Serge Stoleru_l'Entretien Semistructuré Multiregistres
Il faut cependant bien souligner que l’idée de réductionnisme est insolite quand on parle du cerveau : le cerveau humain est l’un des objets les plus complexes de l’Univers, par le nombre de ses neurones et surtout le nombre des connexions entre les neurones. Aussi, même si nous étions amenés à conclure que le désir sexuel est expliqué par le fonctionnement du cerveau, pour qui connaît, même un peu, le cerveau, s’agirait-il plus d’une complexification que d’une simplification.
Les pulsions ont des racines qui s’enfoncent, très profondément, dans la petite enfance. Mes premiers émois amoureux, je les ai vécus avec ma mère, admit-il. Sigmund me rassure : tous les petits garçons sont amoureux de leur mère dans leurs fantasmes œdipiens. Marc avait lu que, pour Freud, dès les expériences de succion du sein ou du biberon, les lèvres se comportent comme une zone érogène. Pour le bébé, l’acte de succion ainsi que la perception linguale et buccale du lait chaud sont, non seulement l’occasion de se nourrir, mais aussi celle de ressentir un plaisir que Freud considère comme sexuel. Ce n’est que plus tard, et surtout à l’adolescence, au moment des premiers baisers amoureux, que les lèvres et la langue procureront des plaisirs purement sexuels, sans lien avec la nutrition.
« L’interprétation des rêves est, en réalité, la voie royale de la connaissance de l’inconscient », avait dit Freud. D’ailleurs, était-ce un hasard, une simple coïncidence, que Freud ait placé le désir sexuel au cœur du rêve et que, de leur côté, les neurophysiologistes aient constaté que les hommes, tout comme les rats, ont une érection au moment du sommeil paradoxal, c’est-à-dire au moment où, si on les réveille, ils rapportent régulièrement être en train de rêver ? L’existence du sommeil paradoxal indiquait l’existence d’un substratum cérébral, bien réel mais encore mystérieux, sous-jacent aux rêves et aux érections qui les accompagnent.
Le désir, c’est celui qui se manifeste en moi, ce que je ressens – pas toujours distinctement, mais tout de même, j’en suis conscient. Même si, parfois, il se cache dans les profondeurs de mon inconscient. Le cerveau, c’est celui qui se loge dans ma boîte crânienne, je ne le connais pas directement. Nous verrons ici quelles sont les briques élémentaires, les neurones, qui participent à son édification. Les hormones sexuelles, ce sont ces molécules sécrétées dans le sang, principalement par les glandes sexuelles, et qui ont un effet déterminant sur le désir et sur le cerveau.
Point très important, les fantasmes sexuels impliquent l’imagination d’actes, d’actions ; ce sont des scénarios plus ou moins élaborés, remplis de mouvements et de gestes à caractère sexuel, où la personne qui fantasme apparaît soit en position active, soit en position passive, soit même les deux tour à tour. Tandis que Marc est plongé dans une rêverie à propos de Jeanne, et qu’il s’imagine la caresser, l’embrasser, la serrer dans ses bras, que se produit-il dans son cerveau ? Existe-t-il des régions qui soutiennent cette activité fantasmatique ?
Pourquoi le fait de regarder une vidéo où apparaissent deux personnes qui font l’amour induit-il une excitation sexuelle chez le spectateur ? Cette question peut sembler saugrenue et la réponse paraître évidente à celles et ceux qui apprécient les vidéos érotiques, mais elle semblera un peu moins évidente à qui n’en est pas fan… mais qui, pourtant, aura aussi peut-être une réaction d’excitation sexuelle. La réponse est-elle si évidente ? Ça m’excite parce que… parce que quoi, finalement ? Peut-être que je m’identifie à l’acteur ou à l’actrice ?
Hier, je me suis senti attiré par la fille en face de moi dans le métro. Je voulais la voir, contempler son visage et ses yeux, qu’elle me regarde, regarder ses seins sous son pull, ses fesses, le reste, m’approcher d’elle, la séduire, qu’elle m’aime, sentir l’odeur de sa chatte, de son cul, la pénétrer, qu’elle me sente à l’intérieur d’elle. Pour Freud , ces désirs que j’ai ressentis consciemment ne sont que la partie émergée de l’iceberg, mais Freud s’intéresse surtout à la partie immergée.
Le terme « Ich » de la phrase allemande de Freud est d’ailleurs préférable au terme « moi » car il signifie « je », et le « je », c’est le langage et la conscience. Et c’est grâce au langage et à la conscience que nous avons la possibilité de devenir actifs. On pourrait paraphraser la citation de Freud, en disant : là où il y avait du non-langage (des ressentis émotionnels et corporels, des fantasmes), doit advenir du langage (les mots pour les penser, éventuellement les dire).
C’est cette impulsion pressante poussant à agir, à faire quelque chose, à se rapprocher de l’autre, et à le (la) toucher, le (la) caresser, l’embrasser, etc. Si cette motivation sexuelle n’existait pas, il n’y aurait pas non plus de rêverie. Les femmes ou les hommes nous apparaîtraient peut-être beaux ou laids, mais sans que ces attributs aient le moindre rapport avec leur attractivité sexuelle. Ainsi, ce jugement serait purement esthétique.
Bref, est-ce que trop de raison tue l’amour et la passion dans ce qu’ils ont de plus beau, de plus créatif, de plus jouissif, de meilleur ? À vrai dire, ce n’est pas l’affect d’amour ou de désir sexuel dont il importe de se faire une idée claire et distincte, mais plutôt de leurs ratés, de leur empêchement, de la haine et de la jalousie qui s’y mêlent, de leurs déviations et de leurs excès où nous nous détruisons ou détruisons autrui.