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Critiques de Sándor Márai (470)
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La soeur

À paraître le 19 juin.



Noël 1943. Dans un hôtel transylvanien, le narrateur retrouve une connaissance, un célèbre pianiste hongrois. Le musicien est solitaire et a abandonné son instrument. Les autres occupants de l’hôtel sont plus ou moins maussades en raison du temps détestable qui règne à quelques jours du réveillon. Le morne quotidien des personnages est soudain bouleversé par le suicide d’un couple au sein de l’hôtel. « Comment espérer, comment croire que de grandes nations puissent se comprendre, et vivre en paix sur terre les unes à côté des autres alors que certains individus se sacrifient d’une façon aussi désespérée et irrationnelle à des passions et des émotions insensées ? » (p. 42) Le temps d’une soirée, le drame rapproche le narrateur et le pianiste. Ce dernier promet de lui envoyer un manuscrit où il raconte pourquoi il a cessé de jouer.



1939. Z., célèbre pianiste est invité à Florence pour donner un concert. Mais le voilà frappé d’un mal étrange et douloureux : il ne peut plus jouer, ses doigts refusant d’obéir. « La maladie m’a épargné, […]. Elle ne m’a confisquée que la musique. » (p. 66) Reste à savoir d’où vient ce mal paralysant : serait-ce l’amour contrarié que le maestro porte à la trop belle épouse d’un ambassadeur qui cause cette souffrance infernale que seul l’opium peut endormir ? Commence alors un sordide jeu de cache-cache avec la douleur, mais il se noue également des relations particulières entre le malade et quatre religieuses chargées de le soigner, Dolorissa, Cherubina, Carissima et Matutina. « Je m’attelais à la maladie, comme à une quelconque tâche, un voyage aventureux ou un travail dont on ne mesurerait pas les véritables difficultés dès le début. La seule chose que je devinais était que cette tâche allait se révéler compliquée et longue à accomplir. » (p. 150)



La structure du roman est très classique. Le narrateur, dans une longue introduction, raconte comment il est entré en possession de l’histoire, puis présente le texte lui-même. D’ordinaire, je suis plutôt bienveillante envers l’artifice du manuscrit retrouvé ou du récit rapporté. Ici, j’ai trouvé la ficelle un peu grosse, « comme si le but de ce voyage n’avait été que la découverte de la vérité sur le sort de Z. » (p. 72) C’est bien, l’auteur me met directement les mots dans la bouche…



J’ai découvert Sandor Marai avec Les braises, un roman qui ne m’avait pas vraiment convaincue. Toutefois, j’avais gardé l’envie de lire autre chose de cet auteur. Désormais, je crois qu’il n’est pas fait pour moi. Le style est parfois dodelinant, voire lénifiant. Cela laisse tout le temps à l’intrigue de se nouer, mais le rythme dilatoire atténue tous les effets et tous les rebondissements. La plume est belle et le talent est là, mais je m’ennuie avec cet auteur.

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L'Héritage d'Esther

"Après 20 ans d'absence, Lajos revenait chez lui....il devait quelque chose à tout le monde-argent, promesses, serments!"

Esther, la narratrice, trois ans après l'ultime escroquerie de l'homme qu'elle a jadis aimé, qui s'est marié à sa soeur dont il est veuf au présent, raconte comment il l'a "dépouillée de tous ses biens" lors de leurs retrouvailles après une longue séparation.

Sandor Marai, écrivain hongrois du XX° siècle,à l'écriture flamboyante,sait faire monter crescendo la tension dramatique car la violence couve sous les cendres du passé de ce premier amour ravageur sur fond de rivalité (on pense à son roman: Le premier amour). Il se base (comme pour Braises) sur la confrontation de deux êtres qui se sont perdus de vue et utilise (comme dans La Conversation de Balzano) le personnage d'un séducteur sans scrupules.Voilà un beau portrait de fourbe "dépourvu du sens des réalités", "dépensant sans compter", conscient de sa supériorité, désinvolte,fanfaron,farfelu,menteur...un vrai danger surtout pour une vieille fille esseulée et toujours amoureuse!

Quel talent pour analyser la relation complexe qui unit deux êtres! Un talent qui évoque celui de Stefan Zweig dans Le voyage dans le passé.

"Le monde est un théâtre" disait Shakespeare et ce Lajos là est un sacré comédien, un manipulateur sûr de son pouvoir qui sait trouver la faille de l'autre pour l'assujettir.

Comment une femme saine d'esprit, peut-elle se laisser à nouveau bafouer ?

Il suffit de lire L'héritage d'Esther pour comprendre que l'amour est parfois un sortilège envoutant. Est-ce ainsi que les gourous soumettent leurs disciples?

