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Citations de Silvia Baron Supervielle (101)


 
Dans un texte appelé « L’enjeu musaïque », Jacqueline Risset écrit : « La pratique de la traduction oblige à toucher ; à toucher le texte et à travers lui quelque chose qui peut se définir l’instant immédiatement précédant la création, celui en qui existaient encore plusieurs possibilités (et c’est justement en cela que consiste sans doute le plus grand intérêt de cet étrange exercice). La passion que les traducteurs mettent dans leur travail vient, me semble-t-il, de ces points fugitifs de coïncidence avec l’instant qui précède *. »
 
Je transcris un de ses poèmes, « Le toucher », traduit par elle en italien, ce qui fait deux versions originales ** :
 
Tu ne m’as pas touchée encore
 
l’amour passe par les yeux
et descend dans le cœur
l’amour de loin nous exerce
et nous perfectionne
 
mais qui
 
pourrait me toucher à présent
sinon toi ?
 
Je circule dans l’air
dans ce bois sacré
couleur de givre
dans cette auréole
 
  ~
 
Non mi hai toccato ancora
 
amor passa pergli occhi
e scende nel cuore
amor di lontano ci esercita
e perfeziona
 
ma chi
 
potrebbe ora toccarmi
se non tu ?
 
Passeggio nell’aria
nel bosco sacro
color di brina
 
nell’aureola
 
 
L’auréole garde ses livres à mes côtés qu’ils soient ouverts ou fermés. Qu’ils traduisent, imaginent des poèmes ou des proses à leur façon. L’amour est un son qui se dégage de ses pages, monte vers moi dans la lumière de cette auréole, dans le bruissement de ce bois sacré.
   
  ~ ~
 
… 𝑜𝑛 𝑛𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑡 𝑞𝑢𝑒 𝑝𝑎𝑟 𝑐𝑒𝑡𝑡𝑒 𝑠𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛 – 𝑒𝑡 𝑐’𝑒𝑠𝑡 𝑝𝑎𝑟 𝑙𝑎 𝑠𝑒́𝑝𝑎𝑟𝑎𝑡𝑖𝑜𝑛
𝑎𝑢𝑠𝑠𝑖 𝑞𝑢’𝑜𝑛 𝑐𝑒𝑠𝑠𝑒 𝑑𝑒 𝑣𝑜𝑖𝑟 (André du Bouchet)
 
Nous sommes l’Ouvert parce que nous avons fui les frontières, et écouté les notes d’une autre langue et d’un autre silence à travers les vitres de la fenêtre et les reflets du fleuve. Parce que nous avons accueilli ces sons avec notre imaginaire transplanté qui les a transformés selon sa fantaisie. Parce que l’ouverture, nous l’avions en nous avant de partir. Nous aimions plus l’Ouvert que les frontières. Plus la mer que les rivages. Plus les fleuves que les ponts. Plus l’invention que la connaissance d’une langue.
 
 
* Revue de la Bibliothèque nationale de France, no 38, 2011.
** Jacqueline Risset, Il tempo dell’istante, Giulio Einaudi editore, 2011.
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Grâce au silence, je m'introduis dans un livre, je deviens lui : je l'écris pratiquement moi-même. Entre les pages, il brille imperceptiblement, je dirais que je l'entrevois, que je pourrais le toucher. Dans les livres qui en sont privés, la lecture se déroule sur un terrain aride. Un écrivain ne s'aperçoit pas du travail qui s'opère entre lui et le silence. Sa force s'ouvre à l'aube, puis se remplit de nuit. Il appartient plus à la nuit qu'au jour : il y retrouve sa profondeur et son pouvoir. p 29
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Silvia Baron Supervielle
Ce qu’on entend



ce qu’on entend
sans trêve
parler au fond
de soi muet
crève soudain
la terre du
papier
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je t'aime de neige silencieuse
et de mer qui éclate sur la plage
et repart empressée sans un adieu
clandestin et avec mon sang
palpitant qui fait des pauses
comme la plaine regarde les étoiles
et les fleuves désirent la mer
je t'aime de soleil dans la tempête
enragée qui déracine la forêt
et de genêts de roses de glycines
quand la poussière emporte
les chemins et la terre
reste en attente
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La vie est à un ou deux mètres de moi, puissante, infaillible. Je ne suis pas à moitié en vie comme je l'étais : je le suis entièrement par toi et pour toi.
(...)
Je rêve que mes pas sur le sable avancent près des tiens au long de la mer. Illusion de te voir un jour, j'ai cette illusion. Non pas de voir Dieu, mais de te voir toi.
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Le poète espagnol Luis Cernuda vécut en exil en Angleterre, en Ecosse, aux Etats-Unis et au Mexique, où, en 1963, il s'exila définitivement dans l'au-delà. Sa poésie est habitée par le souvenir :
Mais après je me sentis seul avec ma terre,
Et je l'aimai car quelque chose doit être aimé
Pendant que dure la vie. Mais dans la vie tout
S'enfuit lorsque l'amour veut le fixer.
Ainsi aussi ma terre je l'ai perdue.

Más después me sentí a solas con mi tierra,
Y la amé, porque algo debe amarse
Mientras dura la vida. Pero en la vida todo
Huye cuando el amor quiere fijarlo.
Así también mi tierra la he perdido.
(La nationalité de l'écrivain, p 126)
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17 - L’abandon
     
L’absence est un élément de l’écriture. Un grand fardeau vide se soulève sur les blancs. Cette existence ralentit le voyage. On ignore ce qu’elle attend de la main du voyageur. Ce qui baptise les mots, goutte à goutte, perd sa couleur et contraint les lettres à ne pas se former et le son à ne pas retentir. Avant même que l’encre ne se verse, l’absence est écrite, comme s’écrit en musique la note qui manque, dans la voix le mot qui se tait, dans la gorge la larme ravalée. Comme, au moment de la mort, s’écrit le silence qui ne coule plus dans le corps.
     
