AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Citations de Serge Legrand-Vall (41)


Qui suis-je ? Je n'en sais rien. Mais je sais d'où je viens, c'est déjà ça.
Car il me manque mon nom. Avant, je m'appelais bien Suzanne quelque chose. Et ce quelque chose, je le savais, je l'avais prononcé et même écrit. Cet inoubliable pourtant, je l'ai oublié.
Et j'ai eu beau passer des heures d'insomnie à essayer de le faire réapparaître, de réécrire les lettres qui le composaient, seule la première revient à ma mémoire. Un L, ça commençait par un L.
À mes questions, mes parents m'ont répondu n'avoir jamais voulu le connaître et se sont étonnés. Ça ne me plaît pas, Hamel ? Je suis seule avec mon patronyme oublié, recouvert d'un autre qui ne me va qu'à moitié et n'aura jamais le pouvoir de me nommer complètement.”
Commenter  J’apprécie          70
Passer l'arme à gauche, ce sera bientôt son tour et pas debout ; il s'affaissera avant de sombrer. Mais il n'en est pas là. Pas encore. Son corps souffre et le harcèle, l'enjoint à l'action et il lui obéit, comme une mécanique délabrée qui tarde à cesser de fonctionner.
En bas, il trouvera bien un village, pour y faire il ne sait quoi. S'y reposer peut-être, se sécher et surtout manger, manger.
Le jour hésite encore à s'émanciper du plafond sombre que rejoignent les vapeurs grises montées du sol, comme autant de fumées émanant de feux mal allumés. Titubant en bas du chemin comme s'il avait bu, Mateu a aperçu une grange derrière le rideau
jaune des arbres, face à une butte que dominent les murailles démantelées d'un château. Les maisons de la bourgade ne sont qu'à quelques dizaines de mètres.
Il est entré dans le bâtiment par la porte amont, qui ouvre sur le grenier rempli de foin. Il y règne un parfum délicieux et une tiédeur de bêtes absentes.
L'homme à bout de forces a grimpé dans un recoin opposé à la trouée qui ouvre sur les mangeoires et s'est enfoncé dans l'épaisseur d'herbe sèche comme un enfant contre le flanc de sa mère. Il s'y est endormi sur-le-champ, malgré ses vêtements trempés et les tiraillements de la faim.
Avant la guerre, le carillon des cloches de l'oratoire voisin de Sant Felip Neri me réveillaient le dimanche matin, lorsque je n'étais pas de service. Et je dois dire que je ne détestais pas ça. Non que j'aie jamais assisté à un office. Mais il y avait dans ce rappel récurrent
d'une journée vouée à ne rien faire quelque chose de très satisfaisant.
Ce n'est pas le son des cloches de Gràcia qu'entend Mateu, mais un tintement plus aigu, plus rapide aussi. L'odeur enveloppante du foin le ramène au présent. Il entrouvre les yeux et se tortille vers la cloison de bois, pour coller son visage dans l'intervalle qui sépare les
planches verticales. Une petite foule endimanchée, venue sûrement de l'édifice religieux qu'il ne voit pas, gravit d'un pas tranquille une longue place inclinée,avant de s'engouffrer sous un porche. Les coups de bourdon s'espacent, annonçant l'apparition d'une silhouette en robe blanche, au bras du garde civil à qui elle vient de s'unir.
Autour d'eux, des uniformes kaki, comme une escorte triomphante.
Les perdants ont toujours tort. Est-ce parce que Mateu n'a pas fait le choix de ce garde civil qu'il en est là aujourd'hui, affamé et traqué ? Non, sa défaite est ailleurs…
Commenter  J’apprécie          60
Sans se concerter, ils avaient cesser de parler, comme si la puissance de mort de l'endroit les enjoignait au silence. Éblouis de soleil, ils marchèrent l'un derrière l'autre, les yeux tournés vers le sol, vers cette terre de sang. Les crêtes de cette montagne aride avaient été défendues par des hommes habités d'idéal, qui étaient tombés là par milliers, offrant leurs corps sacrifiés pour un futur qu'ils ne connaîtraient jamais. Et deux grands enfants étaient là aujourd'hui, nés de cette tragédie qui les encombrait, comme une charge trop lourde à porter...