C'est triste et nostalgique car l'amour est échec et désillusion mais c'est beau car Esther, sans écouter sa raison donnera tout jusqu'à son héritage!
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Les braises

Un vieux général reçoit une lettre. En quelques mots, 41 ans d’attente s’effacent. Le vieil homme met tout en œuvre pour organiser une soirée et un repas commémoratifs. En attendant son hôte, le général plonge dans ses souvenirs. Le jeune Henri s’était pris d’amitié pour son camarade Conrad, moins nanti que lui. « Leur amitié était profonde, grave comme les sentiments qui doivent durer une vie entière. Et, comme dans toute grande affection, il s’y mêlait un sentiment de pudeur et de culpabilité. On ne peut, en effet, voler impunément de ses proches nul être humain. » (p. 36) C’est évident, l’amitié qui unit les deux garçons est dévorante : Henri ne peut pas vivre seul et sans affection, et il s’engage sans mesure dans ce lien exclusif. « Ayant une grande affection l’un pour l’autre, ils se pardonnaient leur défaut capital : Conrad à son ami pardonnait sa fortune et le fils de l’officier de la Garde à Conrad, sa pauvreté. » (p. 57)



41 ans après une funeste partie de chasse et une soirée décisive, le général retrouve enfin Conrad. Entre eux se dressent quatre décennies d’attente, de rancune et rancœur. Se dresse aussi le souvenir de Christine qui, semble-t-il, n’a pas pu se résoudre à choisir entre les deux hommes. Mais qu’en est-il vraiment ? « Christine elle-même n’a pas dit la vérité. Conrad peut-être. Oui, peut-être la connaissait-il. » (p. 68) Henri a des questions et attend des réponses. Pourquoi Conrad est-il parti si vite ? L’a-t-il vraiment trahi ? Surtout, Henri en veut à Conrad et à sa fierté d’avoir laisser l’argent se dresser entre eux. « Tu n’as jamais accepté d’argent de moi, tu refusais le moindre cadeau. Tu n’as pas voulu que notre amitié devint une véritable fraternité. » (p. 131) Le face à face entre les vieux amis est glacial et inexorable. Se dessine une amitié qui a semé ses propres embuches.



Ce long dialogue sur l’amitié m’a tout d’abord enthousiasmé, puis vivement agacée. Il ne s’agit en fait que d’un monologue puisque Conrad répond à peine, qu’il renvoie le général à ses questions. Finalement, trop de mystères restent non résolus. Le style de l’auteur est superbe, très noir et étouffant. Mais les braises qu’il a remué pendant tant de pages n’ont rien réchauffé et surtout pas mon attention.

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Ce que j'ai voulu taire

Témoignage, confession, mea culpa, analyse politique, "ce que j'ai voulu taire" rassemble tous ces concepts.

En livrant une analyse en profondeur de la société hongroise après la première guerre mondiale, Sandor Marai prend conscience des errements individuels et collectifs des politiciens et intellectuels qui ont conduit le pays à sympathiser avec le nazisme pour ensuite s'engouffrer dans le bolchévisme. Il en éprouve un extrême sentiment de culpabilité qu'il exprime dans ce récit de façon répétitive, obsessionnelle.

J'ai appris lors de cette lecture que ce petit pays à forte identité nationale a subi le joug de l'occupation turque pendant 150 ans, supporté 400 ans de domination Habsbourg, même si Elizabeth d'Autriche soutenait le désir d'indépendance des Hongrois.(le côté le moins guimauve de Sissi, souvenez-vous).

Il déclare :"je suis hongrois, parce que je suis né hongrois, que le hongrois est ma langue maternelle et que tous mes sentiments et mon sort individuel me lient au destin du peuple hongrois".

Impossible de ne pas rappeler les points communs avec Zweig : tous deux appartiennent à la grande bourgeoisie possédante d'Europe centrale, sont des intellectuels engagés, humanistes, bouleversés par les tragédies historiques de leur époque qu'il appellent "les mouvements tectoniques de l'Histoire", et choisissant leur mort au terme de leur exil.
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Les braises

Une amitié disséquée au scalpel

A Vienne, fin du 19e siècle, Henri et Conrad sont d’inséparables amis d’enfance que beaucoup de choses, cependant, séparent. Henri est le fils d’un d’officier aristocrate et très fortuné et son avenir s’annonce brillant. Conrad n’a pas de fortune et a épousé la carrière militaire sans passion car au fond, c’est la musique qui le fait vibrer.

Malgré leurs différences, jamais leur amitié ne s’est démentie et après le mariage d’Henri avec Christine, Conrad continue à être reçu chez eux jusqu’au jour où…

41 ans plus tard, Henri et Conrad se retrouvent autour d’un diner au château dans un huis-clos qui leur permettra de s’expliquer.

D’expliquer quoi ? De disséquer ce qu’a été leur amitié, l’amour, la haine, la trahison, la passion… la vie. Et il leur aura fallu 40 ans pour qu’apaisés, ils puissent analyser ce qui les a séparés.

