Slawomir Mrozek

« S’il est mal vu que les renards élèvent des poules, eh bien que les poules élèvent des renards ! De cette manière l’opinion publique sera satisfaite » dit le Renard en se léchant les babines. Mrozek a vécu sous nombre de régimes politiques et son enseignement, s’il est pessimiste en diable, n’en finit pas d’être précieux. Indispensable !





« Il est des cyniques qui, tout de suite, voient clair, c’est-à-dire noir. S’il ricane, s’il raille, s’il fait rire, c’est toujours pour nous acculer à regarder en face, sans échappatoire possible, ces pantins ridicules qui s’agitent sur la terre, empêtrés dans le grotesque de leur condition ; tout un monde dont ils sont autant les victimes que les complices, et qui ne tient que parce qu’il est absurde. » Marion Van Renterghem, Le Monde.

Comme à chaque fois qu’on parle de contrat, on n’y comprend pas grand-chose. On a beau essayer de lire entre les lignes, ce n’est pas plus clair. Comme si on ne perdait déjà pas assez de temps tous les jours à dépasser les clodiqueux sur les escalators et à contourner les poussettes dans les rayons de supermarchés, faudrait encore qu’on perde du temps à lire une pièce avec des gens qui ne parlent qu’à demi-mots. Certains spécialistes essaient de nous illuminer le chemin en disant qu’en fait, bien que ça cause de communisme, de liberté, de corruption et de tourner sa chemise, Mrozek n’avait finalement écrit cette pièce qu’afin de parler en filigrane de son parcours de vie et de l’évolution de ses opinions. Autant dire que sauf si vous êtes ledit auteur, ça ne vous donnera pas des frissons, et vous n’apprendrez pas grand-chose.

Après lecture des "Révérends", j'ai eu envie d'aller fureter dans ma bibliothèque de théâtre en quête d'autres pièces de Mrozek. J'avais lu ce recueil il y a une vingtaine d'années. Me replonger dedans m'a beaucoup plu.

"En pleine mer" est ma pièce favorite. Trois personnages sont sur un radeau. Comment survire ? Il faut manger quelqu'un, oui, mais qui ? S'ensuit une sorte de délire politique parfaitement cruel, cynique et totalement contemporain. La digression poétique qui surgit lorsque la situation tourne en boucle, apporte une autre dimension à la pièce, qui m'échappe certes, mais chapeau. Je l'ai vue jouée plusieurs fois sur scène. Sacré défi.

"Bretrand" nous plonge dans un délire occultiste.

"Strip-Tease" est un pur huis clos absurde, abstrait, jusqu'à ce qu'une main énorme surgisse !

"Testarium" est un délire politico, religieux, cruel et verbeux à souhait, jusqu'à ce que le délire emmène le propos loin, loin, très loin.

"Second Service" aborde frontalement l'inceste, les relations troubles, malsaines, avec un spectre qui vient compliquer les choses.

"Les émigrés" est la pièce réaliste que j'ai vue le plus sur scène (parmi les pièces de l'auteur). Certes, elle a un peu pris de l'âge, mais le propos demeure poignant, cruel et prenant.

"Le pic du bossu" est une variation tchekovienne autour du snobisme, de la confusion des genres et des marivaudages décomplexés. Mais lorsqu'un bossu passe par là, il devient le bouc émissaire.

"Jour d'été" est une réflexion sur le suicide, l'optimisme, le pessimisme, le théâtre et la figure féminine qui peut venir tout éclairer, ou pas.

L'ensemble est très bien écrit. Forcément, on se sent plus attiré par certaines formes. Mettre en scène Mrozek est un réel défi. C'est dommage que de grands metteurs en scènes ne s'y collent pas plus régulièrement.

