AccueilMes livresAjouter des livres
Découvrir
LivresAuteursLecteursCritiquesCitationsListesQuizGroupesQuestionsPrix BabelioRencontresLe Carnet
Critiques de Shichirô Fukazawa (14)
Classer par:   Titre   Date   Les plus appréciées
Narayama

Dans un Japon hors du temps, un petit village cerné de montagnes. La terre ne donne pas beaucoup, même le riz est une denrée rare et les villageois craignent la disette. C'est là que vit O Rin, entourée de Tappei son fils veuf et de ses petits-enfants. Comme toute la communauté, O Rin s'inquiète pour la nourriture et le fait qu'elle ait gardé toutes ses dents, grandes et saines, n'est pas pour la rassurer. Elle craint de passer pour une vorace et déjà des chants à son sujet circulent dans le village, lancé par Kesakichi, l'aîné de ses petits-fils. Mais c'est un tout autre chant qu'attend O Rin, celui qui appelle au pèlerinage vers Narayama, la montagne aux chênes. La vieille femme a déjà préparé son voyage dans les moindres détails. Le temps presse, elle entre dans sa soixante-dixième année, une nouvelle bru est arrivée du village d'en face pour tenir sa place auprès de Tappei et le ventre rond de Matsu-yan, la femme de Kesakichi est un signe évident. Au village, il n'est pas bien vu de bercer un arrière-petit-enfant, c'est faire la preuve qu'on s'accroche à la vie sans se soucier d'être une bouche à nourrir.





Si de prime abord, Narayama semble être un conte naïf, ponctué de comptines enfantines, à lire à la veillée pour s'imprégner de vieilles légendes, très vite, on se rend compte qu'il n'en est rien. Derrière la poésie se cache toute la cruauté du sort de l'être humain. Quand la faim creuse les ventres, quand la peur de manquer est dans tous les esprits, les caractères se révèlent. Certains vivent avec parcimonie, font des réserves et partagent le peu qu'ils ont car la solidarité n'est pas un vain mot au village. Mais d'autres préfèrent piller leurs voisins, sont pingres et suscitent une haine féroce et meurtrière. Châtier le voleur est une nécessité vitale. Pour les anciens, le pèlerinage vers la montagne aux chênes est une façon de soulager la communauté. O Rin s'y est préparée de longue date et elle espère bien qu'une fois arrivée au sommet, la neige sera sa compagne, signe de ''bonne chance''. Si son fils rechigne à l'accompagner, c'est parce qu'il est très attaché à sa vieille mère. Mais il ne peut se soustraire à son devoir filial...Chez les voisins, le vieil homme de la maison a peur de la mort et ne veut pas partir. Quand son fils l'y oblige, l'ascension se passe mal, la chance n'est pas avec lui. En comparaison, l'abnégation d'O Rin apparaît comme le geste suprême de l'amour et du respect des traditions.

Puisé, non pas dans les légendes japonaises, mais dans l'imagination seule de l'auteur, ce conte a des allures de Petit Poucet où l'on sacrifie des êtres chers au nom de la survie, mais trouve aussi une résonance avec les traditions inuits quand les vieillards sont abandonnés sur la banquise dès lors qu'ils ne peuvent pus participer aux campagnes de chasse et de pêche. La vie, la mort mais aussi le karma y sont évoqués avec toute la sensibilité et la dureté bouddhistes. Un récit court mais très, très émouvant. A découvrir.
Commenter  J’apprécie          443
Narayama

En lisière du village de Mukômura, dans une zone montagneuse du Japon, vivent sous le même toit O Rin, bientôt 70 ans, son fils unique Tappei et ses quatre enfants. La matriarche est veuve depuis 20 ans, et son fils a lui-même perdu sa femme l'année passée. Il est temps pour lui de trouver une nouvelle compagne, d'autant qu'à 70 ans il est de tradition de faire le pèlerinage de Narayama, la montagne aux chênes. Dans la communauté villageoise, on use beaucoup pour communiquer de chansons, qui ont un peu le caractère de légendes, de proverbes, mais aussi de railleries. Ces chansons sont ancrées en chacun et font culture. Mais le climat permanent est à la tension sur la nourriture, il faut faire très attention à ne pas gaspiller dans ce pays où l'on vénère le riz, « Messire le hagi blanc ». Et voilà que cela suscite une chanson moqueuse envers la vieille O Rin, pointant sa dentition plus que complète à son âge et qui doit sûrement lui permettre de bien manger ! c'est vrai qu'elle est encore très bien pourvue et s'en trouve honteuse...alors elle va finir par s'en casser quelques-unes exprès. Pire, on découvre bientôt qu'une famille, celle du vieux Mata-yan, a des réserves de patates bien au-delà de ses capacités de culture…Suspect et pas bien vu...C'est qu'ils sont allés les voler au voisinage ! En guise de punition, tout le monde pourra se partager le butin. La famille d'O Rin en rapporte un peu, et la vieille est séduite par sa nouvelle bru, Tama-yan, qui a l'air « bien honnête » … Pourtant, une surprise la fait vite déchanter : voilà-t'y-pas que son petit fils Kesakichi lui ramène une femme, Matsu-yan. Pas de chance, Celle-ci est gourmande et pas gênée, et en plus son ventre s'arrondit bientôt d'un futur bébé ! Avec toutes ces bouches à nourrir, O Rin est plus que jamais décidée à faire le pèlerinage de Narayama, un voyage sans retour. Tappei gravira la montagne enneigée, portant sa mère à son dos. Avant de redescendre seul pour la maison, il la déposera au sommet , au milieu d'une masse d'ossements humains et de cadavres qui font le bonheur de très nombreux corbeaux…Au passage, il observera de loin la triste fin de Mata-yan, dont le sort sera réglé par son propre fils et les corbeaux.



