Ex-peintre et néo-marin, un étonnant voyageur contemporain, entre Ulysse et Orphée, distille pour nous la poésie inattendue d’une traversée qui ne sera jamais ce qu’elle paraissait d’abord.
Sur le blog Charybde 27 : https://charybde2.wordpress.com/2022/01/01/note-de-lecture-mira-ceti-sebastien-doubinsky/
Alex Szénas était encore récemment un peintre français vivant à Stockholm. Il est désormais un matelot de fortune, vivotant d’abord d’embarquements aléatoires et peu regardants à bord de cargos encore moins regardés, découvrant au bout de quelque temps l’opportunité de faire un peu mieux que vivoter en se faisant le complice occasionnel de quelques trafics (peut-être pas si menus néanmoins) orchestrés par le mystérieux Señor Snede. De Tanger à Lisbonne, d’échauffourées éventuellement tragiques dans quelque bar interlope en rixes sanglantes dans quelque havre bien louche, de convoyages presque anodins en camaraderies confidentes presque paradoxales, le néo-marin, à bord ou à terre, tisse une étrange toile de mélancolie et de culpabilité, de dégoût de soi et de regret pas toujours bien défini.
Avec ce « Mira Ceti », réédité en 2021 chez Abstractions en un complet remaniement de sa parution initiale de 2001 chez Baleine, Sébastien Doubinsky aurait pu se contenter de nous offrir une superbe et noire variation du motif du « marin à terre » (ou plus exactement de l’oscillation entre « marin à terre » et « terrien en mer », car le caractère improvisé du « nouveau métier » du peintre Alex Szénas est bien entendu essentiel), comme sait le distiller si savoureusement de nos jours un Jacques Josse, par exemple. Si Pierre Mac Orlan, Nikos Kavvadias (on retrouve d’ailleurs ici aussi la poésie de Constantin Cavafy en exergue) ou Josef Kjellgren ne sont naturellement pas très loin, si le Francesco Biamonti et le délicat mélange de trafic et de mélancolie taiseuse de son « Attente sur la mer » sont encore plus proches, la magie d’une rencontre en apparence très hors cadre avec une certaine jeune femme à New York, celle d’un pèlerinage devenant curieusement mystique au Groenland (celui des périmètres de sécurité états-uniens tout particulièrement), ainsi que le doute instillé, pour celles et ceux qui connaissent d’un peu plus près l’auteur de « Quién es ? », « La trilogie babylonienne » ou « Absinthe », par la discrète présence de personnages authentiquement familiers tels Ole Nielsen ou Manu Rich (dont le « Strandbad VI » orne la couverture de la présente édition), transforment une scénographie que l’on croyait connue en, finalement très vite, tout autre chose, hanté de dadaïsme, de surréalisme et de colonne Durutti, de peintre devenu objet d’études universitaires et de virée dunkerquoise, de Basquiat et de Klee, de chats nommés Staline et de chamanismes ne donnant pas leur véritable nom. On songera peut-être alors à la manière dont un Björn Larsson, avec qui Sébastien Doubinsky partage la passion de la poésie exigeante et des frères-de-la-côte, détourne les attentes de sa lectrice ou de son lecteur pour faire du « Cercle celtique » ou du « Les poètes morts n’écrivent pas de romans policiers » de somptueux objets littéraires hybrides, instillant de la poésie pure dans un écheveau romanesque d’abord réputé parfaitement assignable. Et c’est ainsi que le poète de « Predominance of the Great » ou de « Zen and the Art of Poetry Maintenance » (car ce Français basé au Danemark est fort régulièrement publié directement en anglais) nous offre en 150 pages une véritable Odyssée contemporaine dans laquelle ni Ulysse (prenant parfois des airs d’Orphée) ni Pénélope (se faisant Eurydice lorsque nécessaire) ne veulent se conformer aux rôles qui devraient traditionnellement être les leurs.
Lien :
https://charybde2.wordpress...