J’ai été un peu agacée par la répétition assez artificielle d’adverbes ponctuant les interventions de Conrad et d’Henri qui s’expriment tour à tour « sèchement », « avec calme », « froidement », « timidement », « en souriant », « sur un ton hostile » ou « d’une voix forte »…

Un beau texte très théatral qui m’a rappelé Zweig, une analyse fine de sentiments nobles.

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L'étrangère

Viktor Henryk Askenazi, professeur à l'Institut des Langues Orientales, quarante-sept ans, « un homme plus très jeune, à la calvitie précoce, au regard myope. », a choisi de fuir sa vie, d'aller voir de l'autre côté du miroir, là où les conventions qui régissent les relations sociales ne sont pas les mêmes pensent-il. Oubliant qu'elles sont différentes mais tout aussi contraignantes.

Il a l'orgueil de penser qu'il pourra

vivre en harmonie avec sa conscience.

Hélas non. Cela n'est pas aussi simple.

Il s'éprend d'une danseuse, connue l'année précédente « en des circonstances indignes » précise-t-il montrant s'il en était besoin que la chape de plomb du social lui pèse encore.

Pour fuir la contrainte nouvelle qu'il s'est lui-même créé il décide de céder « aux conseils de ses amis » et de passer « quinze jours dans un tout petit endroit »

Via Munich, il se rend à Split où un bateau le dépose sur une île de l'Adriatqiue.

« La pension Argentina a troqué son statut de demeure luxueuse pour celui d'honnête maison « bourgeoise », forcée de s'adapter au niveau de vie et au bon vouloir de ses hôtes »

Il découvre un nouvel univers, se moque des conventions que les pensionnaires s'imposent :

« Il éprouvait une certaine compassion à leur égard mais, dans l'ensemble plutôt de l'indifférence; c'est avec la condescendance de l'érudit qu'il se promenait dans ces espaces charmants mais manquant tout de même d'authenticité. »

Il s'en veut maintenant de ne pas avoir fait comme font tous ses collègues cacher à sa femme Anna sa liaison avec Élise, la danseuse et faire comme si…

Réquisitoire contre l'hypocrisie sociale, L'étrangère est d'une férocité rare contre le narrateur lui-même qui s'enferme dans ses fausses certitudes qui finiront par le conduire à l'irréparable.
Lien : https://camalonga.wordpress...
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Les braises

La lecture de Sandor Marai m'enrichit de plus en plus.

Son écriture, bien évidemment, magnifique, musicale, si précise, est celle d'un peintre impressionniste, aussi, je ne trouverai pas les qualificatifs car cette écriture, elle est à respirer, à entendre (surtout) (et coïncidence, la musique est essentielle dans l'oeuvre de S. Marai), mais aussi à humer... oui le nez en l'air.



Les Braises est fléché comme le "must", le "best"... personnellement je n'en sais rien, puisque je n'ai lu aucune critique ni aucune étude sur cet auteur, conseillée par un ami babéliote futé, et par mes lectures de Kertesz Imre... j'ai pris toutes les oeuvres par ordre de création et les lis, sauf celles que je n'ai pas pu me procurer. On dira ce qu'on voudra, mais il y a longtemps, j'ai fait pareil avec Marguerite Duras, et franchement je l'ai bien vécu.



Les Braises est un roman qui confronte deux amis, enfin, si on veut, car qui a voulu être l'ami de l'autre ? une femme, deux sociétés donc deux cultures, et deux "nations" (même si cet aspect est assez oublié, il m'a paru important... on est hongrois, on est mi-polonais, un peu roumain, un peu tyrolien... toutes ces notes ne sont pas anodines).

On parle de mensonge, de trahison, de fidélité, d'amitié, mais aussi de chasse, de virilité, de faiblesse, de mémoire et de vieillissement.

Chacun pourra y voir ce qui correspondra à sa sensibilité, à sa propre histoire, et je pense que c'est ce qui donne à l'oeuvre de Sandor Marai, son intemporalité et une forme d'universalité.

Pour ma part, j'y ai vu surtout une opposition de caste, de classe sociale.

Mais c'est une belle lecture, Si l'on accepte le long monologue du Général (comprenez, un peu long à mon goût et donc trop dominant face à son "adversaire").

Enfin, je vois des espèces de classement des romans de Sandor Marai. Je n'aime pas trop les classements, mais je dois dire que celui-ci n'est pas celui qui m'a le plus emballé.



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L'Héritage d'Esther

Lajos est de retour! Il a annoncé par courrier son arrivée prochaine et Esther ne se fait aucune illusion. Cet homme, qui 20 ans plus tôt lui a tout pris, revient pour achever son oeuvre et prendre la dernière et seule chose qu'elle possède encore: sa maison. Alors elle se penche sur son passé pour savoir pourquoi elle s'est laissée dépouiller ainsi par cet escroc au charme irrésistible et pourquoi elle va cette fois encore sans doute céder à sa requête.