On passe un bon moment avec ce roman original car inclassable. Court et plaisant, il se lit d'une traite, même s'il exige un petit effort de concentration pour bien comprendre la signification des courtes chansons, dont l'auteur nous explique le sens dans un style aux tournures qui font anciennes en français, ce style étant très probablement un rendu fidèle de la tournure adoptée par l'auteur en japonais. Fukazawa crée un monde de toutes pièces (Narayama n'existe pas), pour y installer son histoire aux allures de conte, de conte musical, avec une sorte de morale, opposant son personnage d'O Rin, très bienveillante avec son esprit de sacrifice, au cupide et égoïste Mata-Yan. Symboliquement, la pureté blanche immaculée de la neige pour O Rin est opposée à la noirceur inquiétante des corbeaux pour Mata-yan, ce qui évoque un thème tiré de la tradition du bouddhisme. Le traducteur Bernard Frank, dans sa présentation, considère que « Fukazawa pourrait bien avoir dégagé, en ce qui concerne le Japon (…) un sentiment très ancien de la vie, de la mort, de la nature où tout se fond. »

Ce livre a eu un succès retentissant au Japon à sa parution en 1956, et l'auteur jusqu'alors inconnu a suscité l'admiration des Tanizaki et autre Mishima, avant d'être adapté au cinéma.

Commenter  J’apprécie          356
Narayama

Originellement titrée « Étude à propos des chansons de Narayama » (Narayama-bushikô), cette nouvelle de Shichirô Fukazawa, qui lui valut reconnaissance et célébrité, s’inspire d’une terrible légende japonaise, éloignée cependant de la réalité historique. Dans un monde pétri par la rigueur des montagnes et obsédé par l’angoisse de la faim, les vieillards parvenus à l’âge de soixante-dix ans doivent se rendre au pèlerinage de Narayama, « la montagne aux chênes », dans le but d’y mourir. Pour la vieille O Rin, qui a pourtant encore toutes ses dents, le temps du pèlerinage approche. Mais avant d’entamer son dernier voyage sur le dos de son fils unique Tappei, devenu veuf, elle souhaite s’assurer que celui-ci trouve une seconde épouse. Il lui faut aussi préparer le banquet du moment de son départ, laisser derrière elle le souvenir d’une femme généreuse et attentionnée, respectueuse des traditions.



Ce court et fascinant récit est écrit dans un style sans artifice, qui porte pourtant une poésie mystérieuse. Le langage des villageois est simple et rude, à l’image de leur vie dans les montagnes. Les coutumes sont cruelles et la vie quotidienne est tout entière dictée par les restrictions alimentaires. L’originalité de cette nouvelle est qu’elle s’appuie sur un ensemble de courtes chansons populaires, tantôt facétieuses tantôt dures, véritables miroirs des croyances et traditions des villageois. L’auteur pousse le réalisme jusqu’à décrire leur contexte culturel, presque à la manière d’un ethnologue, et à fournir en annexe les partitions de deux d’entre elles.



La version que je possède est une réédition en tirage limité accompagnée du DVD du film « La Ballade de Narayama » (Narayama-bushikô) de Shōhei Imamura, qui obtint la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1983. Cette adaptation cinématographique est encore plus sombre et brutale que le récit de Fukazawa, parfois même choquante, mais empreinte d’une beauté épurée.
Commenter  J’apprécie          2412
Narayama

Dans un japon intemporel, un village isolé, reculé dans les montagnes tente de survivre. Les habitants de ce village n’ont qu’une obsession : la quête de nourriture liée à leur propre survie. Pour exorciser cette peur, les villageois communiquent entre eux, avec une certaine légèreté, par de petites chansonnettes. Elles sont présentent au quotidien des villageois à la fois pour illustrer des moments graves que des instants de fêtes. Elles servent de témoignages aux plus jeunes et ont un rôle éducatif dans l’apprentissage de la vie du village et de ses coutumes.



Et parmi les traditions du village, le pèlerinage de Narayama (la montagne aux chênes) est devenu obsession d’ORin, la vieille grand-mère. Comme toute personne ayant dépassée un certain âge, elle se doit de partir faire ce pèlerinage et gravir au sommet de cette montagne.



Un sentiment de tristesse et de désespoir habite les pauvres habitants de ce village. Mais malgré tout, la vie continue, le bonheur peut se trouver n’importe où, même dans ces petites comptines qui bercent la vie de ces montagnards. Les préceptes bouddhiques ne sont jamais très éloignés de tout acte fait. Aucun apitoiement sur soi-même n’est toléré et, comme une victoire face à la dure réalité, les paysans se doivent, par honneur de faire face.



