Elle ne croyait plus en lui ni en ce qu’il avait à déblatérer. Elle lui avait dit qu’il était indigne de tout. De son amour. De leur vie de famille. Lorsqu’il avait tenté de se rapprocher d’elle, elle lui avait ordonné de ne pas la toucher, de fermer sa gueule, d’aller retrouver sa salope et de ne pas la faire chier. C’était une première, pour elle comme pour
lui.
Elle voudrait extraire ces pensées qui la tirent de son sommeil. Bannir ces images de nudité crue qui l’assaillent. Elle ne les a pas vus mais elle les voit. Elles sont là. Ces corps enlacés. Ces poses lascives. Ces baisers dérobés. Elle aimerait enfouir sa tête dans le sable, faire table rase et tout oublier. Se persuader que ça n’a pas existé mais les pointes logées dans sa cage thoracique lui rappellent que tout est réel.
Pendant des années, il s’est amusé de sa vie décousue, imparfaite à souhait. Ses problèmes de femmes, de finances et de vie professionnelle le désaltéraient or ce soir, la galère, c’est lui qui la vit. Et c’est cette vérité qui l’éclabousse et bientôt l’étouffe. Cette amitié tissée de fils moqueurs ne l’amuse plus. Elle l’effraie. Rudy n’est pas le plus à plaindre et il ne veut pas goûter à son humour saignant. Il pose son téléphone au sol et s’enroule dans la couverture aux bords élimés. Et alors qu’il s’entortille, il se dit que sa vie est mal façonnée. Au cours des derniers mois, tout était prétexte à l’isolement. Sortir la poubelle. Récupérer le courrier. Chercher des livres à la cave. Il a même été jusqu’à prendre un abonnement en salle de sport et changé sa routine pour se rendre au travail. Il partait plus tôt et s’y rendait à pied pour passer ses coups de fil clandestins sans risquer de voir sa conversation interrompue par un réseau fatigué.
Il fonce dans la salle de bains pour se laver. Il fait glisser la peau de son prépuce vers la base de sa verge et nettoie son gland. Il lustre son pénis, passe du savon sur ses testicules et la crème de douche sur son torse. Dans la baignoire, il s’accroupit pour se nettoyer la raie des fesses. Une fois sec, il se fait un bain de bouche et pense commander à manger. En retournant dans le salon, il se frotte les mains avant d’effacer son sourire niais. Et si tout ceci n’était qu’un guet-apens ? À bien y réfléchir, pourquoi le laisserait-elle dans leur appartement tout seul après avoir tout rangé ? Tout est bien trop propre, et en l’état, ce serait à lui de nettoyer la merde qu’il a semée. Si Yasmine s’en est chargée, c’est parce qu’elle a une idée en tête. Forcément. Il sue et inspecte la bibliothèque, les étagères. Il regarde entre les livres, les cadres, derrière le métronome et ne trouve rien. Pourtant il le sent, il est surveillé.
Ce type ne tirait son épingle que par sa bonne tête. Son bagout n’avait rien de lumineux. Même ses lettres de recommandation étaient fades. Elles avaient suffi à retenir l’attention de Niklas mais il en aurait fallu plus pour qu’il soit séduit et qu’il ait vraiment envie de le voir dans son écurie. En l’état, Jean-Vincent était un mal nécessaire. Il fallait étoffer l’équipe et c’était lui qu’il allait recruter mais ça aurait pu en être un autre. Niklas n’avait pas voulu répondre dans la foulée. Il avait laissé traîner trois semaines avant de se décider à faire avancer sa candidature en interne. Il ne voulait pas qu’il s’imagine être indispensable et encore moins en terrain conquis. Pourtant, pendant ce processus de recrutement, Niklas restait indécis. Ce n’était ni la tournure de leur échange ni même son air hautain qui le dérangeaient. Ce qui le gênait se nichait ailleurs. Dans les silences et les regards.
Signer ce message d’un « Je t’embrasse » ou d’un « Je t’aime » est également devenu compliqué. Il a joué avec le feu et en ressent les effets lorsqu’il repense à la réaction de Yasmine, ce fameux vendredi, trois jours plus tôt. Alors, il ne veut plus d’esclandres. Il lâche son téléphone sur sa table de travail et s’enfonce dans son fauteuil. Il ferme les yeux et appuie sur ces deux paupières. Après un temps court, Niklas se redresse et prend son calepin. Il ouvre le tiroir et saisit un stylo au hasard. Il tombe sur son premier Montblanc et éprouve de la nostalgie. Ce stylo, il l’avait acheté pour la signature de l’acte authentique de vente de leur appartement. Yasmine lui avait dit qu’il en faisait peut-être un peu trop et il lui avait répondu que c’était un jour important. Il avait fanfaronné, heureux comme un paon de s’être offert un tel objet.
Elle a honte de l’aimer toujours. Et presque plus fort. Elle le vénérait pendant son sommeil. Allongée à ses côtés, elle contemplait ses traits de visage sillonné par la taie d’oreiller. Parfois, il lui arrivait de vouloir déposer un baiser sur son front avant de fustiger son élan.
Sans réseau ni relations, je fais comment pour nous faire manger après dans ta campagne ? Tu réfléchis avant de parler ? » C’était le problème. Il la dénigrait souvent alors aujourd’hui, il ne sait pas par où commencer pour se faire pardonner.Il tente de joindre Yasmine sans y parvenir. Ce qui l’aurait horripilé hier ne le gêne pas ce matin. Il n’aurait pas su quoi lui dire de toute façon. Il voudrait se réfugier dans le travail mais n’a pas la tête à ça. Il pense aux achats de Noël qu’il n’a pas fait. Ce serait l’occasion de s’y mettre, il pourrait l’attendrir grâce à ça. Pourtant, il ne peut pas sortir de chez lui. Elle pourrait rentrer et ne pas l’y trouver. Elle le croirait parti retrouver l’Autre et c’est un risque qu’il ne veut pas prendre.
Yasmine a toujours cru que leur rencontre était due au hasard. Elle n’a jamais soupçonné son acharnement et Niklas préfèrerait se faire un Prince Albert que de l’avouer. Il lui avait mis en tête qu’il s’agissait d’un signe de la providence. Et, alors qu’elle ânonnait ses balivernes, il l’écoutait repu de ce qu’elle n’y avait vu que du feu. Ils étaient faits l’un pour l’autre puisque c’était écrit. Elle le répétait à qui voulait l’entendre et c’était parfait ainsi. Il l’en avait convaincue. C’est tout ce qui comptait à ses yeux. Ça et le fait de l’avoir dans son lit car Niklas avait eu faim d’elle au premier regard.
En six mois, il en avait épuisé des tournures, des métaphores, des anaphores. Les dernières déclarations étaient beaucoup plus fades. À l’image de ce qu’il avait toujours connu. De ce qu’il était devenu. Un
homme de quarante ans qui cherchait ce qu’il ne savait pas nommer. Il ne voulait pas admettre que toute passion, même adultère, s’estompe un jour. L’excitation de l’interdit. Le danger de se faire attraper. Le risque de tout perdre. Tout cela l’avait tenu en extase ces six derniers mois et maintenant, il avait un arrière-goût amer.