Court -environ 150 pages- L'héritage d'Esther est un roman simple et beau sur l'amour irrépressible d'une femme pour un homme qui ne le mérite pas. Ça peut sembler banal dit ainsi mais c'est compter sans Sandor MARAI qui semble avoir le don de transcrire les sentiments les plus profonds de façon succincte mais intense. Il nous raconte le face-à-face passionnant et passionné entre une Esther vieillissante et résignée et un Lajos qui n'a rien perdu de sa superbe ni de sa verve. Chez MARAI, l'amour est une malédiction qu'il est inutile de vouloir combattre. Le coeur d'Esther a battu, et bat toujours, pour Lajos malgré ses mensonges, ses trahisons et sa disparition. Il l'a dépossédée de tous ses biens et encore une fois il vient pour prendre mais c'est ainsi, ce qui a été commencé doit être achevé, c'est là tout le sens de la malédiction.

Une écriture au charme désuet et une étude approfondie de la psychologie des personnages font de ce petit livre un petit bijou à découvrir.
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Les braises

C'est le sixième roman de Sándor Márai que je lis, et c'est la sixième fois que je suis totalement emportée, hypnotisée, chamboulée.

Comme presque tous les romans de Márai l'action peut se résumer en deux mots, mais comme dans tous les romans de Márai ce qu'on y ressent est multiple. Les braises m'a particulièrement rappelé Les mouettes ; car il s'agit ici aussi d'une conversation qui va durer une nuit entière. Une nuit fiévreuse, une longue nuit. Henri et Conrad, deux vieux amis, se retrouvent après quarante et un ans sans s'être vus. Ils vont discuter pour essayer de mettre au clair les raisons de leur amitié brisée, tenter de lever les nombreux secrets et non-dits qui entourent leur étrange, mais très fort, lien d'amitié.



Leur conversation est un véritable échange fiévreux, foisonnant, profond, et philosophique où ils discourent sur à peu près tout ; l'amitié (coeur du livre), l'amour, l'honneur, le devoir, la famille, c'est à la fois un plaisir à lire et aussi très questionnant. Mais ce roman, et leur conversation, est aussi et surtout un fabuleux portrait d'un monde disparu ; celui de l'empire austro-hongrois. Un empire englouti par la guerre, et avec lui l'enfance et la vie qu'ils ont connu ; une société bourgeoise codifiée par des normes sociales contraignantes, par le carcan des conventions et des apparences, qui d'ailleurs d'une certaine façon auront raison des deux hommes.

Ce roman a eu sur moi l'effet d'un page-turner, comme avec Les mouettes je n'arrivais plus à le lâcher, j'avais envie de connaitre cette « vérité » que Henri cherchera toute la nuit durant, quitte à en attendre un peu trop. Car j'ai été très légèrement frustrée par la fin, mais comme je le dis presque chaque fois dans mes critique de Márai ; j'ai compris qu'il y aura toujours une part de mystère autour de ses personnages et de la fin de ses histoires. Doucement j'ai appris à l'accepter.



J'ai retrouvé dans ce sixième roman tout ce que j'ai découvert et tant aimé de cet auteur ; une plume poétique, une extraordinaire acuité psychologique, un récit lent mais un rythme haletant, plusieurs strates de lectures, et des thèmes universels.

Du grand Márai.
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Les braises

Je viens de relire ce livre pour la 3ème fois ave toujours autant de bonheur. Un roman magnifique construit autour d'une conversation d'une soirée entre deux hommes vieillissants, jadis amis, mais mais qui un jour se sont séparés. Une séparation si brutale qu'elle ne pouvait pas rester définitive. Conrad ne pouvait pas ne pas revenir, et Henri, son hôte, attendait depuis longtemps ce retour, pour connaître enfin l'entière vérité sur les graves évènements qui brisèrent leur relation. Pour s'imprégner pleinement de l'atmosphère de ce roman, il faut se représenter un château situé quelque part dans la campagne hongroise, entouré d'un grand parc boisé propice à la chasse et aux longues promenades. A l'intérieur de cette vaste demeure, il faut imaginer de grandes pièces au charme désuet, dont chaque composante est décrite avec la minutie des romans classiques. Il faut également avoir à l'esprit un monde finissant, celui de la haute hiérarchie militaire de l'empire austro-hongrois à son crépuscule.
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La nuit du bûcher

On tranche, on brûle, on juge, on sentence, on chasse, on pend. Au nom d'une loi, au nom d'un dieu, ou au nom d'une idéologie. Tous les crimes contre l'humanité ont leurs penseurs. Discours ou prêche, défilé ou procession, à chacun ses martyrs, à des millions : des fosses communes ou le silence d'une montagne de cendres.

Livre indissociable de la vie de Sandor Marai. Fuyant la guerre, le fascisme, le stalinisme, son écriture récite la seule prière digne d'être lue parmi les hommes : « Savoir vaut davantage que croire ».

