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Citations de Serge Sanchez (12)


En mars 1901, un an après le tollé soulevé par La Philosophie, un nouveau scandale éclatait autour de Klimt. Il était cette fois provoqué par la deuxième de ses grandes peintures pour l’Université, La Médecine, qui tenait la vedette à la dixième exposition de la Sécession.
Après ceux de Platon, c’étaient donc maintenant les disciples d'Esculape qui se liguaient contre une œuvre de Klimt jugée tout aussi démoralisante qu'indécente. La presse s'enflamma très rapidement : le conflit entre le peintre et les professeurs devenaient un feuilleton apprécié de lecteurs. Il faut dire que l’institution universitaire était une dame d'âge respectable qui supportait mal d'être bousculée. Elle avait vu le jour en 1365 et l’Autriche se glorifiait particulièrement d'être à la pointe de la recherche médicale. L’entêtement de Klimt - un vulgaire artiste ! - apparaissait comme une invraisemblable provocation. Car le magma de corps humains que présentait son tableau, ce chaos de chair, de désirs et de maux, était plus sombre encore que celui de La Philosophie. Il ne laissait aucun espoir. Une chute continue. Une mise en images des pensées démoralisantes de Schopenhauer pour qui la vie n'est qu'une "attente sotte, des souffrances ineptes, une marche titubante à travers les quatre âges de la vie, jusqu’à ce terme, la mort. " Même l'amour maternel, sacré entre tous, n'y pouvait rien. Pas plus que la science. Une jolie femme au corps dévoilé côtoyait d'insoutenables représentations du désespoir. Qu'est-ce que cela pouvait bien signifier ? Où allait-on si les bras d'une mère n'offraient aucune sécurité à un enfant ? La Médecine, personnalisée par la déesse grecque Hygie, était belle, mais démunie, dépassée par la misère générale. Et où voyait-on la guérison ? Nulle part ! Pourtant, n’avait-on pas commandé au peintre une œuvre célébrant la gloire de l'institution impériale ?

Scandale au ministère
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Les peintures de Kunsthistorisches Museum, qui avaient demandé deux années de travail, furent achevées en 1892. La commission artistique du ministère se montra extrêmement satisfaite par les réalisations de Matsch et des frères Klimt, à tel point qu'il fut envisagé, dès cette époque, de leur confier la réalisation des peintures du plafond de l'aula magna, prestigieuse salle des fêtes de la nouvelle Université de Vienne, érigée sur le Ring selon les directives d'Heinrich von Ferstel. La commande fut officiellement validée le 4 septembre 1894. Il s'agissait d'illustrer, et bien entendu de glorifier, les matières enseignées à l'Université. Matsch se vit confier la Théologie ainsi que le panneau central, qui devait symboliser le triomphe de la lumière sur les ténèbres, en d'autres termes de la connaissance sur l'ignorance. Klimt, lui, se chargerait de représenter la Philosophie, la Jurisprudence, la Médecine, ainsi que, sur une dizaines d'écoinçons, des allégories comme l'Histoire, la Philologie, l’Anatomie, les Sciences naturelles...Il s'agissait d'une commande extrêmement importante, et qui ouvrait d'immenses perspectives aux jeunes artistes. Ils étaient cette fois entièrement maîtres du chantier, depuis le projet initial jusqu'aux ultimes détails de son exécution. Il va sans dire qu'on attendait d'eux un genre de peinture classique, en accord avec l'image d'une institution des plus honorables. Cela convenait à Matsch. Mais Klimt avait commencé de donner des signes discrets d'insoumission vis-à-vis des ronflants mots d'ordre de l'administration impériale.

Le loup dans la bergerie
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La dernière des grandes réalisations pour l'Université était d'une facture très différente des deux précédentes. Elle n'avait d’ailleurs plus grand-chose à voir avec l'esquisse du projet que Klimt avait soumis aux représentions du ministère. Les querelles au sujet des œuvres précédentes l'avaient décidé à revendiquer de plus en plus fermement son indépendance. Les personnages ne flottaient pas dans une sorte de flux cosmique, mais dans une structure plus solide et ornementée. Hevesi, qui avait vu La Jurisprudence en atelier, et peut-être à cause des couleurs utilisées, le noir, le rouge et l'or, lui trouvaient une ressemblance avec des mosaïques italiennes...
Mais qu'y voyait-on ? Le coupable, nu, tête basse, pris dans les tentacules d'une pieuvre, des femmes nues aux chevelures abondantes... Et la Justice, bien sûr, insignifiante en haut de la toile.

