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4.42/5 (sur 18 notes)

Nationalité : Royaume-Uni
Biographie :

Né à Londres en 1945, Simon Schama a enseigné à Cambridge (après y avoir étudié), Oxford, Harvard.
Actuellement professeur d'histoire et d'histoire de l'art à l'Université Columbia, (New York), il est l'auteur de L'Embarras de richesses, Certitudes meurtrières, du Paysage et la Mémoire, et de Citizens (non traduit) sur la Révolution française.

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Citations et extraits (15) Voir plus Ajouter une citation
Les années 1655 et 1656, au cours desquelles les créanciers frappaient à sa porte, et les commissaires des faillites relevaient sur leurs inventaires les innombrables objets accumulés dans cette demeure extravagante, ont été des années fécondes qui ont vu naître certaines des toiles les plus originales de Rembrandt, certaines de celles dont le souvenir nous poursuit avec le plus de force.
Voici peut-être la plus intense de ces peintures ; elle se situe dans la zone d'ombre qui existe entre notre optimisme et la mortalité de notre condition. C'est une carcasse de boeuf éventrée, suspendue, les pattes écartées, à une traverse de bois, tandis que du fond de la pièce une servante regarde. C'est un peu la juxtaposition de la mort et la vie, telle qu'elle a été traitée par Rembrandt dans La "Fillette avec deux paons morts", mais la qualité sacrificielle est autrement forte. Auparavant déjà, à la fin des années 1630, un membre du cercle de Rembrandt avait peint une "Carcasse de boeuf". Mais tandis que le tableau ancien décrivait les côtes, les viscères, la graisse, le muscle avec une précision médicale et que la carcasse tout entière brillait de reflets sinistres, Rembrandt s' attaque à son "Boeuf écorché" comme si son pinceau était un couteau de boucher. Ses touches brèves, denses, entaillent, découpent, cisaillent la chair ; elles la nettoient et la dégraissent. Le résultat étrange de cette activité frénétique, c'est à la fois de donner vie à la créature et de faire parader la mort : l'on croit voir un martyr écorché et mutilé dans les affres de l'agonie. (p. 677-679)