...Aujourd'hui, le soleil caressait la terre martyrisée, les rocs blancs éclatés, comme on effleurerait du bout des doigts un cadavre sec. Le vent agitait les branches des pins noirs, tordus d'une souffrance ancienne, figée. Antoine se sentait gonflé du deuil de tous ces hommes, il entendait, porté par le souffle du vent sur les roches, leurs murmures infinis et fraternels.
Commenter  J’apprécie          60
Ici, le temps n’était pas de même nature qu’ailleurs. Il s’étirait et se contractait suivant les lunes et les vents, se fondait dans la nuit des ancêtres, dans l’immensité du ciel et de l’océan. »
Commenter  J’apprécie          50
En Ariège, tous les cols étaient des ports,comme si les montagnards naviguaient dans un océan de vagues pétrifiées et que le havre se situait, non dans le creux de la vallée, mais sur ce passage élevé qui séparait deux sommets de vagues, ourlées de neige en guise d'écume.
Commenter  J’apprécie          50
Marie était la vie, une vie belle, intense et remplie de promesses. Elle était son présent et son avenir. Et ce soir d'angoisse, devant le vide que laissait une mère trop tôt disparue, sa présence était inestimable. Il tenait à Marie. Å sa tranquillité douce et têtue, à son sérieux et à sa fantaisie. Depuis la soirée où il l'avait rencontrée, ils ne s'étaient pas quittés. Elle lui inspirait un désir sans cesse renouvelé. Et ce soir, la mort transcendait son désir, le rendait encore plus impérieux. Comme si le corps de Marie était le lieu, le seul lieu de chaleur qui lui restait au monde. Et les mains du jeune homme s'engouffrèrent avec fièvre sous le pull quelle portait à même la peau.
Commenter  J’apprécie          40
Pages 16 à 18
Ce n’est pas seulement qu’il est épuisé. Cela fait des années que Mateu n’a pas marché aussi longtemps. Lui qui d’habitude ne fait que creuser des tranchées, les reboucher et entretenir les engins de la municipalité d’Ax-les-Thermes qui l’emploie.
Il a pensé qu’il allait enfin pouvoir se reposer auprès d’un des maigres feux allumés dans les baraques de tôle de cette mine déserte, encore une, où ils ont installé le bivouac. Tous ont posé leurs sacs et s’activent, surtout à trouver du combustible, bois humide et noueux de rhododendron, branches sciées aux rares bouquets de sapins qui poussent aux alentours. Mais dès qu’il s’est allongé, il s’est mis à transpirer.
– Quelqu’un aurait un coup à boire ? Il a agrippé le col de celui qui se nomme Portet avec un sourire crispé, histoire d’avoir l’air de plaisanter. Je t’ai offert une gorgée tout à l’heure, à toi de m’en donner !
– J’ai rien pour toi, mon gars, a rigolé l’homme en catalan, tout en se dégageant. On n’est pas là pour se pinter !
Ce n’est pas une surprise. Mateu savait que dès qu’il n’aurait plus d’alcool, ça deviendrait difficile. Depuis le temps qu’il boit sans discontinuer, chaque jour, avec application et répugnance. Il s’était persuadé qu’il réussirait à supporter l’arrêt brutal. Il voudrait se lever, mais ses membres ne lui obéissent plus. Son tremblement qui gagne en intensité n’est pas dû qu’au froid. Il ne contrôle plus rien. Les camarades le regardent d’un drôle d’air. L’un d’eux se penche sur lui.
– Ça va pas, on dirait. Qu’est-ce qui t’arrive ?
Il se contracte de tous ses muscles et donne des coups de pied désordonnés qui n’atteignent personne.
– Eh, Canalis fait une crise ! Tenez-le !
Il halète, serre les dents et les poings, roule sur lui- même, jusqu’à ce que les autres se précipitent sur lui pour l’immobiliser, lui ouvrir la bouche.
– Faites-lui boire de l’eau ! ordonne le commandant Mohedano qui fait irruption dans la baraque. On avait bien besoin d’un épileptique dans la brigade... Toi, va chercher l’infirmier!