Judith et la pieuvre
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Le jour viendra où les personnes comme moi regarderont le meurtre des animaux comme ils regardent aujourd'hui le meurtre des humains"

Léonard de Vinci
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La septième exposition du mouvement Sécession se tint du 8 mars au 6 juin 1900. Klimt y exposait le Portrait de Sonja Knips, ainsi que des paysages comme Après la pluie ou Un matin sur l'étang. Mais le public viennois fut surtout invité à découvrir une première versoir de La Philosophie, tableau destiné à l'aula magna de l'Université et qui suscitait déjà beaucoup de commentaires.
Trente-cinq mille visiteurs se déplacèrent pour le voir. Un record ! On s'attendait à une œuvre édifiante, une représentation pseudo-historique dans le genre de L'École d'Athènes, de Raphaël, un grand tableau représentant Platon, Pythagore, Euclide devisant tranquillement sous le portique d'un temple grec. Bref, un monument à la gloire des vieux philosophes dont les éminents professeurs de l’Université assuraient brillamment la relève. Mais là, l'humanité impuissante semblait emportée dans un maelström sidéral, une cascade galactique où triomphaient la souffrance, l'inquiétude et la mort, balayée par un destin contre lequel il était inutile de se révolter, contre lequel la pensée humaine était impuissante. Un visage surgissait des étoiles. Autour de lui, s'accomplissait le cycle de la vie, de la naissance à la vieillesse et à la mort, en passant par les étreintes de l’amour ou, pour être plus précis : de la reproduction.En bas à gauche, une femme fixant le spectateur de ses yeux sombres représentait la connaissance. Mais où était la sagesse, l'enseignement salvateur de la pensée rationnelle dans tout ça ? Car voilà, à travers la représentation de la philosophie, les professeurs de l'Université entendaient voir célébrer la victoire de l’intelligence humaine - dont ils étaient les représentants sur terre, contre l'obscurantisme. Klimt ne prenait pas parti. Il laissait la question l'emporter sur la réponse, comme l'a écrit Werner Hofmann. Et, selon toute évidence, son œuvre remettait en cause la prétention des docteurs à percer les énigmes de l'univers.

Des sphères brillantes en nombre infini
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Vienne, alors en pleine expansion, était une ville puissante et ambitieuse. Ses dernières maison, écrit Stefan Zweig, se "reflétaient dans le cours puissant du Danube, ou donnaient sur la vaste plaine ou se perdaient dans des jardins et des champs ou grimpaient dans de douces collines sur les derniers contreforts des Alpes que la forêt tapissait de vert". À l'intérieur des anciens remparts, le linienwall, le cœur historique de la cité avait énormément de charme. Il abritait le Hofburg, ou résidence impériale. La noblesse et la bourgeoisie aisée y occupaient de magnifiques demeures. On pouvait y admirer une foule de bâtiments somptueux et d'églises, de belles places et des promenades ombragées, de riches bibliothèques, un observatoire, des musées de toutes sortes, mais aussi des fabriques de porcelaine, de miroirs, de dentelles d'or et d'argent, de fleurs artificielles, d'instruments de musique... Tout y était plus cher, plus luxueux que partout ailleurs. Une taxe sur les aliments qui traversaient l'enceinte décourageait les pauvres de s'y installer. Au-delà des remparts, comme à Baumgarten, les faubourgs abritaient les industries. Gens des campagnes, mais aussi déracinés de toutes nationalités, comme Bohémiens, Tchèques, Ruthènes, Polonais, Roumains, Serbes, et même Grecs, échouaient ici pour servir de main-d’œuvre. Ils n'y trouvaient pas la richesse, pas même le bien-être, seulement l'espoir de survivre. Les loyers atteignaient des sommes exorbitantes et les logements pouvaient être loués à plusieurs familles à la fois:tandis que les uns travaillaient, les autres dormaient. C'étaient les trois-huit de la misère. La prostitution était courante. Avec l'insalubrité et la promiscuité, les maladies proliféraient, en particulier la syphilis ou la tuberculose, spécialité locale, comme la valse ou le croissant, à tel point qu'elle fut surnommée la "maladie viennoise".

