Il paraît qu’on dit : les paroles s’envolent, les écrits restent. N’importe quoi. Les écrits, il faut aller les chercher, les déchiffrer, on peut les cacher et ils existent comme ça, sans que personne les voie, sans que personne les sache. Tandis que certaines paroles, une fois qu’elles sont lâchées, impossible de les faire disparaître. Elles s’installent là, au fond de toi, et ne bougent plus, grosses, lourdes, un poids énorme dans ta gorge et ton estomac et ton ventre, impossible à faire rouler dehors, elles s’installent en toi et elles t’écrasent de l’intérieur.
Les paroles, elles peuvent te claquer la gueule, là, comme ça, n’importe où, devant n’importe qui, au grand jour comme en pleine marée noire, pas besoin de lumière pour les distinguer, elles t’éclatent à la figure et peuvent t’assommer, te pulvériser, t’exploser en mille morceaux qu’on n’arrive même plus à ramasser tellement ils sont minuscules, tellement ils sont répandus partout.
Létan mo ti viv Diego.. Mo ti kouma payanké dan lézer.. Dépi mo apé viv dan Moris.. Mo amenn lavi kotomidor
Il sait que, ce soir, quand elle lui parlera, ce sera pour lui dire les mêmes mots : Chago. Diego.Déportation. Exil forcé. Base militaire. Des mots qu’il appréhende sans en connaître le sens, parce qu’ils l’éloignent, parce qu’ils la déchirent et font couler parfois de ses yeux des larmes silencieuses qui glissent le long de son visage dans le pli amer qui contourne sa bouche
Des enfants qui tripotent la plage avec des seaux rouges,des pelles jaunes, des arrosoirs verts ou bleus, des garçons qui jouent au volley en plongeant lourdement dans le sable, des filles qui se pavanent dans des paréos ouverts sur leurs minuscules croissants de bikinis fluo, une grosse dame qui se baigne avec sa robe à fleurs et son collant noir accrochés à toutes ses formes, quelques chiens qui se reniflent le derrière et trotinent ici et là pour trouver des restes, un marchand d'ananas et d'eau de coco tiède, un filao appuyé contre le dos d'un vieux bonhomme qui regarde au loin la mer en serrant sa bouteille de rhum entre ses jambes, un groupe qui ravanne un séga sans fin, la camionette d'un marchand de sorbets qui braille son disque rayé de boîte à musique en faisant le va-et-vient sans arrêt.
Je fais le tournesol...
C'est ce que je leur dirai, la prochaine fois, quand je jouerai à mon jeu favori dans la cour de l'école. Les autre filles me regardent d'un air méprisant, elles disent que c'est un jeu de petits et que je dois être un peu attardée pour jouer encore à ça. Si elles se donnaient la peine d'essayer, elles sauraient.
C'est tellement bon. Tu tournes, tournes, tournes, les bras ouverts en avion, les pieds tout près l'un de l'autre, et tu sens peu à peu un courant d'air te monter le long des jambes, juste un frisson d'abord, puis ça s'accélère, ça te soulève la jupe en parasol autour de toi, et ça remonte le long des bras qui fouettent l'air comme une hélice, et ça te monte à la tête, qui tourne, qui tourne, à l'extérieur et puis au fur et à mesure à l'intérieur aussi, à l'intérieur, ça tourne, ça tourne, ça fait un grand vertige qui t'attire, encore plus vite, toujours plus vite, et ça entraîne dans un grand mouvement tout ce qu'il y a autour de toi, tout ce qu'il y a à l'intérieur de toi, tout se dissout dans ce mouvement qui tourne, qui tourne, qui tourne...
Juste au moment où tu vas t'envoler, c'est la chute. Mais pendant quelques secondes, les choses continuent à tourner autour de toi avec une drôle de sensation au creux de l'estomac.
"Tous les matins, j'entends le bus de l'usine grimper la côte. Il vient chercher les ouvrières chinoises à 6 h 30. Et puis je l'entends à nouveau qui les ramène le soir vers dix heures.L'autre jour, à la radio, un ministre a déclaré, en insistant beaucoup, qu'il fallait que les producteurs locaux soient plus productifs, qu'ils prennent pour modèle les ouvrières chinoises. Juste après, ils ont diffusé un discours du président de la République dans une fête religieuse. Il disait que nous devons faire attention à ne pas perdre nos valeurs et que nous devons préserver et développer le sens de la famille. C'était joli à entendre.
Pourtant, entre les deux, il me semble qu'il y a quelque chose qui cloche."
Les vers à soie, tu vois, ils mangent, mangent,mangent, puis ils s'arrêtent. Complètement. Ils s'enferment. Petit à petit, ils tissent un fil, mince, brillant, et s'entourent, s'enroulent. Disparaissent.
À leur place, il n'y a plus qu'une petite boule beige, la coque fermée d'une grosse pistache. Il faut encore attendre. Attendre que s'ouvre la boule et qu'en sorte un papillon marron qui ressemble à une guêpe. Il paraît qu'il vit à peine dès qu'il est sorti. Mais il laisse un superbe cadeau.
Un cocon de soie.
Mam dit que si je continue à être nerveuse comme ça, elle me fera boire une infusion de sensitive. Moi j'ai dit pas questions. À force d'en cueillir, il n'en reste plus que deux ou trois plants au fond de la cour.
...
Moi, je ne veux plus qu'elle touche à la sensitive, parce que je l'aime bien cette plante. J'adore m'amuser avec. Elle est vivante. Tu la frôles, du bout du doigt, comme ça, tout doucement, délicatement, et aussitôt elle se referme.
Il paraît que je suis trop petite.
Alors en attendant, je voulais juste te dire que je suis si contente de t'avoir crée.
Oui je sais, on dit que c'est l'inverse. Que c'est Dieu qui crée les hommes. Mais bon...
On dit beaucoup de choses.
En ce moment, on n'arrête pas de répéter qu'il faut prendre en compte les enfants parce qu'ils sont les adultes de demain.J'aimerais que quelqu'un dise qu'on est les enfants d'aujourd' hui.
Elle a fini par me dire qu'il y a très longtemps, des esclaves sont venus chez nous d'un pays en Afrique qui s'appelle le Mozambique. Et que maintenant on dit Mazambique pour insulter les noirs. Elle dit que c'est un mot péjoratif, insultant. Elle parlait vite et à voix basse comme si elle avait peur qu'on l'entende.
Je lui ai dit que je ne comprenais pas pourquoi on les insulte, les noirs.