Cependant, le traducteur tient le besoin de préciser et d’insister sur le fait que cette histoire est bien une fable, tant la plume de Fukazawa donne une véracité à la vie de cette famille. En aucun cas, cette « ballade de Narayama » ne ferait partie d’une coutume japonaise. Elle est sortie de l’imaginaire de l’auteur et il ne faut pas y voir une étude sur la culture et les coutumes japonaises. Et pourtant... cela parait si réel...
Commenter  J’apprécie          100
Narayama

J'ai lu, il y a déjà quelques années, ce petit roman, adapté au cinema par Shohei Immamura dans les années 80.

L'intrigue est assez simple. Dans le Japon, à l'epoque du shôguna, la tradition voulait que lorsque les vieux du village commençaient a perdre leurs dents, cela signifiait qu'ils étaient trop âgés pour travailler, donc, devenaient une charge pour leur famille. D'un commun accord, ils allaient donc dans la forêt pour y mourir. Une sorte de cimetière des éléphants. Bon, dans le livre, la vieille grand-mère devient une charge pour la société mais ne perd pas ses dents. Donc, elle se les cassera elle-même pour que son fils l'emmène et la laisse dans la forêt.

Au delà de cette intrigue, c'est la vie des villageois qui nous est présentée. Vie très rude, peu de place pour les divertissements, vie faite principalement du travail des champs. Villageois très rustres, arriérés.

A découvrir.
Commenter  J’apprécie          90
Narayama

Dans un Japon sans âge, entre légende et récit cruel, cette Ballade de Narayama dépeint une vie dure où la Montagne dispense la vie et la mort.



Dans une société traditionnelle, presque chamanique, la vieille O Rin prépare son voyage pour la montagne, endroit où l'on part pour mourir...Mais avant cela, il faut préparer le départ et la famille, être sûr que le cycle de la vie pourra continuer et répondre aux différents rites qui scandent cette disparition.



Des personnages forts et bouleversants dans leur comique ou leur roideur morale, un village et un paysage montagnard rudes où la cruauté et une poésie extrême se mêlent. Une histoire condensée à la langue âpre et ludique, rythmée par des comptines et chants traditionnels qui donnent un cadre atemporel à ce drame.
Commenter  J’apprécie          90
Narayama

C'est un curieux ouvrage qui m'est tombé sous la main...

Une histoire sous forme de fable dans laquelle une vieille femme se prépare à un ultime pélerinage.

Ce récit m'a fait penser à "Un chant céleste" pour l'atmosphère rurale et les combinaisons de famille pour des raisons économiques.

J'ai beaucoup aimé le personnage d'O Rin.
Commenter  J’apprécie          60
Narayama

Dans cette histoire aux allures de conte, l’auteur n’a pas besoin de beaucoup de pages pour nous faire passer son message empreint à la fois de poésie et de la cruelle réalité de la vie.

Dans ce village perdu dans une montagne de ce Japon ancestral, la vie ne se résume qu’à un mot « survivre ».

Et la survie va jusqu’au sacrifice ultime, le fils ainé qui pour assurer que tous ceux de sa famille aux ventres bien vides pourront manger, doit accompagner ses parents devenus bouche inutile lorsqu’ils atteignent l’âge de 70 ans, pour un « pèlerinage » à Narayama, montagne sacrée aux yeux de tous.

Mais ce pèlerinage, n’est en fait qu’un aller sans retour pour celui qui part, et le fils redescendra de la montage seul, jusqu’au jour où il accompagnera son second parent, ou bien même que son propre fils ainé l’y conduira lorsque lui-même aura atteint l’âge fatidique de 70 ans.

Mais contrairement à ce que l’on pourrait croire Narayama n’est pas une légende traditionnelle japonaise mais bien sortie de l’imagination de l’auteur qui avec elle connaitra une immense notoriété non seulement au Japon mais également dans le monde entier dès sa parution dans les années 50 et à nouveau consacré avec la Palme d’Or au Festival de Cannes en 1983 avec le sublime film de Imamura.

Grandiose.

Commenter  J’apprécie          50
Narayama

Il a été un peu difficile pour moi d'entrer dans cette nouvelle, assez "spartiate", si je puis dire, lente, et répétitive. Elle a pourtant été considérée comme une oeuvre majeure au Japon dans les années cinquante.

J'y aurais peut-être été plus sensible si je l'avais vue à l'écran..... pour une fois!
Commenter  J’apprécie          40
Narayama

Narayama est une fable d'un Japon médiéval "idéalisé". On y dépeint une société presque tribale, pleine de rites, de coutumes, d'us, de dureté et de tendresse.

Dans une société qui compte chaque grain de riz pour survivre, les anciens ne sont pas une richesse mais un poids dès qu'ils ne peuvent plus travailler et produire leur nourriture, ou aider leur famille aux tâches ménagères. Et il s'agit de se débarrasser de ce poids ; les vieux eux même partent donc pour la montagne où ils se laissent mourir de faim et de froid, puis manger par les vautours.

