Découvrez l'entretien de Sébastien Raizer, qui raconte le processus créatif qui l'a poussé à écrire Mécanique Mort, son dernier roman, paru à la Série Noire. C'est depuis son pays d'adoption, le Japon, que l'auteur nous donne les grands noms qui l'ont inspiré pour inventer cette histoire singulière et glaçante.
« Il y a deux grands phares qui ont guidé l'écriture de "Mécanique mort", deux sources d'énergie absolue, c'est Dostoïevski et Joy Division. Et le coeur du roman, c'est ces personnages qui sont à la recherche vitale d'une humanité authentique. »
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Résumé : Après trois ans passés en Asie, Dimitri Gallois revient à Thionville, afin de se recueillir sur les tombes de son père et de son frère pour apaiser son âme tourmentée.
Mais ce retour réveille de vieilles haines et provoque un regain de violence entre des clans ennemis qui avaient conclu une paix toute relative.
Vengeance, trafic de drogue, opium de synthèse, banquier corrompu, mafia albanaise et Ndrangheta, Dimitri va-t-il réussir à échapper à cette terrifiante mécanique de mort ?
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Extraits
« Mécanique mort, c'est une société entière en crise profonde, avec une zone grise grandissante entre légalité et illégalité, société criminelle et organisation officielle. Et pour moi, vu du Japon, Mécanique mort c'est la pleine vibration de ce qu'on appelle le temps présent. Ce présent à perpétuité qui produit de façon frénétique et qui ne pense absolument pas, qui est toxique et nihiliste. »
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« L'histoire de Dimitri Gallois est son besoin absolu de faire la paix avec lui-même et avec son passé. »
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Découvrez le livre https://www.gallimard.fr/Catalogue/GALLIMARD/Serie-Noire/Mecanique-mort
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Les nuits étaient rouges comme l’acier en fusion qui éclairait de l’intérieur les carcasses noires des hauts-fourneaux.
Martèlements, sifflements, hurlements industriels dans son crâne. Les nuits étaient rouges des fusées éclairantes brandies au sommet du crassier, qui illuminaient les visages charbonneux de la colère et du désespoir, les yeux luisants de l’angoisse.
L’odeur de poudre, de sulfures et de méthane lui prenait la gorge, il aurait fallu boire quelque chose, maîtriser ces tremblements.
Les nuits étaient rouges des incendies allumés sur l’autoroute. Les cornes de brume étouffaient le vacarme des hélicoptères dont les carapaces d’acier brillaient sous la lumière de la lune. Les gyrophares de la police et des ambulances étaient tenus à distance par des fusils de chasse et des lances-pierres. Les gaz lacrymogènes formaient une brume sanguine qui dansait autour des fumées noires et orange des pneus de tracteurs et de semi-remorques en feu.
"Ils ont tué le tissu social, la conscience de classe, la solidarité, la culture ouvrière, la notion de révolte. Ils nous ont hypnotisés par la peur jusqu’à nous faire oublier notre propre pouvoir. Il n’y a plus rien.”
Et soudain il s'était rendu compte que cela faisait longtemps qu'il était seul.
Il s'était aussitôt demandé depuis combien de temps exactement, mais n'avait obtenu aucune réponse. Tout est perdu, c'est ce que son instinct lui avait dit, avec une clarté irrévocable. Seulement ces trous mots: tout est perdu. Le reste était incompréhensible.
Naître à un instant T. Mourir à un instant T + x. Entre les deux, vivre. C’est aussi simple que cela. On accepte comme allant de soi le premier événement tandis qu’on nie de toutes ses forces le second. Toute l’incapacité à vivre vient de là. Vivre, c’est d’abord accepter de mourir.
J'observais alors des inconnus et mon pressentiment devint une évidence : tous les gens, sans exception, étaient aussi solitaires que les étoiles du ciel nocturne, aussi inaccessible et silencieux.
Et soudain, il fut saisi d’un terrible sentiment d’urgence. Tout s’écroulait dans le mensonge et l’hystérie générale, dans l’aveuglement et le désespoir, le meurtre, me suicide et la guerre. Partout.
Il ne parvenait pas à se l’expliquer de façon rationnelle, mais il savait que ce monde somnambule poursuivait son inexorable errance vers la nuit, le feu et la mort.
Il considéra ses chats. Un subtil mélange de profondeur et d’indifférence brillait dans leurs pupilles changeantes. Les chats profitaient de chaque crépuscule et de chaque aurore, et mourraient quand viendrait la mort. Le reste, tout le reste, était insensé et grotesque. Même la question de donner un sens à son existence dans un monde dépourvu de sens. Car la vie, ne compte que pour elle même. La seule jauge de la vie, c’est le vivant, et rien d’autre. N’est-ce-pas ?
J'étais le seul au monde à connaître et à souffrir de l'impossibilité et de l'incapacité de vivre, comme j'étais le seul à savoir la canaliser, l'assouplir, l'assouvir, la déguiser en normalité apparente, afin de rendre l'air autour de moi respirable, les choses visibles, les gens supportables - ni difformes, ni monstrueux, ni à moitié brûlés et à moitié gelés, ni fous de chagrin: juste supportables.
Keller l'avait recadré dès le début, poliment et inutilement. Il fallait passer aux choses sérieuses et ce déjeuner provoqué par Faas en était l'occasion - d'autant que l'albinos lui-même semblait désireux de monter d'un cran dans ce rapport de force.
"Hé, lèche ce bout de poiscaille tout lisse en matant la serveuse, dit Faas. Sérieux, ça te fait penser à quoi ?"
Keller arqua les sourcils et se dit que finalement, les choses étaient peut-être bien plus simples qu'il ne l'imaginait : Faas était tout bonnement con comme un cintre, pas besoin d'aller chercher plus loin.
Dans un sarcasme qui l’amusait, il aimait se dire que tout comme Dieu, il n’existait pas : les gens qu’il employait ignoraient travailler pour un système inédit nommé Mezzo Grigio et n’avaient jamais entendu parler de Nicola Serra ni de la ‘Ndrangheta. Toutefois, Santo orientait chacun de ces salariés vers des banques en ligne, des sociétés d’assurances, de prêt et de conseils en investissement détenues par sa famille. Il avait développé son réseau d’hommes de confiance en même temps qu’il n’avait cessé d‘étendre son influence invisible.