Serge Le Gall

Le navire assurant le service régulier entre l’île de Groix et le continent s’embouque lentement dans la Passe de l’Ouest. Il faut être très attentif quand il fait ce temps bâché. Les passagers ont quand même confiance. Même si l’équipage a de l’expérience à revendre, il ne faut pas les décevoir par une manœuvre hasardeuse. Ni les mettre en danger.

Le duo, en file indienne, longe la décor de ferme avant d’arriver à une entrée monumentale en ogive qui, elle, semblait avoir été arrachée à un autre édifice pour venir agrémenter celui-ci.
S’en suivi une montée à l’étage par un escalier en pierre usé pour déboucher à l’entrée d’une pièce au parquet en points de Hongrie.
– Attendez ici, dit l’homme en noir, avant de disparaître.
Chantal pénétra dans la pièce. Elle n’avait pas l’intention de poireauter sur le palier comme une mendiante.
Au centre, il y avait deux coussins rectangulaires bien rembourrés, un noir et un blanc, qui se faisaient face comme s’ils attendaient d’augustes postérieurs pour être utilisés.

Une grande table avait été dressée sous les pommiers de la ferme de Lanroz. Les femmes avaient revêtu de belles toilettes légères faisant preuve d’une témérité en cette fin de septembre. Les hommes ne sachant pas se départir de leurs tenues sombres avaient, pour certains, osé une touche plus gaie en arborant le canotier. Les deux hôteliers concurrents avaient rivalisé d’imagination pour composer un menu où le plaisir des yeux allait de pair avec la finesse de la dégustation

Une sorte de brume de mer s’est formée sur la rade de Lorient sans crier gare. Le ciel et l’eau se fondent délicatement dans un gris ouaté qui atténue les sons et délave les moindres repères. Pudeur du matin d’une nature qui se joue des regards. Comme une femme au saut du lit qui n’a rien oublié.

Elle voulait simplement que le juge comprenne que l’amour ou l’intérêt d’une femme ne s’embarrasse parfois pas des principes qui régissent une société allant même jusqu’à les transgresser comme des règles obsolètes. En cela, elle avait pleinement atteint ses objectifs puisque le détenu Spacek avait fini par recouvrer sa liberté.

Et oui, cette croix cassée est le signe d’un refus de la Foi. On casse la croix qui est le symbole de la religion pour bien montrer qu’on ne la reconnaît plus. Dans le passé, on brisait des croix pour terroriser la population qui voyait en cela la manifestation d’une puissance supérieure à Dieu. En Asie Mineure, du temps de Gilgamesh, il s’est produit un phénomène semblable en rapport avec leurs croyances d’alors. J’ai lu quelque chose là-dessus à la Grande Bibliothèque. Il est arrivé que l’on brise ainsi des croix, surtout pendant la révolution, pour tenter d’asseoir une nouvelle dévotion. Par la suite, ce signe a pu être la manière de se reconnaître pour des sociétés secrètes. Je vous disais qu’il ne me semble plus utilisé aujourd’hui.

C’est mercredi matin à Larmor-Plage. Un matin comme beaucoup d’autres qui témoigne des aléas climatiques. Dans une heure ou deux, le soleil aura réussi à percer. Pour le moment, il somnole en hauteur comme s’il voulait se faire désirer.

Il savait choisir le moment de l’exhiber devant elle pour la mettre en colère. Il adorait quand elle était furieuse. Elle avait souvent un débordement de libido dans les moments qui suivaient la crise et elle ne lui reprochait pas d’avoir une haleine empestant le tabac quand elle se pendait à son cou. C’était un jeu, un rite sensuel qui les rapprochait pour le meilleur avant le pire. Spacek ne laissait jamais passer les occasions. Même si celles-ci étaient devenues trop rares, elles faisaient partie du contrat et il ne pouvait pas refuser d’honorer Madame quand elle l’exigeait. Parfois même, il en avait réellement envie.

- il n'a pas pu se mettre dans cette position sans contrainte
- et si c'était son choix pour se noyer ?
- il se serait fait enchaîner par un tiers ?
- on a vu plus tordu !
- pas jusqu'à se faire émasculer, je pense !

Comme tout le monde, il aspirait à l’amour et à l’aisance financière. Il avait oublié que l’argent, ça se gagne et que l’amour, ça ne se fait pas de force. Résultat, il s’était retrouvé derrière les barreaux d’une sombre prison à plusieurs reprises pour des faits qui auraient pu le conduire dans le couloir de la mort s’il avait persévéré dans cette voie.
Julianne était alors entrée en scène. Elle avait été commise d’office en tant qu’avocate et, très vite, elle s’était prise d’affection pour ces pectoraux impressionnants sur lesquels elle rêvait de s’assoupir.