Je n'avais plus lu de pièce de Mrozek depuis un certain temps. Cela m'a donné envie de me replonger dans son théâtre complet. Son absurde est réjouissant à lire et souvent hilarant sur scène. Dans cet opus, l'auteur livre le combat contre l'antisémitisme et l'antiféminisme. Comment ? Grâce à une situation totalement improbable. Dans une petite bourgade de la nouvelle Angleterre, on attend le nouveau révérend. Deux arrivent : un juif et une femme. Lequel survivra à cette communauté de fanatiques complètement névrosés ? Entre le sataniste militant amateur de bombes et la femme qui se prend pour Dieu, comment dire ?... Les dialogues sont vifs, tranchants, retors et machine à jouer. Bref, c'est très chouette !

Bien sûr, qui peut vraiment comprendre ce que veut dire là Mrozek, qui parle des états d’âmes d’un ancien stalinien qui a balancé son meilleur ami, tout ça dans l’espoir de recevoir le flot d’amour promis par le Petit Père ? C’était la belle époque, on croyait avoir enfin rencontré le grand amour et la promesse d’un monde meilleur. On était prêt à zigouiller quiconque semblait sceptique.

« Pour ne pas voler, on en arrive parfois à tuer. A ce moment-là, la honte est moins grande, mais le péché bien plus grand ».

Et puis, la lune de miel passe, le plein soleil de midi frappe à nouveau et ça brûle les yeux : on se rend compte qu’en fait de Priape on a épousé Buzz l’éclair, et le petit Père n’était peut-être qu’une petite pute. Bref, quand on a cessé d’idéaliser l’autre à travers soi, on rentre au bercail la queue entre les jambes, pensant aux amis qu’on a reniés, aux projets qu’on a abandonnés, aux valeurs qu’on a sacrifiées, tout ça pour plaire à quelqu’un qui ne pouvait pas tenir ses promesses.





Il s’avère que Bartodziej, comme fou amoureux de Staline, a dénoncé Anatol pour plaire au régime. Les années ont passé, Barto s’imagine qu’Anatol est bel et bien mort. D’ailleurs, il vit avec son fantôme, c’est vous dire (et ça ne fait pas du bien). Et là, un beau jour, il apprend qu’Anatol est toujours bien vivant, en fait. Je ne sais plus trop pourquoi, mais ils décident de se rencontrer à nouveau.





Ce n’est pas peu intéressant. Même si vous n’avez jamais aimé Staline, il suffit que vous ayez tué (au moins symboliquement) quelqu’un une fois dans votre vie pour que cette pièce vous remue un brin.

Cette pièce est aussi chiante qu’une boum avec des gens qu’on n’aime pas trop. Il paraît que c’était l’effet recherché. Souvent, le divertissement fut vilipendé. Mais pourquoi combattre seulement ses formes les plus évidentes ?

Il s'agit ici d'un livre très singulier; dans les années 50, l'auteur a appris le français à Cracovie avec une dame qui lui contait des anecdotes.

Son moyen pour retenir le vocabulaire était de faire des dessins explicatifs en lieu et place de la définition du mot français, de quoi faire sienne cette nouvelle langue en l'incorporant à son imaginaire. Ce sont ces carnets de vocabulaires qui nous sont livrés, bruts, sans corrections, avec les fautes originales. Ces erreurs donnent encore plus de saveur aux dessins, ils sont très drôles et explicites, mais parfois on se demande ou il veut en venir, le sens du mot n'est pas bien retranscrit et en devient cocasse.

Ce livre est aussi le témoin d'une autre époque, de part le vocabulaire utilisé et la manière d'y associer des images, des situations propres à la vie de l'auteur et de son quotidien.

Un livre à feuilleter, à regarder, à laisser trainer dans son salon pour y revenir souvent.

Petit livre de nouvelles, très brèves et totalement absurdes. De nombreux sujets sont abordés et sous des airs de légèreté, il aborde des thèmes essentiels et plus profonds qu'il parait, comme la vanité, le sens de la vie, la justice et la bêtise des hommes et les complications de la bureaucratie et de la politique.

Trois étoiles car je l'ai trouvé inégal, si certaines sont désopilantes et folles, d'autres m'ont paru moins pertinentes.

Un écrivain attachant avec un livre qui prouve qu’une fois de plus bien des choses s’expliquent sans que l’on doive crier au mystère ou à l'invraisemblable…