Sükrü Hanioglu

La science favorise le progrès alors que la religion l'entrave L'un de ses aphorismes les plus célèbres "Le guide le plus sur dans la vie est la science" témoigne d'une vision du monde unidimensionnelle dans laquelle la science est appelée à gouverner tous les aspects de l'existence humaine. " Il faut être inconscient, corrompu ou ignorant pour se chercher tout autre guide que la science". Affirmait-il

La maîtrise des manières, des mœurs, des langues et des sciences européennes, toutes réunies sous l’étiquette alla franca, était la condition préalable pour appartenir à cette élite, ainsi que la clef de la réussite et de l’ascension sociales. En retour, cette élite nouvelle accueillait les réformes à bras ouverts. On ne peut en dire autant des masses musulmanes, qui y voyaient surtout des machinations européennes destinées à leur faire perdre leurs privilèges au profit des non-musulmans. Ainsi, les réformes creusèrent un fossé au sein même de la communauté musulmane entre les masses religieuses et une élite sécularisée. Tandis que la bureaucratie embrassait avec enthousiasme les mœurs européennes, les pieux musulmans craignaient de perdre du terrain face aux chrétiens sur le plan commercial et moral.

À l’automne 1922, le nom de Mustafa Kemal résonnait dans les foyers musulmans du monde entier comme celui d’un héros ayant mené son pays à une victoire semblable au triomphe japonais de 1905. Il avait tenu tête aux vainqueurs apparemment invincibles de la Grande Guerre et les avait contraints à renoncer à leur projet de règlement imposé ; il avait créé une nouvelle nation musulmane pleinement indépendante dans un monde dominé par les puissances chrétiennes ; il avait triomphé dans une guerre présentée comme une lutte de l’islam contre l’impérialisme occidental. Mustafa Kemal devint une référence pour l’intelligentsia du tiers-monde, auprès de dirigeants aussi différents qu’un athée comme l’homme d’État Jawaharlal Nehru ou qu’un pieux musulman comme le poète anti-occidental Muhammad Iqbal. La nature anti-impérialiste de la guerre d’indépendance turque, qu’il avait si souvent mise en avant, lui valut le respect durable des socialistes – et ce malgré la répression très sévère à laquelle la gauche fut exposée en Turquie.

Longtemps après que ses réformes sécularisantes eurent contredit ses premières postures islamiques, Mustafa Kemal demeura une référence dans le monde musulman. À sa mort, la Ligue musulmane, en Inde, qui avait pourtant organisé de bruyantes manifestations contre l’abolition du califat, salua « une très grande personnalité du monde musulman, un grand général et un grand homme d’État ». Sa mémoire « inspirera[it] courage, persévérance et virilité aux musulmans du monde entier ».

Au regard des attentes populaires, deux chemins s’ouvraient à Mustafa Kemal en 1922 pour revêtir une autorité qui serait reconnue à l’échelle globale : il pouvait soit mettre à profit la possession ottomane du califat pour endosser le rôle de chef panislamique, soit s’imposer comme une figure de proue de l’antiimpérialisme pour les socialistes asiatiques et africains. C’est sur ce point que ses tendances pro-occidentales, scientistes et turquistes prirent le dessus, le menant, et avec lui la nation turque, sur une voie inexplorée qui combinait un nationalisme intense à un engagement tout aussi radical en faveur du sécularisme occidental.

De plus larges pans de la société furent affectés par la révélation que les citations suivantes étaient également apocryphes : « Une société qui ne respecte pas ses aînés n’est pas une [véritable] société » (affichée sur les murs du siège de la sécurité sociale à Ankara) ; « Le futur est dans les airs » (gravée sur des plaques que l’on trouve dans les avions de ligne) ; « Si un problème concerne la patrie, le reste n’a pas d’importance »

L’un des terrains de confrontation les plus sensibles entre laïcs et clercs fut la question des programmes scolaires. Tandis que les premiers prônaient l’adoption urgente de programmes séculiers afin de préparer le mieux possible la nouvelle génération au monde moderne, mais aussi d’encourager les sentiments nationalistes au sein de leur communauté, les seconds se battaient pour préserver le fondement religieux de l’enseignement.