Barcelone.
Je ne suis pas épileptique, je ne l’ai jamais été. J’ai une bonne constitution et ça se voit, les yeux des femmes me le disaient, mes soirs de liberté sur la rue Gran de Gràcia, quand je flânais en chemise blanche avec Esperança à mon bras. Au printemps de 1936, alors que tous les éléments de la catastrophe se mettaient en place un à un et que moi, je m’obstinais à ne pas vouloir y croire. Badia, le chef de la police auquel je devais obéissance, s’était fait descendre en pleine ville, rue de Muntaner. Je me serais bien gardé de dire ça tout haut, mais à force de faire liquider des anarcho-syndicalistes, ça ne pouvait que mal finir pour lui. Ces gars-là ont fini par se lasser de se faire massacrer sans réagir. Ainsi que le disait Tomás, mon copain d’enfance qui faisait partie de cette mouvance-là, c’était de la légitime défense.
Je me revois un soir d’avril, sortant de l’immeuble où je louais à ma tante l’appartement du premier étage où elle vivait auparavant avec mon oncle, dans le haut de la rue de Melendez Pelayo. J’étais d’assez bonne humeur pour m’adresser au perroquet vert d’Adrià, le fabricant de jouets du rez-de-chaussée, qui installait sa cage sur le pas de porte de son atelier.
– Je te sors ce soir, Coco ?
Ce à quoi le volatile répondait à chaque fois par la seule phrase qu’il ait réussi à apprendre:
– Tira’t d’allà ! 3
Il y mettait un ton si convaincu que ça me faisait toujours marrer. La brise qui remontait de la mer rafraîchissait l’air, j’aimais en flairer le parfum de large et de liberté. Je suis allé chercher ma moto que je garais dans une cour plus bas dans la rue ; retapée pendant de longs mois, ultime souvenir de mon époque de mécano. Et je suis parti rejoindre Esperança qui vivait encore dans son taudis de Poblenou, embelli par sa seule présence.

3 - Tire-toi de là !
Commenter  J’apprécie          40
De l'Espagne, enfant, il ne savait que la tristesse, le deuil de la perte de quelque chose qu'il n’avait jamais possédé et qui pourtant le hantait.Cette même douleur qui faisait s'arrêter sa mère en plein mouvement, les yeux dans le vague, perdue dans un souvenir qui lui était inaccessible. [...] Il n'était pas comme les autres, puisqu'ils le clamaient. Mais il n'était pas non plus comme les siens. Qui était-il donc ? Il ne possédait pas la réponse.
Commenter  J’apprécie          40
La mort ne l'effrayait pas, mais il y avait mieux à faire. Vivre. Et emmener avec lui la mémoire, comme un précieux butin. La fille de l'assassin l'accompagnait, sa sœur. Elle qui s'était retournée contre le mal et avait provoqué la dernière mort, celle qui mettait un terme au massacre. Sa sœur était la plus belle chose à laquelle il aurait pu rêver. En reliant les deux pans de l'histoire, elle la transformait en prodige.
Commenter  J’apprécie          30
Près de la station essence où se pressent les scooters, quatre jeunes marchent dans ma direction, beaux, cheveux longs, les filles seins nus sous leurs tuniques légères, les garçons barbus, en tee-shirts et sandales, deux d’entre eux sacrifiant à la tradition locale avec leurs paniers de corde tressée. Trois vieilles femmes de dos, tout de noir vêtues, sont sur le point de les croiser. Aucune ne parvient à l’épaule des jeunes gens, façonnées depuis des générations par les maigres ressources de leur île. Elles n’ont aucune idée de la vie de ceux-là ni de ce qu’ils pensent. Leur monde
à elles, clos et isolé, peine à émerger de quarante
années d’enfermement et de crainte. Deux cultures
aux antipodes. Qu’ont-elles à se dire ? Et qui suis-je,
moi si semblable à première vue aux visiteurs, alors
que les fils qui me relient à Formentera baignent dans le sang et les larmes de ses reclus ?
