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Citation de Livretoi


Ilonka, la femme blessée, se confie à Lazar, l'ami de son mari :
Ilonka : Je ne veux pas de lui s'il doit être malheureux à cause de moi. S'il ne peut pas être heureux avec moi, qu'il aille en chercher une autre… Celle qui lui est destinée. Sa vraie femme… Il existe toujours une femme, la vraie, qui vit quelque part.
Que peut-il m'advenir de pire que de vivre avec quelqu'un qui ne m'appartient pas ? Quelqu'un qui garde un souvenir, un sentiment… J'ai épousé un homme parce que je croyais l'aimer et parce que je croyais qu'il m'aimait. Mais je vis depuis 5 ans avec quelqu'un qui refuse de me donner entièrement son cœur. J'ai tout fait pour l'attacher à moi. Je me suis efforcée de le comprendre. J'ai voulu me rassurer par toutes sortes d'explications absurdes. J’ai voulu l'attacher à moi par le lien le plus fort qui existe… par un enfant. Rien à faire. Pourquoi ? Le savez-vous ? Est-ce une fatalité ? Ou autre chose ? Vous êtes écrivain. Vous êtes un sage, un complice, le témoin de la vie de Péter. Il m'arrive de penser que vous avez une part de responsabilité dans tout ce qui arrive… Oui, vous exercez un pouvoir sur l'âme de Péter.
Lazar : J'avais un pouvoir sur lui, mais je ne l'ai plus. J'ai dû le partager, voyez-vous. Faites-en autant, cela permettra peut-être de sauver tout le monde.
Ilonka : Vous savez mieux que quiconque qu'on ne partage pas en amour.
Lazar : Au contraire, en amour tout est possible.
Ilonka : Que me reste-t-il si j'accepte de partager ? Un appartement ? Une position sociale ? Quelqu'un avec qui je prends mes repas et, de temps à autre, me fait don de sa tendresse, comme on administre, avec une cuillerée d'eau, un médicament à un malade qui se plaint ?... Quoi de plus humiliant, de plus inhumain que de vivre avec une moitié d'homme ! Moi je veux un homme qui m'appartienne totalement. Avoir un homme que je ne partagerais avec personne… Est-ce vraiment impossible ?
Lazar : Non. Seulement, c'est très dangereux.
Ilonka : Et la vie que nous vivons, nous deux, ne l'est-elle pas ? Nous sommes en danger de mort.
Lazar : Le propre de la vie, c’est le danger. Toutefois, on peut vivre ce danger de deux façons : en se promenant éternellement dans la plaine, une canne à la main, ou en cherchant toujours à se jeter, tête la première, dans l'Atlantique. Il faut survivre. C’est là ce qu'il y a de plus difficile. Cela nécessite parfois de l'héroïsme.
Ilonka : Je ne sais même pas avec qui ou avec quoi je dois partager. Avec une personne ? Ou avec un souvenir ?
Lazar : Peu importe. La personne en question n'est plus qu'un souvenir. Elle ne veut rien. Seulement…
Ilonka : Seulement, elle existe.
Lazar : Oui.
Ilonka : Alors il faut en finir, avec la personne, avec le souvenir, avec toute cette vie. Il faut que je la voie, il faut que je l'examine. Que je sache si elle est vraiment celle que je cherche. Si elle est vraiment celle qui empêche mon mari d'être heureux… cella à cause de qui Péter n'est pas tout à fait à moi… parce qu'il est lié par un désir, un souvenir, une confusion de sentiments, que sais-je… alors, je pourrai les abandonner à leur sort.
Lazar : Il a tout fait pour tenir le coup. Imaginez les efforts inouïs qu'il a déployés au cours de ces dernières années pour renier ces souvenirs – il aurait pu déplacer des montagnes. C’est un sujet que je connais bien, vous savez. Il m'est même arrivé de l'admirer parce qu'il a tenté d'accomplir ce qu'il peut y avoir de plus difficile dans la vie… juguler ses sentiments en recourant à la raison. Autant persuader une dynamite de ne pas exploser. Cet homme a tenté l'impossible pour sauver son âme… et garder l'estime de soi, indispensable pour continuer à vivre. Et aussi pour vous et, avec ce qu'il lui restait d'énergie, pour l'enfant. Parce qu'il vous aime aussi… j'espère que vous le savez.
Ilonka : Je le sais. Sans quoi, je ne me battrais pas pour lui… Mais il ne m'aime pas totalement sans réserve. Il y a quelqu'un entre nous. Je chasserai ce quelqu'un ou je partirai moi-même. Est-elle vraiment si forte, si redoutable, cette femme au ruban violet ?

Que peut-on savoir d'un être humain ? Je vivais avec mon mari depuis cinq ans, je croyais connaître à la perfection ses gestes, ses habitudes et bien d'autres choses encore liées à ce sentiment de familiarité tout ensemble émouvant et banal, exaltant et terrifiant, vulgaire et ennuyeux que vous procure la proximité du corps et de l'âme de l'homme avec lequel on vit et au sujet duquel on croit tout savoir… jusqu'au jour où l'on s’aperçoit que l'on ne sait rien. En fait, je connaissais moins bien mon mari que Lazar ne le connaissait, Lazar, cet homme déçu et amer qui exerçait un pouvoir sur son âme. Quel type de pouvoir ? Un pouvoir humain, meilleur et plus fort que mon pouvoir de femme. Non, non, je ne peux pas l'expliquer, mais c’est ce que j’ai toujours ressenti en les voyant ensemble. Eh bien, cet homme m'avait dit la veille qu'il avait dû partager son pouvoir avec la femme au ruban violet.

Ilonka se confie à nouveau à Lazar, l’ami de son mari :
Ilonka : Croyez-vous qu'un premier amour puisse dominer une âme au point de l'empêcher d'éprouver un autre amour ? Que se passe-t-il donc dans l'âme quand on est amoureux ?
Lazar : Dans l'âme, rien. Les sentiments ne surgissent pas dans l'âme…. Non, ils suivent un chemin différent. Mais ils traversent l'âme comme un fleuve en crue inonde un marigot.
Ilonka : Un homme intelligent et raisonnable peut-il contenir un tel débordement ?
Lazar : Oui, dans certaines limites. S'il est vrai que la raison est incapable de déclencher ou de juguler des sentiments, elle peut toutefois les réguler, les mettre en cage, s'ils sont dangereux.
Ilonka : Comme on fait avec un puma ?
Lazar : Si vous voulez. Enfermé dans sa cage, le pauvre sentiment tourne dans tous les sens, il hurle, il montre ses crocs, il secoue les barreaux, mais il finit tout de même par perdre ses poils et ses dents. Il devient vieux, affable et triste. C'est possible, oui, cela s'est vu. C'est le travail de la raison. On peut dompter le sentiment. Naturellement, il ne faut pas ouvrir la porte de la cage trop tôt. Le puma peut toujours s'échapper, et s'il n’est pas suffisamment apprivoisé, il risque de faire quelques dégâts.
Ilonka : Pouvez-vous vous exprimer plus simplement ?
Lazar : Vous voudriez savoir si l'on peut neutraliser les sentiments à l'aide de la raison. Je vous réponds carrément : non. Mais, pour vous consoler, sachez que, dans certains cas particulièrement favorables, on peut les apprivoiser et les faire mourir à petit feu…. Regardez-moi donc. J’ai survécu.

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