Actes Sud a pris le relais de L'Échappée (Seuls ensemble) dans la traduction de l'oeuvre imposante de Sherry Turkle. Les yeux dans les yeux paraît dans la collection Domaine du possible, recueil "d'initiatives originales et innovantes, en vue d'apporter des perspectives nouvelles pour l'avenir".
Tant mieux, car les travaux de la chercheuse émérite en médias numériques depuis trente ans constitue un matériau inestimable pour celles et ceux qui s'interrogent sur leurs pratiques des outils connectés ou sur l'impact global de la digitalisation sur la société et les individus. Je me réjouis de lire et de rendre compte de cet éloge de la conversation.
L'anthropologue, psychologue et enseignante souligne l'intérêt des conversations spontanées, où nous jouons avec les idées, où nous sommes pleinement présents et où nous baissons la garde. "Ce sont elles qui permettent les échanges créatifs à la base de l'éducation et du commerce". Un beau début. J'ai déjà appris un nouveau terme : phubbing, contraction de phone (téléphone) et snubbing (ignorer) pour décrire l'activité simultanée d'envoi de sms et de regard vers son interlocuteur. Les Québecois disent "télésnober".
Il n'est pas trop tard mais il est temps de se reparler.
J'ai repris la lecture de ce livre d'études/témoignages qui se lit comme un polar après avoir vu La fille au bracelet qui dessine en creux le portrait de la génération actuelle, très portée sur les écrans. J'ai laissé Liberté et abondance reposer à mi-chemin de l'écologie en politique. Sherry Turkle témoigne d'une rare clairvoyance dans ses commentaires au détour d'une conversation avec des étudiants, des enseignants, une parente ou un chef d'entreprise.
J'y retourne et dépose une nouvelle citation. J'avoue que je suis séduit parce ses réflexions confortent les miennes sur la société digitale.
J'ai terminé la première partie, plaidoyer pour la conversation.
Dsl pour les excuses par SMS, FOMO pour la peur de rater quelque chose, les abréviations remplacent les mots. Les appareils évitent les entretiens en "présentiel". C'est trop risqué de se parler en face à face. Contrôler encore et toujours, présenter une image retouchée de soi et de sa vie.
Au contraire, la conversation, c'est la spontanéité, la surprise, l'empathie. D'ailleurs, des entreprises réduisent leur test d'embauche à une ou plusieurs conversations, la deuxième entrevue servant à développer les thèmes ayant émergé de la rencontre initiale.
Un ouvrage essentiel, qui nous aide à nous positionner sur qui nous sommes et qui nous pousse à cultiver l'art de la relation, c'est-à-dire, à nous comprendre et à prendre soin les uns des autres. Aucune machine ne possèdera jamais l'aptitude à créer des liens, nés d'émotions et de sentiments partagés.
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