Après quoi, ressuscitée, la main retrouve l’illusion de repartir vers les régions fondues dans la terre et le ciel. Le voyageur redevient la main qui mène à des contrées voilées de poussière et d’or, peuplées de chevaux et d’étoiles. Plaines sans frontières, chemins sans hommes, lumières au ras de l’herbe, sauvés de l’abandon.
     
     
Cahier II, p. 89
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aujourd'hui une luciole
s'envole des tilleuls
pour parcourir le jardin
du soir qui se réveille
sous l'étincelle aiguë
de son murmure vacillant
elle s'envole du livre
qui te lit dans mes yeux
des lianes de l'attente
enlacées à ton silence
et subitement m'entraîne
à respirer les ombres
profondes de l'été

(extrait de "Lectures du vent") - p. 289
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Silvia Baron Supervielle
A ma mère enfin aujourd'hui
dédier ces lignes fragiles
qui se vident goutte à goutte
de leurs pauvres prières vaines
ces pensées qui survolent
sa photographie et se retirent
ces heures qui me renvoient
à sa présence impalpable
et à la réalité de son absence
ce sourire qui vient du sien
de son regard limpide offert
à la conversation de l'au- delà
ce silence donné en partage
qui n'a pas de souvenir
alors que son sang coule
dans le mien ébloui
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L'écriture qui s'insinue sur le cahier réveille le désir de faire l'amour. L'amour et l'écriture perçoivent la même musique. Distraitement, le stylo caresse la blancheur couchée, et je sens la caresse ténue sur moi.
L'homme a oublié qu'il est un rêve.
Quelqu'un le rêve, et il se rêve lui-même. Lorsque je me penche sur la table, le rêve du corps adapte la vision de mes yeux au voyage de ma main. p 89
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29 - Visage-paysage
     
... Lèverais-je la main du cahier du souvenir, il reviendrait sur moi.
     
Je ne lève pas la main, ni la tête, je ne vais pas vers le miroir : je le guide sur les feuilles du cahier avec mes lettres lentes. J’ai le visage croisé de lettres, corrigé de mots, effacé de départs. J’ai les yeux si pleins d’images qu’ils ne sont plus capables de se fixer, d’observer par exemple la Seine et ses longs bateaux dans la lumière qui change de saison. Mon visage est ébloui. Il n’est plus uniquement mien. Il fait partie des images. Il s’est détaché de mon portrait pour se tourner vers une autre sorte de paysage. À force d’aller à sa recherche, pour se confondre avec lui, mon visage est sorti de son masque.
     
Lentement, il s’est détaché, en apprenant à voler. Il vole à une grande vitesse et plane longuement. En plein vol, dans les cimes, il reprend le mouvement de ses ailes. Il est devenu un paysage qui émigre d’un continent à l’autre. S’il ne peut pas discerner toutes les choses qui se présentent devant lui, il les entrevoit, les comprend et les entend. Lorsque mon visage se détache de moi, le temps ne bouge plus. Visage-paysage et visage aimé se mêlent l’un à l’autre. Visions par-delà la main. Terres par-delà la mer.
     
Cahier III, p. 147-148
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chaque soir
j'arrose un jardin
où germe la soif
de l'ombre

chaque matin
je respire la nuit
désaltérée

(extrait de "Le mur transparent", 1986) p. 197
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Silvia Baron Supervielle

nous irons au hasard
déchargés des formes
vacillantes entravées
par les cimes de la forêt
où se tisse le murmure
par les escales de l'air
où rêvent les nuages
par l'horizon indemne
de la mer du paradis
quand nous serons
capables de voler

(" Sur le fleuve")

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Lettre 137

Que puis-je dire aujourd'hui ? Peut-être ceci: tu incarnes la poésie parce que tu rends les vivants aveugles et voyants. Claudel pensait de la poésie : " C'est cette sainte réalité, donnée une fois pour toutes, au centre de laquelle nous sommes placés. C'est l'univers des choses invisibles. C'est tout cela que nous regardons. " Tu es la sainte réalité donnée une fois pour toutes où je réside. (p. 116)
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Et comme on dresse un large tissu blanc pour y projeter une image ou bien une ombre sur la table du vent, il déposa sa page et dans la violence de l'éclat écrivit ces mots :
J'écris afin que l'univers dise oui dans l'espace pur et que ce oui résonne dans ma poitrine ouverte.
Antonio Ramos Rosa
(épigraphe du chapitre intitulé L'alphabet de feu)
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Silvia Baron Supervielle
L’interruption



l’interruption
des yeux
qui te virent

d’un silence
à l’autre
de l’univers
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Silvia Baron Supervielle
L’infini qui reste



si partout
d’avance
est perdu

dévoilement
de l’infini
qui reste
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J'ai changé de langue mais je n'ai pas changé d'enfance.
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Silvia Baron Supervielle
À l’aller ou au retour



à l’aller ou
au retour

je n’aborde
que l’eau
du port resté
sur place
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Je poursuis le trajet du chant. Par malchance, il n'est pas suffisant en écriture, lui insufflerait-il de l'émotion. Le chant qui s'écrit doit se concerter avec des mots. Si ceux-ci s'écrivent sans lui, au lieu de s'enchaîner, ils se figent. Le chant, qui passe dans l'arrière-pays d'un livre, donne à l'écriture ce que la lumière donne à la peinture : il est plus intense que le sujet ou le style. Surgirait-il des mots ? Il se peut que je choisisse les mots non pas pour leur sens mais pour les sons qui s'en échappent lorsque l'écriture se lance dans le vide. p 18
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