Fukuzawa dépeint donc cette société issue du Japon moyenâgeux dans un langage clair, tendre, populaire, sans rien omettre des petites avarices paysannes, avec humour et tendresse pour ce monde très dur.

La poésie côtoie la rudesse de la vie campagnarde, la tendresse est associée au pragmatisme le plus rude et la piété filiale contraint les fils à tuer leur mère...

De petites comptines et chansons ponctuent ce livre et donnent un ton doux-amer à l'ouvrage qui offre une plongée sans concession dans les villages japonais de l'ancien temps...
Commenter  J’apprécie          40
Narayama

Cette nouvelle s'apparente aux contes initiatiques que l'on découvre aux coins du feu de la bouche des aînés. La langue est simple, le déroulement implacable et l'univers semble immuable. Les pages se tournent avec la régularité des choses nécessaires et l'on suit ce petit récit de pas grand chose nous délivrer bien des enseignements. D'où que viennent ces récits et quelle que soit l'emprunte culturelle qu'ils véhiculent, ils semblent tous être puisés à la même source : celle de l'humanité.



Dans les tréfonds de la montagne japonaise, en un temps qui ne se dit pas et qui pourrait bien être toujours, survit une société rudimentaire dont les règles s'articulent autour de leur principale angoisse, la faim. Là-bas, même le riz est luxe. C'est donc à travers le spectre de la faim que tout s'ordonne. C'est pour ne pas être traitée de goulue insatiable qu'O Rin, matriarche d'une des familles du village, tente inlassablement de se casser les dents. C'est pour avoir volé de la nourriture que des envies de meurtres s'érigent contre la famille de la maison qu'y pleut. Et c'est au nom de la nourriture que les anciens, lorsqu'ils entrent dans leur soixante-dixième année, effectue un pélerinage à la montagne de Narayama. Développé innocemment tout au long du récit comme un aboutissement spirituel, il s'agit, en fait, d'un suicide consenti puisqu'aucun ancien n'en revient jamais. Assis sur une modeste natte en méditation, ils attendent de rencontrer le dieu de la montagne - ils attendent la mort. Est alors considérée comme une chance l'apparition de la neige qui leur évitera une trop longue agonie dans la faim et la soif. C'est donc au nom de la faim que toute une société envoie avec le plus grand naturel les anciens devenus "inutiles" se sacrifier.



Il y a quelque chose de scandaleux dans cette progression inéluctable vers une mort imposée. On y verra, bien sûr une critique sociétale virulente sous les abords trompeurs de l'écriture blanche. Néanmoins, il me semble que ce texte peut aussi questionner notre animalité - on rencontre chez d'autres espèces cette mise à l'écart macabre des vieux membres d'un troupeau ou d'une meute pour continuer d'avancer.

On notera aussi l'emprunte bouddhiste, suggérée par le traducteur en préface et qui éclaire effectivement le contexte spirituel dans lequel s'inscrit ce récit et donc, sa manière de le lire. Car, n'oublions pas, il est question du karma et des réincarnations dans le bouddhisme. De fait, les deux morts à la fin du récit évoque ce point : O Rin, matriarche pleine d'abnégation, meurt entourée de neige immaculée, tandis que le vieux Mata-San connu pour son avarice, est jeté dans la vallée au dessus de laquelle s'élève une bruyante nuée de corbeaux.

Comme si les lignes semblaient dire à demi-mot qu'au-delà des défisciences sociétales des hommes, la roue éternelle de la vie ne cesse de tourner
Lien : http://lapetitemarchandedepr..
Commenter  J’apprécie          40
Narayama

Distillée avec une rare sensibilité l'écriture de Fukazawa dépeint, tour à tour, la vie d'un village, l'accompagnement à la mort, le courage, l'opprobre, l'Amour... Comme dans tous les grands livres une multitude de thèmes sont ici traités et témoignent d'une grande maitrise littéraire.Le livre est en plus accompagné de l'adaptation cinématographique, sublime elle-aussi.





Commenter  J’apprécie          20
Narayama

Critique commune au livre de Shichirô Fukazawa et aux adaptations cinématographiques sous le titre *La Ballade de Narayama*, par Keisuke Kinoshita et Shôhei Imamura.



TROIS VARIATIONS SUR LA BALLADE DE NARAYAMA





Tentative, aujourd’hui, dans un exercice auquel je ne me suis sauf erreur jamais livré : la chronique parallèle d’un livre et de son adaptation au cinéma – sauf que, tant qu’à faire, je vais en fait parler d’un livre et de deux de ses adaptations...





Le livre, c’est Narayama, ou plus exactement Étude à propos des chansons de Narayama, un court roman, ou même une nouvelle (publiée en tant que telle en revue, d’ailleurs), signée Fukazawa Shichirô, dont c’était la première publication, en 1956 : coup d’essai, et coup de maître. Puis vinrent les adaptations : dès 1958, la nouvelle est transposée au cinéma par Kinoshita Keisuke, avec pour titre français La Ballade de Narayama (le titre japonais demeure le même, Narayama-bushikô, et cela vaut aussi pour le film qui suit) ; enfin, en 1983, Imamura Shôhei en livre une nouvelle version, avec toujours pour titre français La Ballade de Narayama, qui remporte la Palme d’or à Cannes (la première du réalisateur, qui en obtiendrait une seconde pour L’Anguille en 1997). À noter, je viens tout juste d’apprendre qu’il y aurait encore une autre adaptation de la même nouvelle, mais coréenne cette fois, Goryeojang, de Kim Ki-young, en 1963.