Nous sommes au 16e siècle. Rome. L'inquisition espagnole veut apprendre de la grande inquisition italienne. Procès, tortures, exécutions. On rédige, on instruit, on prend note. Grand traité, petit manuel du parfait inquisiteur. Giordano Bruno ne lâchera rien. L'univers infini, existe, nous le savons. Mais celui qui ne fait pas d'un dieu ou une d'une idéologie le centre du monde est coupable d'hérésie. Hérésie ...du grec αἵρεσις / haíresis : choix, préférence pour une idée ou pensée.

Un choix, ...une liberté. A parler librement, à penser librement. Penser par exemple qu'  « un homme est peut compter plus qu'un troupeau ». S'interroger : «  Qu'est-ce qui est préférable : l'insouciance dans un endroit où l'on ne peut rien écrire ouvertement ou l'inquiétude dans un autre où l'on peut scribouiller en liberté ? »

Ce qui est remarquable dans ce roman c'est la malheureuse éternité de ce qu'il contient et l'espoir qu'il recèle.

C'est également ce que ce 16e siècle, et les siècles qui l'ont précédé, colportaient déjà à notre porte.

Ce que l'histoire engendre, porte dans ses entrailles. Ce que l'on peut y lire, ce qu'il faudrait comprendre, ce qu'elle annonce.

« Là où l’on brûle les livres, on finit par brûler des hommes. » écrivait Heinrich Heine, .. et là où on brûle un homme, tout est fini.

Effroyable récit où l'on voit un peuple, une société entière, du plus petit au plus grand, du plus riche au plus pauvre, tous être certains.

Certains. Certains de ce qui est dit, proclamé, jugé, certains , sans qu'aucun doute, sans qu' aucune question ne viennent arrêter la main du bourreau. Assassins de bonne foi. Où commence la complicité , où s'arrête la soumission ? L'habit ne fait pas le moine, quelque que soit son obédience.

Comment alors reconnaître un diable ou un bon dieu ? Et si tout cela , pour finir, ne regardait qu'eux..

Et quant aux hommes.. il leur reste l'avenir pour faire infiniment mieux.



Astrid Shriqui Garain











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Métamorphoses d'un mariage

C’est l’après-guerre, un pont vient d’être reconstruit entre Buda et Pest, qui avaient été à nouveau séparées par les bombardements allemands. Les deux villes sont en ruines. Une foule déguenillée, sale, affamée, tout juste sortie des caves où elle fuyait les bombes, le traverse dans les deux sens. Un individu dénote parmi elle : Peter, un bourgeois impeccablement vêtu tenant sur son bras un pardessus. Il incarne la dignité d’une classe menacée, d’un monde à l’agonie. Brusquement une femme se jette à son cou. C’est Judit, son ex-femme, la deuxième, l’ancienne bonne de ses parents. Ils se voient pour la dernière fois. La Hongrie sera bientôt aux mains des Soviétiques, l’espoir d’un monde nouveau anéanti. Peter est sur le point d’émigrer aux États-Unis, il est désormais de trop dans son propre pays.



Ce roman est leur histoire, celle de Peter d’abord, marié à Ilonka, dont il aura un enfant qui malheureusement ne vivra pas, secrètement attiré par Judit, une femme du peuple, née dans la misère, qui nourrit à son égard des sentiments ambivalents. Ilonka comprend vite, malgré sa souffrance, qu’elle ne parviendra pas à conquérir le cœur de son mari et le laisse partir. Le mariage avec Judit sera également un échec, partagé entre la vaine générosité de l’un et le ressentiment de l’autre. C’est l’histoire d’individus pris dans la tourmente d’une époque qui touche à sa fin, racontée par les différents protagonistes. Peter est attaché à défendre les valeurs de sa classe, son humanisme, la culture, l’éducation. Illonka s’efforce de jouer son rôle mais sent que Peter lui échappe. Pour Judit la bourgeoisie est figée dans une accumulation d’objets et de rituels, qui lui font dire que c’est très compliqué d’être riche, en opposition à une classe sociale qui lutte pour sa survie.



Mais très vite une nouvelle menace s’élève, prétendant résoudre cette fracture sociale en prenant le pouvoir au nom du peuple, l’instauration de la dictature communiste. Et finalement pour beaucoup, va s’imposer l’exil aux Etats-Unis où là aussi la démocratie et la liberté restent souvent des illusions mais qui laissent la possibilité de se faire une place au soleil.

Un très beau roman sur la décomposition d’un monde, où un personnage, l’écrivain, ami de Peter, semble le témoin silencieux de cette agonie et le double de l’auteur qui analyse ce glissement avec une grande lucidité. Malgré quelques longueurs, encore un très grand roman de Sándor Márai.

