Autrement dit, les lecteurs ou téléspectateurs encouragent à leur insu leur propre sous-développement en redemandant toujours et encore, en raison de facteurs complexes et variés, des produits plus ou moins nocifs pour l'intelligence laquelle ne saurait se développer dans la facilité. Peut-on également penser aussi que de se nourrir abondamment d'ésotérisme ou d'approches pseudoscientifiques risque d'encourager une sorte d'infantilisme psychosocial puisque la maturité conduit inévitablement à se poser des questions sans réponse et à assumer ses propres limites.
Loin de moi l'intention de fustiger la population friande de doctrines étranges et absurdes pour reprendre l'expression de Locke. Il y a des raisons à cela qui relèvent entre autres de l'éducation. Toutefois, l'alarme doit être sonné par ceux qui ont eu la chance de développer l'esprit critique et qui, à titre d'adultes, se trouvent responsables de témoigner des valeurs qui leur sont chères, entre autres celles que nous laissa le siècle des Lumières, à savoir la primauté de la raison sur le "crois ou meurs" doctrinaire et la primauté du raisonnement sur tous les mysticismes.
La chute d’une tuile qui tombe sur la tête d’un passant constitue l’exemple classique de ce qu’est le hasard, la coïncidence fortuite d’évé-nements totalement indépendants les uns des autres. Autrement dit, les raisons de la chute de la tuile et la présence du passant sont deux événements totalement indépendants l’un de l’autre. Mais l’esprit a quand même besoin de trouver une explication à cette situation totalement accidentelle (sans jeu de mots). On invoque alors le destin, la fatalité, etc. (Lecomte, 1992). Les rêves prémonitoires constituent un autre exemple de non-compréhension de la notion de hasard.
L’opposé de la connaissance, c’est l’ignorance. Mais être ignorant n’est pas stupide en soi. Ce qui l’est, c’est décider d’entretenir son ignorance pour mieux consolider ses croyances. L’agnatologie, l’étude des pratiques culturelles de l’ignorance, semble avoir acquis ses lettres de noblesse si on se fie au nombre d’ouvrages publiés au cours de la dernière décennie (par exemple : De Nicola, 2017 ; Firestein, 2012 ; Gross et McGoey, 2015 ; Henry, 2017 ; Michéa, 1999 ; Oreskes et Conway, 2012 ; Proctor, 2011 ; Rosling et al., 2018 ; Schiebinger et Proctor, 2008). L’historien des sciences R.N.
« La seule méthode éprouvée pour maîtriser la croissance démographique, c’est d’éradiquer l’extrême pauvreté et de permettre aux gens d’accéder à des vies meilleures, avec éducation et contraceptifs » (p.120). La croissance économique et la santé évo-luent de concert : là où les revenus augmentent, la santé s’améliore et vice-versa. Ayant eu accès à l’éducation, les parents ont voulu moins d’enfants mais mieux éduqués.
Certains individus se croient indûment à l’abri des conséquences susceptibles d’arriver aux autres qui auraient le même comportement. Par exemple, l’idée que la COVID-19 est un danger pour les autres peut conduire à faire fi des consignes sanitaires de sécurité. Par ailleurs, on ne compte plus dans certains cas le nombre d’excès de vitesse, de retard au travail, de conduite en état d’ébriété non sanctionnés.
Ce faisant, le citoyen (enfant ou adulte) n’a plus en quelque sorte la nécessité de réfléchir aux conséquences de ses actes, d’apprendre de ses erreurs et, du coup, de se servir de son intelligence. On tente de tout contrôler et d’avoir un environnement sécure à tout prix. En fait, comment peut-on apprendre à se relever si on n’est jamais tombé ?
En fait, réfléchir, c’est fatigant – surtout entre les repas. Si la conclusion d’un raisonnement est crédible, pourquoi ne pas y croire ? Kahneman (2016) en donne un exemple classique repris par plusieurs auteurs : toutes les roses sont des fleurs, certaines fleurs fanent vite, donc certaines roses fanent vite. Bon nombre d’étudiants universitaires estiment ce syllogisme valide. Or, il se peut qu’il n’y ait aucune rose parmi les fleurs qui fanent vite. Comme la conclusion est crédible – en effet, certaines roses fanent vite –, pourquoi réfléchir plus longtemps ? Un tel biais cognitif n’a de surcroît aucune conséquence dans la vie réelle. On est ici au cœur de la paresse du raisonnement humain, valorisée, voire renforcée maintenant, par les réseaux sociaux dont l’heuristique du « like » fait appel aux émotions et non au raisonnement.
En Occident, plusieurs enfants vivent en effet dans un environnement surprotégé à outrance sous prétexte de leur éviter des accidents, ou tout désagrément, difficulté, échec, etc. Par exemple, aux abords des écoles, au lieu d’apprendre aux enfants à traverser la rue de manière responsable, on engage des « brigadiers » dits scolaires pour leur faire traverser la rue en toute sécurité.
De plus, même s’il est raisonnable de penser que pour éradiquer l’ignorance ou, à tout le moins, la réduire, il faut promouvoir une vision basée sur les faits, c’est malheureusement faux. Il est plutôt impératif de comprendre l’importance de l’éducation au doute raisonnable et à l’esprit critique comme moyens de se prémunir contre l’ignorance et le recours abusif à l’opinion.
L’émergence croissante des sciences nous a appris que classer les objets qui nous entourent en catégories est tout aussi important que de savoir les utiliser. De plus, la méthode scientifique peut être considérée comme un moyen de plus en plus approprié pour résoudre les problèmes de toute sorte.