Les trois œuvres (japonaises) dont je vais parler aujourd’hui ont ceci de fascinant qu’elles affichent toutes une forte singularité, et ce alors même que, par définition, elles racontent peu ou prou la même histoire. En fait, le terme de « singularité » est à maints égards bien trop timide – car on ne saurait imaginer des œuvres aussi violemment opposées, dans le fond comme dans la forme, que les films de Kinoshita et Imamura, alors qu’ils sont tous deux inspirés de la même nouvelle de Fukazawa… Et pourtant, dans tous les cas, nous avons affaire à des chefs-d’œuvre, le mot n’est pas trop fort.





Je précise à tout hasard que j’avais déjà lu Narayama, et vu le film d’Imamura Shôhei – plusieurs fois dans les deux cas, d’ailleurs, il me semble. Par contre, je n’avais encore jamais vu le film de Kinoshita Keisuke, une découverte à l'occasion de cette chronique.



LES AUTEURS ET LEUR NARAYAMA





Quelques mots, d’abord, sur les trois auteurs qui vont nous intéresser aujourd’hui, avec une présentation hâtive de « leur » Narayama.





Fukazawa Shichirô et les chansons de Narayama





Il faut bien sûr commencer par l’auteur de la nouvelle originelle, Fukazawa Shichirô (1914-1987). Il présente un profil assez atypique dans les lettres japonaises, car il n’est venu que tardivement à l’écriture. Il n’a pas poussé ses études, et a longtemps été musicien professionnel, et guitariste d’abord, un peu partout mais surtout au music-hall.





Étude sur les chansons de Narayama est sa première publication littéraire, en revue, en 1956 – il a alors 42 ans. La nouvelle, pour être l'œuvre d'un débutant, ne passe cependant pas inaperçue, loin de là : elle est très tôt récompensée par un prix littéraire, et, surtout, s’attire les louanges de sommités des lettres japonaises, parmi lesquelles, ce n’est pas rien, Tanizaki Junichirô et Mishima Yukio ! Et sans doute cet écho n’est-il pas pour rien dans la décision de la Shôchiku, l'un des grands studios japonais de l'époque, d’en faire une adaptation cinématographique dès 1958, confiée à Kinoshita Keisuke, tandis que le livre sera traduit en français dès 1959.





Mais restons-en à l’auteur, pour l’heure. Bernard Frank, le traducteur, ne s’en fait pas écho dans ses postfaces « réactualisées » en 1979 et en 1983 (il n’y parle pas davantage des films, alors que celui de Kinoshita avait pourtant précédé sa traduction ; mais, à la dernière réactualisation, le film d’Imamura était sorti quelques mois plus tôt à peine au Japon, s'il ne tarderait plus en France, et à Cannes), car il préfère évoquer quelques œuvres d’un point de vue « strictement littéraire » (et pas si bienveillant ?). Mais Fukazawa s’est retrouvé à nouveau au cœur de l’agitation littéraire en 1960-1961, dans des circonstances tout autres, au parfum de scandale… En décembre 1960, il publie, dans la même revue où il avait publié Narayama, une nouvelle dans laquelle le narrateur fait un rêve : la gauche radicale a pris le pouvoir au Japon, et le prince Akihito (l’actuel – mais a priori pas pour longtemps – empereur Heisei) et son épouse la princesse Michiko sont décapités en public devant une foule qui acclame l’exécution… Et cette « fantaisie » ne plaît pas du tout à l’extrême droite nippone, qui ne supporte pas que l’on touche à l’empereur, de quelque manière que ce soit. Le 1er février 1961, un adolescent de 17 ans du nom de Komori Kazutaka, membre d’un groupuscule d’extrême droite, se présente au domicile de Shimanaka Hôji, l’éditeur de Fukazawa Shichirô – mais il est absent ; qu’importe : le jeune homme tue la domestique Maruyama Kane, et blesse grièvement l’épouse de l’éditeur, Shimanaka Masako ; le lendemain, le jeune terroriste se livre à la police, expliquant qu’il ciblait l’éditeur, parce qu’il avait publié la nouvelle de Fukazawa… Et la réaction de Shimanaka Hôji est pour le moins étonnante : lui qui, dans sa revue, avait toujours prôné la liberté d’expression, déclare officiellement que les écrivains auraient bien tort de mettre des vies en danger, et notamment les leurs, au seul prétexte de leur liberté créative… Il prône en fait l’autocensure, et admet comme légitime un véritable tabou concernant l’institution impériale. Quant à Fukazawa, qui avait reçu de très nombreuses menaces de mort, il doit se cacher pendant cinq ans en Hokkaidô.