Commenter  J’apprécie          20
Avais-je du regret de ce qui s’était passé avant ? Je savais tourner le dos à un brouillon de vie, où tout sûrement n’était pas raté. Mais il était temps de me détacher de la Suzanne que j’avais été jusque-là. Puisque j’étais celle qui avait survécu. Qui n’avait plus d’illusions et savait ne pouvoir faire confiance à personne.
Commenter  J’apprécie          20
J’ai passé plus de temps à courir après les anarchistes, dans leurs repaires du Raval on de Poble sec où ils noud filaient souvent entre les doigts, pour les coffrer à la prison Modelo, qu’à inquiéter les patrons .Une bonne façon de découvrir la différence entre ordre et justice. »
Commenter  J’apprécie          20
L'eau phosphorescente glisse sur la peau de Hina, la porte et soutient sa nage souple et silencieuse. Elle se sent heureuse, en paix avec elle-même et avec les hommes, porteuses de vie et d'amour, femme de terre et d'eau, femme 'enana et hao'e, lien de deux mondes qui fusionnent en elle. Elle porte les villes de là-bas, avec leurs rues pavées, leurs voitures à chevaux, leurs femmes en robes et chaussures vernies, leurs maisons de pierre et la vie d'ici, de fruits et de vent, de vagues et de parfums, de liberté et de tapu.
Commenter  J’apprécie          20
L'île l'habite, palpite en lui, comme un corps gigantesque dont il ne peut se détacher.
Commenter  J’apprécie          20
Elle aussi s'attristait de renoncer à ses séances qui lui avaient permis de faire naître une autre femme en elle-même. Car au-delà du plaisir que lui apportait sa relation avec l'officier, les livres avaient ouvert sa conscience et lui avaient fait mesurer la fragilité de son petit monde insulaire.
Commenter  J’apprécie          20
Et c'est elle qui bougea comme la houle, avec douceur et puissance, toute en flux et reflux, souveraine, tandis que l'homme immobile et émerveillé suivait de ses mains les courbes du corps offert. Balancés de roulis, accompagnés du bruit régulier du clapot contre la coque, leur mouvement se transforma en une vague qui prit le temps de se dresser avant de déferler et d'exploser, puissante, les laissant effondrés, le souffle court, sur les draps défaits de la couchette.
Commenter  J’apprécie          20
Car en entrant dans le savoir contenu dans les livres du Français, elle avait non seulement appris à déchiffrer et à écrire dans la langue de son père, mais elle avait accédé au monde des blancs et à la façon extraordinairement complexe dont il était organisé. Le plus déroutant était qu'aucune force magique ne s'y exerçait. Tout y avait une explication basée sur la raison, qui était une façon de penser contraire à la tradition. Leurs nombreuses lois écrites paraissaient leur apporter plus d'obligations que de bonheur.
Commenter  J’apprécie          20
Il sanglote. Il pleure enfin toutes les larmes que depuis la mort de son épouse il retenait. L'eau coule de ses yeux par torrents et c'est une peine venue de loin, grossie de son amour mort. Et c'est comme si le requin en fuite avait relâché dans la mer en plongeant tout l'amour dévoré dont il ne savait que faire. Et cet amour-là, en retrouvant sa place dans la poitrine de l'homme, en le gonflant d'émotion, en chasse l'eau salée croupie de sa tristesse.
Commenter  J’apprécie          20
Et quand Alban, lassé d'observer les tatouages géométriques qui recouvrent ses avant-bras, chaîne de crabes comme des hommes, lignée dont il est un maillon, se retourne vers l'intérieur de lui-même, il est pris de vertige devant le vide qu'il découvre, puits abyssal étroit comme une racine, qui plongerait jusqu'à une profondeur telle que toute vie a cessé et que n'existe là qu'une éternelle solitude.
Commenter  J’apprécie          20
De sa place sur la terrasse de pierres polies, elle peut apercevoir, dépassant de hautes masses vertes, la tête de son fiancé qui lui fait des grimaces et des signes de la main. Il lance les fruits à un enfant qui les rattrape en riant. Ce bonheur est si doux qu'elle se demande s'il sera assez solide pour qu'elle puisse se reposer sur lui.
Commenter  J’apprécie          20



Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Serge Legrand-Vall (47)Voir plus


{* *} .._..