Un bistrot, c'est la vie, c'est un lieu d'échanges, de confidences. C'est surtout un peu de liberté retrouvée, je lui ai tout raconté, la captation d'héritage, la spoliation éhontée (...), l'hospitalisation d'office (...)
Le plus dur, pour moi, c'était surtout l'impossibilité définitive de cultiver mon coin de potager, de cueillir mes fruits, de me ressourcer dans mon jardin, bref d'avoir un chez-moi. La nature me manque. Elle est ma source de vie, ma seule consolation. (p. 50)
Etonnant comme on choisit toujours des noms printaniers pour les maisons de vieux: Les Volubilis, Les Violettes, Les Primevères, Les Roses, Les Eglantines, Les Mimosas, Les Pervenches, Les Coquelicots, ...ou des noms d'oiseaux: Les Mésanges, Les Bouvreuils, Les Tourterelles... jamais on n'appellerait ces maisons: Les Chrysanthèmes, les Corbeaux, Les Vautours, Les Faucons, Les Busards...Etrange...Ce serait pourtant plus adapté...Il faut donner de l'espoir aux vieux, leur faire croire qu'ils vont entrer au paradis pour leur dernier séjour sur terre, du moins un avant-goût de paradis...(p. 99)
C'est un paysage intemporel dans un silence sépulcral. J'ai toujours aimé ces paysages d'hiver. Lou partageait cet amour. Si souvent nous sommes partis, quand il neigeait, pour de longues et infinies promenades dans les champs. Nous regardions la beauté franche envelopper la terre, habiller les arbres et les ruisseaux, les haies, les hameaux, effacer les routes et les chemins, estomper les clôtures. nous étions les voyageurs d'un autre temps. (p. 132)
J'aimais sa présence, son regard. Elle me manque, elle est là, si présente malgré tout. Je lui parle, je lui explique ce que je fais, lui demande si elle n'a pas froid, lui dis que je l'aime...et me traite de vieux fou. Avec l'âge, les souvenirs s'accrochent en images si présentes qu'on les croirait réelles. On n'a plus la notion du temps. Le passé, le présent, l'avenir, tout se confond parfois.
Çà m'a pris comme ça, un matin de juin. Une folle envie de fuguer. Je suis sorti juste après le petit déjeuner. J'ai gagner rapidement la sortie de la ville, trouvé la départementale et j'ai levé le pouce.
On se croit immortel et toujours jeune, pétant la vie et aspirant à l'éternité et puis ça vous tombe dessus comme la foudre sur un pauvre diable, un petit accident et paf, c'est la vieillesse qui vous fait trébucher et la petite- nièce adorée s'empresse de vous le faire remarquer en s'inquiétant pour votre santé, bien sûr, pour l'entretien de cette petite propriété à laquelle vous tenez tant mais c'est la vie, tonton, il faut savoir être réaliste...(p.11)
Les vieux, comme les chiens et les enfants sont interdits de vagabondage. Cette société est liberticide et intolérante. (p. 130)
Le plus dur, pour moi, c'était surtout l'impossibilité définitive de cultiver mon coin de potage, de cueillir mes fruits, de me ressourcer dans mon jardin, bref d'avoir un chez-moi. La nature me manque. Elle est ma source de vie, ma seule consolation.
Et voilà... Retour à la case prison. Ma liberté s'arrêtait là où la société occidentale et policée avait une limite. Un vieil Indien du Québec aurait pu s'installer librement dans les bois, y vivre et y mourir tranquillement. Un vieux Français ne pouvait avoir sa place que dans un lit d'hôpital..Ce placement liberticide rassurait la société. (p. 82)
Terrifiante la façon de traiter les vieux dans notre société ! J'avais vécu plus d'un an , avec Lou, à Dindéfelo, un petit village du Sénégal, dans la province de Kédougou, l'année de ma retraite. Les vieillards siégeaient au conseil des anciens et même s'ils ne parlaient plus, s'ils étaient presque impotents, ils
étaient là révérés, honorés. Même Zoé, le vieux fou, atteint sans doute d'Alzheimer, qui errait dans le village, était respecté. Lorsqu'il disparaissait, ce qui arrivait souvent, on envoyait les enfants du village le chercher. Ils le ramenaient toujours avec une douceur, une tendresse qui nous émouvaient, surtout Lou, qui adorait les personnes âgées. (p. 84-85)