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Dernier jour à Budapest

Dernier jour à Budapest est un livre à tiroirs. C'est le dernier jour à Budapest de l'écrivain hongrois Gyula Krudy mort en 1933 à l'âge de cinquante-quatre ans, et ce sont également, à titre prémonitoire, les derniers jours à Budapest de Sandor Marai qui s'exilera en Italie, puis aux Etats-Unis huit ans après avoir écrit ce livre. Ce sont enfin les derniers jours d'une certaine Hongrie, dont Sandor Marai et son mentor, Gyula Krudy étaient nostalgiques, une Hongrie puissante qui était l'autre membre de l'Empire austro-hongrois, regroupait, entre autres, une partie de la Slovaquie, de la Roumanie, de l'Ukraine et de l'Italie; une Hongrie qui sera dépecée, au moment de l'éclatement de l'Empire, à la fin de la guerre 14-18, et qui perdra la moitié de sa superficie et de sa population.

Sandor Marai était, au moment de l'écriture de ce livre, un "emigré interne" face à la montée du fascisme puis du communisme.

Pour évoquer ce pays et ce peuple qui ne sont plus, à ses yeux, Il fait le choix de s'exprimer au travers de Krudy, nommé Sindbad, l'un des personnages récurrents de ses romans, et tente de recréer l'univers de l'écrivain, au cours d'une déambulation dans la ville. Krudy, dont l'oeuvre est tombée dans l'oubli, n'a pas un sou devant lui et doit écrire une chronique par jour. Il divague de café en café, rencontre ses homologues, parcourt la ville en tous sens à la recherche de lieux et de paysages de sa jeunesse. Il déroule le fil de ses souvenirs et de ses remémorations et c'est l'occasion des plus belles pages de ce livre, celles qui sont consacrées aux ambiances et à l'atmosphère des endroits et des maisons du passé, chargés de sensations et de traces olfactives.

Derrière la quête de plaisirs sans fins, pointent la tristesse, la désillusion et le dépit du romancier.

Moins accessible que des livres magnifiques comme L'héritage d'Esther ou La soeur, du fait de la méconnaissance que j'ai de la ville de Budapest et des nombreux écrivains hongrois cités ici, Dernier jour à Budapest nous offre néanmoins de très beaux moments de grâce poétique. Il aiguise par ailleurs notre curiosité et nous donne diablement envie d'aller à la rencontre de l'oeuvre de ce Gyula Krudy, dont on dit qu'il a écrit des centaines de romans.
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Les braises

Sàndor Màrai est un auteur hongrois du XXème siècle dont l'oeuvre fut censurée par le régime communiste. Il écrivit Les Braises pendant la deuxième guerre Mondiale. J'ai beaucoup aimé la première partie de ce roman qui raconte les retrouvailles à huis-clos entre deux vieillards, le général issu de la grande tradition militaire austro-hongroise, et son ancien ami Conrad, qui se revoient pour la première fois quarante-et-un ans après la fuite de Conrad vers les Tropiques. L'écriture est classique et superbe, les descriptions du château sont magnifiques, on croirait y être, et les analyses des personnages sont fines, intelligentes, acérées. le roman raconte ce que fut leur amitié, aux yeux du général, un sentiment de grandes pureté et valeur. Puis le général raconte à Conrad comment au fil des années de solitude, il a fini par comprendre la cause de leur rupture d'amitié, et à la lumière faiblissante puis moribonde des bougies qui se consument, sa longue confession le laisse finalement exsangue, vidé de sa peine, de sa colère et de son désir de vengeance. J'ai moins aimé cette deuxième moitié, j'eus souhaité un dialogue, ce monologue auquel seul le silence répond m'a finalement laissée le coeur lourd et sur ma faim.

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Les braises

L'amitié au tison

A la suite d' un mystérieux incident de chasse, deux anciens amis d'enfance sont restés plus de quarante ans sans se revoir et ne se reverront jamais plus. C'est l'heure de s'expliquer. Les braises ce sont ces passions anciennes qui bouillonnent encore et que les retrouvailles vont attiser. Henri, le général, s'est réfugié dans son vaste château familial, au milieu des forêts de son enfance. Conrad, l'amateur de musique, a quitté l'armée, changé de nationalité et a fui très loin, sous les Tropiques. Le général veut la vérité et dirige la conversation, mais, à mesure que nous apprenons ce qu'il s'est réellement passé, nous comprenons aussi que leur amitié s'appuyait sur des fondements bien illusoires...

Je remercie Tiptop92 pour m'avoir permis de découvrir ce beau roman intense et douloureux.
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Le miracle de San Gennaro

Sandor Marai n'a pas son pareil pour relater, faire ressentir, des lieux, des atmosphères, des personnages, des couleurs, des odeurs, des attitudes, des sentiments éphémères.

Le Miracle de San Gennaro est d'abord le miracle pour le romancier de la découverte d'un espace de liberté et de toute beauté, le Pausilippe, près de Naples, là où il échoue après sa fuite de la Hongrie soviétisée. Et en attendant de partir pour les Etats-Unis. Il est encore en Europe et il comprend, il embrasse encore cette culture, ces gens, cette langue.

Il est à la fois dans la nostalgie, déjà, et la découverte de cette terre et de son peuple de Pausilippe.