Or cette affaire, entrée dans l’histoire sous le nom d’ « incident Shimanaka » (Shimanaka jiken), n’est pas un fait isolé : le 12 octobre 1960, un peu avant la publication de la nouvelle de Fukazawa donc, un autre jeune militant d’extrême droite, Yamaguchi Otoya, lui aussi âgé de 17 ans précisément, avait assassiné le chef du Parti Socialiste Japonais, Asanuma Inejirô, en plein débat télévisé – un fait-divers qui avait inspiré au jeune Ôe Kenzaburô, futur prix Nobel de littérature, sa fameuse nouvelle « Seventeen » (dans Le Faste des morts), ou plus exactement la nouvelle « complète », titrée alors « Ainsi mourut l’adolescent politisé »… Pour un même effet : quantité de menaces de mort adressées à l’auteur et à son éditeur ; le premier a choisi d’arrêter la publication de la nouvelle complète pour s’en tenir à la seule version abrégée « Seventeen » (et c’est toujours le cas aujourd’hui), tandis que son éditeur… a présenté des excuses. Aujourd’hui encore, semble-t-il, les lettres japonaises sont affectées par cette autocensure que le terrorisme d’extrême droite, via ces deux sordides affaires, a peu ou prou imposé au pays à l’aube des années 1960 – précisément à cette époque où le Japon était censé remiser de côté la « saison politique », et ses affrontements idéologiques parfois violents, pour se concentrer sur le seul consensus de la « saison économique », et l’accroissement de la richesse globale du pays, à l’aube de la « Haute Croissance ».





Mais revenons à Narayama, ou, plus exactement donc, à l’Étude à propos des chansons de Narayama. Sous ce titre complet sonnant un peu comme une parodie d’ethnographie, l’auteur reprenait une vieille légende, dite « obasute » ou « ubasute », sans vraie assise historique, pour dépeindre un Japon ancien (mais pas forcément tant que ça…) qui n’a en fait jamais existé, mais demeurait crédible, et porteur, via ses personnages qui étaient autant d’archétypes, délibérément, d’un symbolisme fort empreint de pensée morale, d’inspiration bouddhique surtout, mais aussi éventuellement confucéenne, et dans un contexte où le shintoïsme a aussi sa place. La nouvelle, au style sobre, minimal, dément bien vite le caractère ethnographique du titre, mais joue bien, cependant, de l’évocation récurrente des chansons de Narayama, en fait des variations censément improvisées par les paysans sur la base d’une même chanson, transmise depuis des siècles, et qui contient dans ses rythmes et ses images toute la vie sociale du petit village de montagne – l’auteur longtemps musicien fournit d’ailleurs en annexe de son récit les partitions de la Chanson de Narayama dans sa forme la plus canonique, et du Ballottement du Sourd, au sens tout différent mais non moins populaire. La nouvelle, dans son économie remarquable sous son apparence de simplicité, est susceptible de bien des lectures éventuellement antagonistes – ce dont témoigneront ses adaptations cinématographiques on ne peut plus opposées.





Kinoshita Keisuke et le théâtre de Narayama





Kinoshita Keisuke (1912-1998) était jusqu’alors, je plaide coupable, un parfait inconnu pour moi – enfin, j’avais croisé son nom à plusieurs reprises, bien sûr, mais je n’avais jamais vu un seul de ses films… Il est vrai qu’il est bien moins connu à l’international que des réalisateurs tels que Kurosawa Akira, Mizoguchi Kenji ou Ozu Yasujirô, la triade qui revient toujours ; mais, au Japon, ce réalisateur très prolifique (il a tourné 42 films dans les 23 premières années de sa carrière) était une figure majeure du cinéma dans les années 1940, 1950 et 1960, et y rencontrait un très beau succès tant critique que commercial. Passionné de cinéma depuis son plus jeune âge (au point d’avoir fugué en compagnie d’un acteur alors qu’il n’était qu’adolescent), il a dû batailler pour devenir réalisateur, mais est finalement parvenu à intégrer le fameux studio Shôchiku, où brillaient des réalisateurs tels que Ozu, donc, et Naruse Mikio. Habile dans bien des genres, Kinoshita a connu son lot de succès populaires, et a par ailleurs réalisé, en 1949, le premier film japonais en couleurs (en Fujicolor), Carmen revient au pays.





Je note en passant que Kobayashi Masaki était devenu son assistant en 1946, à son retour d’un camp de prisonniers – cette association me paraît intéressante à relever, car, même si Kobayashi n’a sauf erreur pas travaillé sur La Ballade de Narayama, il a pu faire preuve, dans Kwaïdan notamment (six ans plus tard), d’une même esthétique foncièrement irréaliste et empruntant beaucoup au théâtre japonais (kabuki et bunraku surtout, peut-être également nô). Quoi qu’il en soit, les deux réalisateurs ont eu à nouveau l’occasion de s’associer en 1968, quand, avec Kurosawa Akira et Ichikawa Kon, ils ont fondé la Shiki no kai (ou Four Horsemen Club), organe dont la fonction était de concevoir des films destinés à une audience plus jeune (ce qui n'est sans doute guère le propos ici !).