Des immigrés dans la Vienne Impériale
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L'École des arts et métiers comprenait quatre départements : dessin et peinture figurative, dessin et peinture décorative, architecture, sculpture. Elle offrait aux élèves des débouchés techniques et préparait aussi au professorat de dessin dans les collèges après trois années de formation. Il vaut la peine de noter qu'elle était ouverte aux femmes, ce qui était alors extrêmement audacieux. L'Académie des beaux-arts de Vienne ne deviendra mixte qu’en 1921 !
L'École des arts et métiers était un établissement très récent lorsque Klimt y entra. Elle avait été créée en 1867 sur une proposition de Rudolf von Eitelberger. Titulaire de la chaire d'histoire de l'art à l'Université de Vienne, ce dernier dirigeait le musée d'Art et d'Industrie, une institution aussi relativement nouvelle puisqu'elle avait ouvert ses portes en 1864. Selon une idée très novatrice, l'école et le musée devaient entretenir des liens étroits. À vrai dire, Eitelberger avait pris modèle sur l'école rattachée au South Kensington Museum de Londres, l’actuel Victoria and Albert Museum. En effet, après la première Exposition universelle, qui s'était déroulée dans la capitale anglaise en 1851, l'idée avait germé d'assurer au sein d'un même établissement un enseignement qui regrouperait l'art, la science et l'industrie. Celui-ci y était beaucoup moins conventionnel qu'à l'Académie des beaux-arts et, en tout cas, plus ouvert sur le monde moderne et les innovations techniques, qui se multipliaient alors et prenaient une importance croissante dans la vie quotidienne et l'économie du pays. En d'autres termes, il s'agissait d'introduire de la beauté dans la production industrielle. Dans l'esprit d'Eitelberger, l'École des arts et métiers avait pour ambition de permettre à l'Autriche de trouver sa place dans l'économie internationale. Avec le temps, une réflexion s'amorça au sein des établissements anglais et viennois sur la notion de Gesamtkunstwerk, ou œuvre d'art totale, qui joua un rôle déterminant dans la genèse du mouvement Arts and Crafts en Angleterre, comme dans celle du Jugendstil viennois.

Les Arts et Métiers, une école novatrice
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L'affiche de la première exposition sécessionniste avait été dessinée par Klimt. Il s'agissait du Thésée terrassant le Minotaure déjà publié dans Ver Sacrum. Le taureau agonisant représentait évidemment la Maison des artistes, ou plus largement la tradition ancienne. La censure ne releva pas ce point, mais elle demanda à l'artiste de corriger la nudité du héros victorieux. C'est ainsi que Klimt ajouta sur son dessin deux arbres, dont les troncs providentiels masquaient le bas-ventre de Thésée. Cette pudibonderie était d’autant plus ridicule que Ver Sacrum, comme nous l'avons dit, avait déjà publié la version originale du dessin (sans les arbres), mais aussi par ce qu'un Thésée luttant contre le Centaure (1805) de Canova, une sculpture dont Klimt avait pu s'inspirer, trônait en évidence dans l'escalier monumental du Kunsthistorisches Museum, sans voile ni végétation d'aucune sorte.

Printemps sacré
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« Il fut la rupture, l’artiste qui fit du nouveau chaque jour de sa vie… » (Arnold Crane)
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Quand quelqu’un me demande d’expliquer une toile, je lui demande de m’expliquer un arbre – et il devient muet comme une souche.
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Ma plus belle oeuvre d'art, serait-ce ma vie ? se demandait François Augiéras. Mais qui connaissait jusqu'ici son existence flamboyante, cette aventure spirituelle qui commence et s'achève dans les grottes du Périgord ?
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L'homme habillé est finalement plus nu que nu, car son apparence, précisément, le dévoile. "L'habit fait l'homme", a dit Pascal. Mais si le vêtement peut révéler la vérité de l'être, il a aussi pour fonction de tromper, il est même cousu de gros fil blanc dans ce paradoxe.
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