Chapitre 11 - Ce qu'il en coûte de peindre
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Que ressent-on à la mort de son meilleur ami ? Que ressent-on quand cet ami est aussi un frère, et que ce frère est tout ce qui reste, à part soi-même et sa toute petite fille, d'une famille qui comptait jusqu'à neuf membres ? Les historiens se plaisent à nous expliquer que nous ne pouvons pas nous en faire une idée ; que ce que l'on ressentait à la perte d'un être cher au XVIIe siècle a aussi peu de rapport avec notre sensibilité que les rites de deuil des Sumériens ; que l'omniprésence de la peste et des épidémies émoussait nécessairement les sensibilités. Ils nous mettent en garde : un trépas soudain qui nous plongerait dans le désespoir, nos ancêtres l'acceptaient sans murmurer ; c'était un décret du Tout-Puissant que l'on ne contestait pas. Sans doute ont-ils raison, dans une certaine mesure de nous recommander de ne pas interpréter selon notre sentimentalité d'aujourd'hui des cultures que n'avaient pas encore touchées les émois et les emportements de la fièvre romantique. Mais il leur arrive de protester avec trop de vigueur contre une soudaine impression de familiarité que nous enregistrons, comme si les siècles s'abolissaient. Les historiens, après tout, ont un intérêt indiscutable à affirmer que le passé est une terre étrangère, puisque la traduction de la langue inconnue qui s'y parle est un monopole qu'ils revendiquent. Mais parfois leur assistance n'est pas nécessaire. L'opacité des différences culturelles se dissipe et nous discernons une émotion que nous savons reconnaître immédiatement. (p. 169)
Chapitre 4 - L'Apelle d'Anvers.
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Ceux qui fréquentent les musées remarquent plus les différences que les ressemblances entre Rubens et Rembrandt. Dans les salles Rubens, si d'aventure ils y font une pause, les immenses et sombres symphonies accrochées aux murs leur inspirent de l'effroi alors qu'ils visitent l'oeuvre de Rembrandt comme on va saluer un parent. Et il est vrai que Rembrandt a fini par être le type de peintre que Rubens ne pouvait imaginer, et qu'en aucun cas il n'annonçait. Mais pendant la décennie cruciale de sa formation, pendant les années où, de bon peintre, il est devenu un grand peintre reconnu comme tel, Rembrandt a été totalement subjugué par Rubens. Il a médité sur les grandes reproductions des grandes peintures religieuses de Rubens et s'est donné beaucoup de peine pour en produire une version personnelle : la volonté d'émulation tout autant que les variations introduites sont manifestes.
Chapitre 1- la quiddité.
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Les portraits de patriciennes génoises sont d'une stupéfiante invention formelle : la couleur si riche y explose sans que jamais le peintre cesse de conduire le jeu. Mais Rubens réinvente le genre. Dans la longue histoire du portrait, le portrait en pied si majestueux, avait toujours été réservé aux souverains régnants, à la reine Elisabeth ou à Catherine de Médicis. Rubens traite les dames génoises de la plus royale façon, mais il fait circuler autour d'elles les souffles de la nature. Les draperies s'agitent, fût-ce de manière discrète, dans une brise légère. Le soleil d'un après-midi de juillet glisse sur des peaux d'ivoire et des soies sombres. Le pinceau de Rubens se promène sur la toile avec aisance ; il rend avec une précision confondante chaque surface, chaque texture, mais il sait aussi retrouver la chair vivante sous sa vêture de mannequin. Il réincarne ses modèles et crée à leur occasion un festival de sensualité. (p. 154)
Chapitre 3 - Pierre Paul
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Rembrandt fut hanté par le maître qui était son aîné. Il devint le "double" de Rubens. Il se mit à s'habiller comme les personnages de ses tableaux, il reprit à son compte la pose et le costume d'un personnage enturbanné de Rubens qui figure dans "L'Adoration des mages". Et quand, la première fois, il se représenta à mi-corps dans une estampe, enveloppé d'une cape majestueuse, ce fut comme s'il avait surimposé son visage sur le corps de son grand modèle et copié la pose choisie par celui-ci. Le visage proclamait que l'on avait affaire à Rembrandt. Mais tout le reste murmurait le nom de Rubens. (p. 42)
Chapitre 1 - La quiddité.
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Les Lumières juives, p. 313.
"Nous n'avons rêvé à rien d'autre qu'à l'Aufklärung et nous avons cru avoir, par la lumière de la raison, éclairé la région de telle manière que le fanatisme ne s'y montre plus. Mais, comme nous le voyons, monte déjà, de l'autre côté de l'horizon, la nuit avec tous ses fantômes. Le plus terrible à cet endroit est que le mal soit si actif, si efficace. Le fanatisme agit et la raison se borne à parler."
Moses Mendelsohn, 1780.
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Des millénaires durant, la judéité s'était résumée à cela [l'appartenance religieuse] : son abandon supposait de se convertir à l'un des autres systèmes de croyance monothéiste. Jusqu'à Spinoza, un Juif pensant désireux de se dissocier des prescriptions littérales de la littérature religieuse ou d'une lecture littérale de la Bible [sic] n'avait nulle part ailleurs où aller. (...) Spinoza ne devait cependant trouver de disciples que des générations, voire des siècles plus tard. Il faudrait attendre en fait des hommes de science comme Albert EInstein, qui se voulait sans équivoque juif et ne devait jamais se dissocier de l'histoire juive. Il s'apitoyait aussi sur l'aridité de l'athéisme sourd, devait-il dire avec mépris, à la "musique des sphères". En 1929, toutefois, pressé de s'expliquer sur sa croyance en Dieu, Einstein confia : " Je crois au Dieu de Spinoza, qui se révèle dans l'ordre harmonieux de ce qui existe, et non en un Dieu qui se préoccupe du sort et des actions des êtres humains."