La Ballade de Narayama, en 1958, vient après plusieurs succès populaires conséquents, notamment ai-je cru comprendre dans le genre mélodramatique. Mais Kinoshita choisit une approche particulière pour tourner ce nouveau film : ce qu’il entend mettre en avant, dans la nouvelle de Fukazawa à laquelle il reste globalement très fidèle, dans l’esprit mais aussi, généralement, dans la lettre (avec tout de même une exception très notable, outre quelques points de détail çà et là), c’est son caractère de légende – il ne s’agit pas de « prétendre » reconstituer un Japon ancien (plus ou moins ancien, d’ailleurs…) sur un mode soi-disant « réaliste », mais d’assumer pleinement ce caractère de pure invention édifiante. Dès lors, il choisit de tourner intégralement en studio, avec des toiles peintes magnifiques mais absolument pas réalistes en fond, et un jeu complexe de mouvements de caméra (de nombreux travellings latéraux, notamment) destiné à appuyer, dans le chatoiement des couleurs exacerbées, la symbolique essentielle du récit, qui est celle du périple et de la transmission. Pour ce faire, il emprunte aux formes classiques du théâtre japonais, notamment le kabuki et le jôruri ou bunraku ; l’introduction du film renvoie sans ambiguïté au théâtre de marionnettes, et la narration repose sur un chant récitatif de type jôruri, bien sûr accompagné au shamisen, et éventuellement d’autres instruments du nagauta. Le film affiche donc son caractère foncièrement irréel, il le met en avant, le revendique pleinement – comme un moyen d’exprimer une vérité autrement essentielle que celle que l’on associe d’usage au « réalisme ». Rien d’étonnant à cet égard si Kinoshita a détesté le film d’Imamura, 25 ans plus tard – au point de le qualifier de « pornographique »...





Imamura Shôhei et le documentaire de Narayama





J’ai déjà eu l’occasion de parler d’Imamura Shôhei (1926-2006) sur ce blog, y ayant chroniqué La Vengeance est à moi et Pluie noire, aussi n’est-il pas nécessaire de revenir outre mesure sur les détails de sa carrière. Notons simplement qu’Imamura, dès ses débuts, était un réalisateur passablement trublion, et sans doute la figure la plus célèbre, encore qu’un peu hétérodoxe, de la Nouvelle Vague Japonaise, après Oshima Nagisa. Surtout, Imamura avait une approche assez documentaire, dont les deux films cités témoignent – pendant la quasi-totalité des années 1970, suite à l’échec commercial de Profonds Désirs des dieux en 1968, il n’avait d’ailleurs peu ou prou tourné que des documentaires. La Vengeance est à moi, en 1979, lui a permis de revenir à la fiction mais en ayant donc mûri cette approche « réaliste » – le film avait aussi révélé un acteur jusqu’alors inconnu, Ogata Ken, qui jouerait dans plusieurs autres films d’Imamura par la suite, notamment les deux qui succèdent à La Vengeance est à moi, à savoir Eijanaika, et, donc, La Ballade de Narayama (il deviendrait une célébrité internationale en 1985, avec son interprétation de Mishima Yukio dans le film de Paul Schrader Mishima : une vie en quatre chapitres). L’approche documentaire d’Imamura « l’entomologiste », enfin, s’accompagne d’un discours provocateur dont un trait récurrent est la relégation de l’homme au rang d’animal – et La Ballade de Narayama est peut-être son film le plus éloquent à cet égard (parce qu’il se montre moins subtil que les autres en l’espèce ?).





Car Imamura adopte un parti drastiquement opposé à celui de Kinoshita – il semble, en fait, le contredire point par point, comme méthodiquement, avec une jubilation destructrice et éventuellement anarchisante. Qu’importe si Narayama se base sur une légende, et non sur des faits : le réalisateur choisit de faire un film outrancièrement réaliste, entièrement en extérieurs, tranchant sur la beauté des décors peints de Kinoshita, et sans rien des effets théâtraux caractéristiques de la première version filmée de La Ballade de Narayama. Adieu les éclairages « expressionnistes » et les filtres colorés, à la beauté sans pareille, qui cèdent la place à un éclairage farouchement « naturel » (avec son inconvénient : c’est sans doute délibéré, mais nombre de séquences nocturnes ou d’intérieur sont difficilement lisibles…). Adieu la végétation luxuriante se mouvant devant la caméra comme autant d’accessoires de théâtre et opérant comme des rideaux – la nature chez Imamura ne saurait être domestiquée et maîtrisée de la sorte, elle est parfaitement rétive aux injonctions de l’homme et de l’art. Adieu les travellings latéraux remarquablement soignés, et les gracieuses chorégraphies millimétrées qu’ils impliquent : Imamura se montre autrement direct et cru dans sa réalisation. Adieu, enfin, les procédés sonores hérités du théâtre classique japonais, et au premier chef ce récitatif à la façon du jôruri accompagné d’un shamisen virtuose : Imamura ne compte certainement pas laisser à cette intervention extérieure la possibilité d’expliquer son histoire en l’embellissant – et sans doute en l’affadissant ; son film dispose bien d'une bande originale, mais nettement moins envahissante, et par ailleurs guère traditionnelle.





