Confession dun voyou , Sergeï Essénine
lecture de Denis Lavant
Le bonheur disait-il,
C'est une affaire d'agilité
Des mains et de l'esprit.
Les âmes maladroites, on le sait,
Sont malheureuses dans la vie.
Et peu importe que les gestes
Distordus, mensongers
Soient une source de tourments.
Dans les orages et les tempêtes,
Au coeur du quotidien fade et figé,
Dans les plus lourdes des pertes
Et quand la tristesse t'inonde,
Paraître simple et souriant
Est l'art le plus sublime au monde.
Sur le lac s'est tissé la pourpre du couchant.
Les tétras dans les bois sanglotent en tintant.
Quelque part dans un tronc c'est un loriot qui pleure.
Moi seul ne pleure pas : il fait clair dans mon coeur.
Je sais que tu viendras par le sentier ce soir,
Dans les meules fraîches nous irons nous asseoir.
Je t'embrasserai et te froisserai comme une fleur.
Méprisant les ragots car grisé de bonheur.
Et ton voile de soie tombé sous mes caresses,
Tu vas dans les buissons partager mon ivresse.
Les tétras peuvent bien tinter en sanglotant,
Joyeuse est la tristesse pourpre du couchant.
Horizons dorés et si flous !
La vie brûle tous ses convives.
Et j'ai fait le porc et le fou
Pour que ma flamme soit plus vive.
Le poète griffe et caresse,
C'est son destin et son devoir.
J'ai cherché à marier sans cesse
La rose blanche au crapaud noir.
Et qu'importe que dans les flammes
Mes desseins roses aient péri.
Si des démons nichaient dans l'âme,
Les anges y vivaient aussi.
....
1923
Violon tzigane, la tempête gémit.
fillette gentillette au sourire fielleux
Me laisserai-je intimider par ton regard bleu ?
Il me faut beaucoup, beaucoup m'est superflu.
Si loin, si dissemblables en somme :
Tu es jeune, moi j'ai tout vécu.
Aux jeunes le bonheur, à moi la mémoire seule :
Nuit de neige, étreinte fougueuse.
Câliné? Non. La tempête est mon violon.
Un sourire de toi lève la tempête en moi.
La lampe projetait sur le poêle blanc l'ombre sautillante de son crochet vissé au plafond. Un grillon grésillait derrière le fourneau, et dans la soupente le chat aux oreilles grises, pattes repliées, somnolait.
La tempête de neige tourbillonne,
Par les champs file une troïka.
Dans la troïka une autre jeunesse.
Où est mon bonheur? Où est ma joie?
Tout roule sous la folle rafale
Et cette enragée troïka.
( Poèmes 1910-1925)
Je n'appelle, ni ne pleure, ni ne regrette rien,
Tout paSse comme brume de pommiers en fleurs.
Miné désormais par l'or de défloraison
Je ne connaîtrai plus la jeunesse.
Tu ne battras plus comme avant
Désormais, cœur transi,
Plus be t'incitera à flâner pieds nus
La terre du bouleau et du calicot.
Esprit follet qui attisa mes lèvres
Comme tu te fais rare, rare aujourd'hui.
Flots d'émotion, pétulance du regard,
Ô ma fraîcheur d'âme perdue.
De désirs meme je deviens avare.
Ma vie ! Ou be fut-ce qu'un songe ?
Comme si par un bruissant matin de printemps
J'eusse passé au galop sur un destrier rose.
Tous en ce monde, tous sont périssables,
Lentement s'écoule le cuivre de l'érable ..
Béni sois-tu néanmoins dzns les siècles
Toi qui es venu éclore et mourir.
1921
C'était la fête. Après la fenaison, les paysans rentraient chez eux, les corbeaux criards se posaient sur les restes des meules.
Près du fourré, des canards, traçant des rides sur le lac, prirent leur envol dans un sifflement et s'abattirent dans les roseaux.
L'idiot était assis au bord du lac, les jambes ballottant dans l'eau.
- Allez, bois, ordonna-t-il à son bâton.
Les nuages traînaient leur châle jaune, et une voix fondante, mourante, chantait doucement, doucement :
Brûle, mon copeau, je m'éteindrai avec toi
Allons baise, baise-moi, mords
Jusqu'au sang, jusqu'au cri,
Le ruissellement d'un cœur ardent
Ne souffre pas de froideur.
La cruche répandue de joyeux drilles
Ce n'est pas pour nous,car
Comprends tu, petite amie ?
Sur terre nous n'avons qu'une vie !
Promène ton regard alentour,
Et vois dans la nuit moite
La lune comme un corbeau jaune
Qui tourne et plane la haut.
Allons, baise-moi ! Je le veux.
Pourriture déjà me joue un petit air
Celui qui plane dans les hauteurs
A flairé ma mort, c'est clair.
Ô forces déclinantes !
S'il nous faut mourir, mourons !
Mais que jusqu'à la fin
Je baise ces lèvres aimées.
Qu'ainsi dans nos rêves bleus,
Sans honte ni fard,
Au doux frisson des merisiers
Résonne toujours : "je suis à toi. "
Que toujours sur la coupe pleine,
Écume légère, danse la lumière ;
Ores chante et bois, petite amie :
Sur terre nous n'avons qu'une vie !
Sergueï Essenine. 1925