Les dizaines de pages vouées à la description, à l'observation et des paysages, et des ambiances et des gens de ce petit coin de paradis - pour lui-, sont délicieuses. A déguster, lentement, à savourer, à relire, doucement, posément, l'écriture de Sandor Marai transcende ce qu'il a vu, ce qu'il a senti, ce qu'il a entendu.

Puis vient le couple d'étrangers, ombres et mystères. Ce n'est pas les pages du roman qui m'ont le plus intéressée. Même si l'on a vite fait le parallèle entre lui le réfugié, l'exilé, l'étranger et son personnage. Même si 'lon fera aussi le parallèle entre le personnage qui est mort et l'auteur, Sandor Marai, qui meurt en quittant sa Hongrie, sa langue, mais qui vivra parce qu'il est mort. Car, nonobstant, il restera un réfugié et un exilé.

Parmi tous les livres de ce magnifique écrivain que je viens de lire ces derniers mois, celui-ci retient vraiment mon affection. En effet, j'ai aimé cette lecture, je l'ai savourée car l'écriture est si délicate et si fine, et j'ai ressenti de belles et tristes émotions. Sandor Marai en exil, s'attache à une terre idyllique, tout en devant la quitter pour un monde inconnu. Très beau, très symbolique. Très émouvant.
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Un chien de caractère

Où Sandor Marai se paye la tête des bourgeois de Budapest, au début des années 1930.

Leurs petites manies, leur paupérisation (crise oblige), leur néanmoins attachement aux signes extérieurs de richesse, toute relative, de leur classe, leur autocentrisme, leur entêtement de classe.

Le chien, Tchoutora, acheté par Monsieur pour l’offrir à Madame, est un révélateur : lui, n’appartient à aucune classe (entendre : race, Tchoutora a été cédé en tant que Puli – race spécifiquement hongroise, je conseille d’aller sur internet voir cette race, assez drôle, sorte de berger très poilu, les poils étant de deux niveaux et s’entremêlant pour finir en sorte de dreadlocks, impressionnant – mais Tchoutora en grandissant sera simplement un gentil bâtard.

Reprenons sur quelques points de détails.

Les premiers chapitres relatent les préparatifs des fêtes de Noël chez un couple, Monsieur et Madame (ils porteront jusqu’à la fin cette absence de nom, ce qui donne au narrateur mais surtout au lecteur une distance qui en fait un observateur, un chercheur en sociologie, voire en étiologie).

Dans cette famille de Monsieur et de Madame, milieu bourgeois mais désargenté – crise économique oblige – cadeaux, repas, sapin restent autant de marques sociales essentielles, existentielles. Là, la plume de Sandor Marai est une épée qui touche à chaque assaut. J’ai par exemple jubilé à la lecture de la page où le sapin décati est comparé à la tante Gisèle. L’écriture de Sandor Marai est telle que les images sont là, le sapin et la tante Gisèle. Les têtes, les couleurs et les odeurs. Tordant.

Dans cette famille, au sein de ce couple de Monsieur et de Madame, le Puli – en fait le faux Puli – arrive. Je passe sur le chapitre qui concerne la vente entre Monsieur et le gardien roublard du chenil. Là aussi, écrit il y a près d’un siècle, la scène n’a pas pris une ride.

Enfin, le chiot baptisé Tchoutora arrive dans la famille, entre Monsieur, Madame, et Thérèse la bonne. Le comportement du chiot est décrit de manière très réaliste, adorable. Sandor Marai manie les degrés d’humour, et une écriture toujours précise, avec sons et couleurs, et installe le chien au milieu des humains. Les dialogues – monologues – entre le chien et Thérèse, la bonne, sont savoureux. La bonne, représentant le bon sens paysan, est la seule à pouvoir dialoguer durablement avec Tchoutora, sans se préoccuper du regard des autres.

Bref, au fur et à mesure des pages, Tchoutora se contrefiche des bienséances bourgeoises et des antagonismes sociaux. Il aboie, il urine, il jappe, il refuse la laisse, un vrai libertaire, qui ne se plie pas aux règles édictées par « ses » bourgeois.

Ce livre est une fable sur le conformisme et les antagonismes de classes dans une société archaïquement figée et pour laquelle l’introduction d’un électron libre « Tchoutora » constitue d’abord une distraction, un amusement, puis une mission, celle de l’éduquer, de l’intégrer, de le faire obéir aux règles, aux usages, de le mettre aux normes dominantes, de le rendre conforme. Enfin, le drame survient. Le libertaire, le farouche Tchoutora, le sans race, répond par la violence aux violences subies, celles qui veulent le « normaliser ».

Etre conforme aux normes établies par une classe dite supérieure ou rester libre en le payant peut-être de son sang et en le faisant payer aussi aux soi-disant supérieurs. Une fable et une morale.

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La nuit du bûcher







Le titre français est trompeur car ce roman ne raconte pas une nuit mais plusieurs mois de 1598-1600. Par ailleurs on ne peut pas vraiment en parler comme d’un roman historique car on trouve quelques anachronismes, par exemple il y est fait allusion par la bouche du héros à la guerre de cent ans, nom bien postérieur à la fin du 16ème siècle.