p. 212
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incipit :
Le génie singulier des Hollandais est de paraître, tout à la fois, familier et incompréhensible. C'est une réflexion de ce genre qui traversa l'esprit énergique de Henry James en 1874 tandis qu'il observait une bonne hollandaise qui lavait le porche. Ce qui n'aurait dû être qu'une banale corvée se révéla, au terme d'un examen plus attentif, un tantinet bizarre, et même un peu obsédant. La scène était d'autant plus étrange que pour un oeil distrait il n'y avait vraiment pas grand-chose à faire disparaître. Les promenades longeant le canal étaient "périodiquement ratissées au balai et à la brosse en chiendent puis religieusement engraissées d'eau de savon". Mais plus une surface paraissait propre, plus on s'acharnait à la récurer.
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Imaginez un parangon de vertu érasmienne : un garçon hollandais de douze ans, intelligent, convenablement chrétien et curieux d'apprendre la place qui est la sienne dans l'ordre des choses qui prévaut au XVIIe siècle. Les vieux volumes lui eussent appris qu'il était un nouveau Batave, un rejeton d'une vieille souche. Les histoires contemporaines lui eussent rappelé qu'il était d'une génération de martyrs et que le manteau de sa liberté était tout imbibé de sang. Mais le texte imprimé ou l'image n'étaient point seuls à former sa sensibilité. Tous les dimanches (au moins) se déversait du haut de la chaire une cascade rhétorique, invoquant la destinée des Hébreux comme si l'assemblée des fidèles était elle-même une tribu d'Israël. Les lignes de démarcation entre l'histoire et l'Écriture s'estompaient cependant dès lors que l'on attribuait le sens de l'indépendance et de la puissance hollandaise à la Providence qui avait élu un nouveau peuple pour éclairer les nations. Dans cette addition néerlandaise à l'Ancien Testament, les Provinces-Unies apparaissaient telle la nouvelle Sion, Philippe II en roi d'Assyrie et Guillaume le Taciturne comme le pieux capitaine de Juda. Notre garçon, que nous pourrions prénommer Jacob Isaakszoon, Jacob fils d'Isaac, devait comprendre qu'il était Fils d'Israël, l'un des nederkinderen, et qu'il vivrait sous la protection du Tout-Puissant aussi longtemps qu'il observerait ses commandements. C'est par la vertu de l'alliance conclue avec le Seigneur que la nation à laquelle il appartenait avait été délivrée de ses chaînes pour connaître la prospérité et la puissance. Qu'elle s'éloignât des sentiers de la droiture, et elle pouvait compter que Dieu l'abaisserait comme il avait abaissé Israël et Juda avant elle. Le garçon approchant de l'âge d'homme, sa conduite devait illustrer l'acceptation de cette alliance, en conséquence de quoi les bienfaits pleuvraient sur lui.

Dans une large mesure, cette exhortation biblique était l'idiome commun de toutes les cultures calvinistes et puritaines du début du XVIIe siècle. Des Abraham, des Isaac et des Jacob, on en retrouverait à Rouen, Dundee, Norwich et Bâle aussi bien qu'à Leyde et à Zierikzee. Le rejet de l'hagiographie postbiblique autant que de l'autorité légale que revendiquaient les successeurs de saint Pierre à Rome étaient une caractéristique centrale de la Réforme, en sorte que l'Écriture s'en trouvait investie d'une valeur proportionnellement plus grande. Chez les calvinistes et autres dévots de la "Réforme radicale", l'abolition du rite traditionnel et de l'intercession du clergé mais aussi la préférence pour des formes directes de communion donnaient davantage d'importance encore à l'écriture dans le culte. Le train incessant des lectures, chants et exégèses qui se déroulaient dans les églises, écoles et foyers calvinistes familiarisaient les fidèles aux faits et gestes les plus insignifiants des patriarches, juges, rois et prophètes, quand jadis ils s'attardaient à la couleur de la chevelure d'un saint ou au rayonnement de son auréole. De surcroît, liée à l'obsession calviniste de la bonne conduite, la distinction entre la nature entièrement sacrée du Nouveau Testament et le caractère "mondain" de l'Ancien Testament faisait de ce dernier un fond de sagesse exemplaire et de vérité historique sans le moindre soupçon de blasphème. Tout cela avait pour résultat d'arracher l'Ancien Testament à la position qui était la sienne dans la théologie catholique – celle de préface nécessaire, de "deuxième étape" dans la téléologie du péché originel et de l'ultime rédemption – pour rendre au lien entre les deux livres une espèce de symétrie complémentaire. Dans la vision catholique du monde, l'incontournable distinction entre les chrétiens et les juifs, pour ainsi dire, déicides dès le commencement, reléguait dans l'ombre la nature exemplaire des histoires de l'Ancien Testament. Dans la mentalité calviniste, en revanche, l'ultime chronique messianique ne se laissait comprendre qu'à travers l'histoire des juifs, par qui le Tout-Puissant avait manifesté sa volonté.
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C'est peut-être l'admiration outrancière de Huygens pour Rubens, ses contacts personnels avec le maître flamand, son désir passionné, quand les circonstances de la guerre le permettaient, de le faire travailler pour la cour de Frédéric-Henri, qui excitèrent en Rembrandt un ardent esprit d'émulation non dénué d'envie. Mais, de toute manière, éviter le grand modèle anversois était impossible. Comme la quiddité, le mot de modèle peut être entendu en deux sens différents : il désigne à la fois le point suprême de perfection et ce avec quoi on rivalise. L'histoire de l'art s'était d'ailleurs souvent écrite selon cette catégorie, en accouplant des artistes rivaux en excellence : Apelle et Protogène, Zeuxis et Parrhasios, Michel-Ange et Raphaël - bientôt ce serait Bernin et Borromini... (p. 41)
Chapitre 1 - La quiddité.
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