Schlomoh Brodowicz

Dans le deuxième tome de L'Archipel du Goulag, Soljenitsyne relate la façon dont la vie dans les camps de travail soviétiques causait la déchéance morale autant que physique des détenus. Il fallait se livrer à toutes sortes de bassesses et de vilenies pour espérer obtenir une meilleure ration de nourriture, échapper à certains travaux pénibles ou grappiller encore quelque autre dérisoire avantage. Il raconte l'histoire d'un détenu inflexible qui préférait subir les pires traitements, effectuer les travaux les plus dégradants plutôt que de ruiner son âme en se soumettant aux sordides usages de la vie concentrationnaire. Paradoxalement, raconte l'auteur, cet homme qui était arrivé au camp avec une santé très précaire vit celle-ci s'améliorer considérablement, à mesure que son âme, elle, gagnait en noblesse. "Cet ascendant de l'âme sur le corps, dit l'auteur, on ne le connaît plus. On ne le comprend plus."

Le hassidisme sut, lui aussi, retentir de cette noblesse à laquelle atteint une âme qui ne se plie à aucune déchéance. Un hassid Loubavitch du nom d'Eliézer Nanass passa vingt ans dans les camps de travail soviétiques. Durant sa captivité, il acquit le surnom de Subota qui signifie en russe "Chabbath", eu égard à ce que, malgré les coups, les privations, les brimades et l'acharnement de ses geôliers, il avait décidé qu'il ne transgresserait jamais un seul Chabbath. Aucune cruauté déployée contre lui ne sut infléchir sa détermination.

Après être parvenu à quitter l'Union Soviétique, il rencontra le Rabbi. Au cours de leur entretien, le Rabbi lui assura que ses vingt ans de captivité et de souffrance ne "comptaient" pas dans les jours qui lui avaient été alloués sur terre et qu'ils lui seraient restitués. C'est ainsi qu 'Eliezer Nanass quitta ce monde âgé de cent ans, le Chabbath qui précédait la fête de Pourim, le jour où, dans toutes les synagogues, on faisait la lecture publique du verset : "Souviens-toi de ce que t'a fait Amalek..."

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Lors de son incarcération [en 1799, en Russie tsariste], Rabbi Chnéour Zalman, que l'on n'avait pas autorisé à se faire apporter de la nourriture cacher, refusa trois jours durant de s'alimenter. Il reçut alors la visite d'un dignitaire qui lui dit :
"Je connais bien vos lois. Elles vous prescrivent de sauver, avant tout, votre vie. Vous avez le devoir de manger la ,nourriture que l'on vous donne ici, faute de quoi, si vous mourez, votre religion le considérera comme un suicide et vous serez privé de votre paradis.
- C'est parfaitement exact, répondit le Rabbi. Mais dussé-je en perdre mon paradis, rien ne me fera prendre en bouche de la nourriture non cacher."

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