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Citation de SZRAMOWO


Je m’affalai dans la neige et le regardai s’éloigner dans le crépuscule. Très vite, mes paupières se fermèrent. L’engourdissement me gagnait quand, soudain, mon oreille discerna un lointain raclement métallique. C’était peut-être Smitts qui dégageait la neige de la rambarde de l’auberge à l’aide d’un fer à cheval. Ou un éperon heurtant le gratte-pied de l’entrée. Je ne l’entendis qu’une fois, faiblement mais distinctement, venant de la direction empruntée par Ferris. Je parcourus quelques yards à quatre pattes puis me relevai en chancelant. Cinq minutes plus tard, je distinguai deux pâles lueurs vacillant dans la pénombre, celles d’une torche et d’une lampe à huile. Des portes s’ouvraient. Des gens s’interpellaient. Je devinai un toit pointu.
— Je suis là ! croassai-je. Juste là !
Je perçus des voix. Je vis des silhouettes. Plochman et Smitts me saisirent chacun par un bras et me traînèrent vers l’auberge. Alene accourait, tête nue. Son châle de laine était tombé dans la neige, piétiné par Smitts, mais elle n’en avait cure. J’offrais un piteux spectacle, visage gelé, tunique rougie de sang. Je voulus lui dire que ce sang n’était pas le mien, hélas ! ma langue refusait de m’obéir, aussi me contentai-je de lever la main en guise de salut. Je fus conduit dans la chaleur de la salle et couché sur le plancher, devant la cheminée. Alene s’agenouilla, me frotta les joues, puis ouvrit ma veste, dénoua les lanières de mes jambières et ôta les peaux qui enveloppaient mes pieds. Elle retint sa respiration en les découvrant. D’instinct, je tendis les bras vers elle. Elle prit mes doigts glacés entre les siens et souffla dessus, tentant de les réchauffer.
— Si c’est ce qu’il fallait endurer pour mériter de tenir ta main, ça valait la peine, chuchotai-je.
— Chut, William. Ne parle pas.
Ferris, mon sauveur, était également allongé auprès du feu, raide comme une bûche. La glace qui fondait scintillait sur sa barbe. Le matin, Meeks me donna du laudanum et incisa mes plantes de pied pour en extraire les épines. Je dormis toute la journée et le soir, en ouvrant les yeux, j’entendis au-dehors quelqu’un beugler :
— Cette croupière me rentre dans le cul !
Je reconnus la voix de Pegleg. Encore groggy, je compris que Jed Smith, Moses Branch et les autres étaient arrivés au fort, avec quelques jours de retard sur Ferris. Je me rendormis, le sourire aux lèvres.Le lendemain, des bruits de pas derrière la porte m’éveillèrent en sursaut. Elle s’entrebâilla sur Pegleg, Branch, Bridger, Glass et le capitaine Smith.
Ferris les suivait en clopinant. Ses joues et ses doigts étaient tavelés de taches grises, mais il semblait bien remis, contrairement à moi. Je n’étais pas, comme lui, endurci par une année entière dans les Rocheuses. Il me faudrait des semaines avant de pouvoir recouvrer l’usage de mes jambes. Je me redressai contre les oreillers et leur serrai la main à tous.
— Comment tu te sens, vieille branche ? brailla Pegleg.— Frais comme un gardon !
— Un vrai montagnard solitaire et blessé. Et à moitié gelé. Il te reste plus qu’à te trouver une squaw, et t’auras tout bon.— Il y travaille, il y travaille, plaisanta Ferris.
— Voyez-vous ça, dit Pegleg.
Il prit une bouteille de whisky des mains de Moses Branch et me la tendit.
— Allez, lâche-toi !
Et si t’as besoin de conseils pour apprendre à conter fleurette, te gêne pas, je suis là. Je m’escrimai sur le bouchon.
— Si tu mets autant de temps à tirer qu’à boire un coup, je m’étonne que tu sois encore en vie, blagua Branch. Tiens, donne-moi cette bouteille, bon à rien. Mais commence par nous raconter tes exploits. La bataille d’abord, la bouteille après.
— Il n’y a pas grand-chose à raconter. On a abattu un bison, à l’ouest du grand méandre. Son poids a fait casser la glace et…
— Vous auriez dû attendre qu’il quitte la rivière, remarqua Pegleg.
— Oui, mais Ferris s’impatientait.
— C’est bien connu, dit Branch. Ferris est un gars pressé.
Ils rigolèrent tous. Ferris avait la réputation d’être le plus paisible et le plus réfléchi d’entre nous. Branch me passa la bouteille et j’avalai une gorgée.
— T’appelles ça boire ? ricana-t-il. Rends-la-moi et continue.— J’ai ôté mes bottes, je suis entré dans l’eau. J’étais en train d’éviscérer le bison quand des Sioux nous ont volé nos chevaux.
— Et ses brodequins, précisa Ferris.Pegleg souleva mes couvertures.
— Voyons voir ces sabots.
Il approcha son couteau de mes pieds bandés et, de la pointe, piqua les pansements. Ferris, debout dans un coin de la pièce, retint bruyamment sa respiration. Pegleg se retourna.
— T’as quelque chose à dire, blanc-bec ?
— Si c’était le cas, je l’aurais dit.
Wyeth, à ta place, je boirais un bon gorgeon. Avec Pegleg, on ne sait jamais…
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