Finalement, le parti d’Imamura est celui d’un naturalisme cruel, tout de crasse et de violence, aux antipodes d’un Kinoshita sublimant par sa réalisation délibérément artificielle et esthétisante la beauté et la dignité de l’épreuve humaine. Dès lors, la hauteur morale sublimée par la précédente adaptation de la nouvelle de Fukazawa laisse place à un univers autrement rude et sauvage, où la faim et le désir sexuel frustré crèvent perpétuellement l’écran – certes pas les subtilités d’un complexe discours éthique. La joliesse des tableaux savamment agencés, dans une perfection par essence irréaliste, est subvertie par la tenace horreur de la réalité, la saleté, et la misère, et la bestialité – au sens le plus strict, d’ailleurs. Vraiment rien d’étonnant à ce que Kinoshita ait jugé ce « remake » qui n’en est en fait pas un comme étant « pornographique »…





Ce qui n’a pas empêché le film d’Imamura d’obtenir la Palme d’or à Cannes en 1983, même si, semble-t-il, à la surprise générale – et alors que parmi les concurrents japonais figurait un autre excellent film, Furyo, signé Oshima Nagisa, compagnon d’Imamura dans la Nouvelle Vague Japonaise, et que l’on pronostiquait vainqueur (on était tout aussi certain que Kitano Takeshi, pardon, Beat Takeshi, serait récompensé à titre de meilleur second rôle pour sa merveilleuse prestation dans le film d’Oshima, mais ceci non plus n’a pas eu lieu…).



LA LÉGENDE « OBASUTE » AU PRISME D’UNE ETHNOGRAPHIE FANTASMÉE





Maintenant que j’ai donné ces grandes lignes pour les trois œuvres, je peux entrer davantage dans le détail, en comparant les approches des trois auteurs, violemment opposées le cas échéant.





Étude à propos des chansons de Narayama, la nouvelle originelle de Fukazawa Shichirô, ne doit pas nous tromper du fait de son titre complet un peu alambiqué, qui semble parodier telle ou telle communication ethnographique. Le style du récit, d’ailleurs, dans son minimalisme, laisse bien vite comprendre qu’il s’agit là d’une fausse piste. Mais cette ambiguïté très temporaire n’est pas gratuite pour autant, et la nouvelle a bel et bien un certain contenu qui ne dépareillerait pas totalement dans une étude scientifique rigoureuse – essentiellement, donc, dans le jeu crucial sur les chansons de Narayama, lié à la fête de Bon, et dont nous avons très régulièrement des aperçus, généralement sous la forme de deux vers seulement, qui sont autant de variations plus ou moins improvisées sur un fond peu ou prou unique. La chanson a sa magie, car toute la vie sociale du microcosme auquel nous nous intéressons dans le récit semble y être contenue ; ce qui peut s’avérer oppressant, d’ailleurs. Les variations moqueuses de Kesakichi, le petit-fils d’Orin, jouent notamment un grand rôle dans cette histoire – et on peut relever, ici, que le film de Kinoshita semble réévaluer en dernier recours l’égoïste petit homme, car son ultime chanson ne raille plus la vieille Orin pour ses trente-trois dents de démon, mais semble bien honorer son sacrifice, en en transmettant le sens à ses cadets…





Mais ce sacrifice, donc – il est bien temps que j’y vienne… La nouvelle de Fukazawa s’inspire d’une légende, dite « obasute », ou « ubasute », ce qui signifie en gros « l’abandon de la vieille femme ». À en croire cette légende, très implantée dans le folklore nippon, il est des endroits, ou des moments (des périodes de famine, de sécheresse, etc.), où il est de tradition pour les paysans de porter leurs vieux parents sur telle ou telle montagne, où ils les abandonnent pour qu’ils y meurent (de froid, de faim, etc.), car le village et encore moins le foyer ne peuvent subvenir à leur alimentation.





C’est donc ce qui se produit dans la nouvelle de Fukazawa. Dans le village perdu au milieu des montagnes où se situe l’action, une tradition bien ancrée impose aux villageois atteignant l’âge de 70 ans de se rendre à Narayama (littéralement « la montagne aux chênes ») pour y mourir, et rejoindre ainsi dans la félicité le kami de la montagne. Ces vieillards ne pouvant le plus souvent accomplir eux-mêmes cet ultime pèlerinage, ils sont conduits à la montagne par leurs enfants, qui les portent sur leur dos. C’est ce
Lien : http://nebalestuncon.over-bl..
Commenter  J’apprécie          10
Narayama

Cette nouvelle est une réflexion sur ce désir qu’ont certains, avant de mourir, que « tout soit en ordre », sur la sérénité d’une mort préparée et la fierté qu’on peut en attendre, C’est aussi le tableau d’une petite société dont les usages sont déterminés par des facteurs économiques et culturels dus à sa situation isolée dans la montagne. Les usages de cette société sont transmis par des chansons. Qu’il faut décrypter
Commenter  J’apprécie          10


Acheter les livres de cet auteur sur
Fnac
Amazon
Decitre
Cultura
Rakuten

Lecteurs de Shichirô Fukazawa (128)Voir plus


{* *}