, voilà les couleurs de mes étés, trois teintes qui suffisent à la perfection du tableau.
[...] les façades des hôtels de passage de la via Aurelia offrent par dizaines leurs volets clos et disloqués. [...] nous repérons les volets clos, les portails branlants, nous entrons quand nous le pouvons pour ranimer des murs endormis le temps d'une déambulation et de quelques images. Émue, Annabella affirme avec emphase que ces bâtisses ne tiennent que dans l'espoir de notre visite, elle ajoute que ces lieux n'ont pas la capacité de se souvenir.
Je garde sa main un moment, il tourne la tête vers moi, sourire chagrin comme s’il murmurait à quoi bon. Mes baisers dérapent sur une peau lisse, je ne comprends pas mon attachement, cette peur exagérée de l’abandon, il n’a plus de langue pour goûter la sueur au creux de ma nuque.