C’est plutôt un prétexte pour réfléchir sur le totalitarisme.



Un moine inquisiteur d’Avila est envoyé par son ordre à Rome pour “prendre des leçons” de méthodologie inquisitoriale. Reçu par le consultore Bellarmin, il est admis au cœur de la confrérie de San Giovanni Decollato. Il y apprend l’Italien et assiste aux soirées qui rassemblent les “confortatori” clercs et laïcs qui lorsque qu’il doit y avoir une “giustizia” se hâtent vers la cellule du condamné pour le conforter, l’inciter une dernière fois à abjurer ses erreurs, le pousser à demander lui-même la punition. La description de ces confortatori derrière l’admiration pour leur abnégation, souligne avec humour leur goût pour le vin grec qui leur est servi pendant leurs veilles.

Le padre Alessandro auquel il est plus particulièrement confié au sein de la Confrérie réfléchit beaucoup à la sainte mission confiée à l'Inquisition. Màrai le fait prédire qu’un jour le Saint Office ne pourra plus se contenter de juger un homme à la fois, procédure trop fatiguante et coûteuse, mais qu’on rassemblera en un seul lieu bien isolé du bon troupeau, tous ceux qui pourraient être coupable du crime de penser par eux-mêmes. Il ne sait pas encore comment cela sera possible mais il en est sûr.

En récompense de son zèle, le carmélite sera autorisé à accompagner les confortatori la nuit précédent son retour à Avila. Ce condamné n’est autre que Giordano Bruno qui se sera mesuré au cours des sept années d’instruction de son procès également à Bellarmin lui même.

Après avoir assisté sans faiblir au bûcher, et avoir pris congé de ses hôtes et de Bellarmin, devenu cardinal, qui lui parle longuement, le moine se met en route mais décide vite et sans avoir consciemment compris pourquoi, de se défroquer et partir pour Genève. Ce que nous savons dès les premières lignes puisque ce roman est constitué d’une longue confession écrite du moine à l’un des ses ex-condisciples où il explique d’emblée qu’il ne reviendra jamais à Avila. Ce qui est étonnant c’est qu’il déclare croire encore à la Cause mais non à son efficacité, il y aura toujours un homme qui voudra penser par lui même et contaminera les autres.

A Genève, lui qui avait l’habitude d'obéir mais jamais de s’inquiéter de pourvoir à ses besoins, va apprendre aussi le prix de la liberté.



Le contrôle des lectures et des pensées, l'obéissance au dogme plutôt que la réflexion et le libre arbitre, la surveillance des voisins et même des membres de la famille et la délation sont des règles prônées par l’Inquisition mais aussi par le régime communiste sous lequel avait vécu Màrai avant de quitter la Hongrie

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L'Héritage d'Esther

Je viens de lire voire relire les chroniques des différents bloggeurs sur ce court ouvrage de Sandor Marai. Je partage l'avis unanime qui voit en L'héritage d'Esther un pur concentré du talent de cet écrivain hongrois que j'affectionne tout particulièrement. L'ultime confrontation entre Esther, la vieille fille bafouée vivant recluse et Lajos, l'homme de sa vie, l'amant éternel qui n'hésita pas à la trahir 20 ans plus tôt en épousant sa sœur, résume à elle seule tous les thèmes chers à notre auteur : le poids du passé et la nostalgie qui en découle, la désillusion sur l'amour perçu comme une souffrance inévitable plutôt que comme une quête salvatrice, la trahison et les regrets afférents. Des thèmes loin d'être joyeux vous en conviendrez mais qui sous la plume de Marai, prennent une intensité dramatique incontestable qui coupe le souffle. Et bien que ce roman ne soit pas le plus marquant à mon sens, il n'en demeure pas moins une belle réussite.



Quand vous disposerez de quelques heures, plongez-vous dans l'histoire d'Esther qui après 20 années de survie, être désincarné aux sentiments couvés, se retrouve une dernière fois face à Lajos, le bellâtre, le vil et dilettante amour d'une vie, venu la dépouiller de son dernier bien, sa maison. Si fierté et dignité il y eût, elles ont depuis lors disparu pour ne laisser place qu'aux ultimes assauts d’égoïsme d'un homme que rien n'a jamais arrêté, pas même l'amour qu'il voua véritablement à Esther. Et Esther, l'amoureuse bafouée, acceptera une dernière fois encore, l'insulte suprême faite à ses sentiments.



Fable cruelle que ce roman intense aux notes d'amertume.


Lien : http://www.livreetcompagnie...
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L'Héritage d'Esther

D'abord, il y a ce titre énigmatique - et pour une fois une couverture bien choisie.



"Quelle terrible loi, pensais-je ! et j'en eus la chair de poule. Je m'endormis ainsi, frissonnante, hébétée, la fausse bague au doigt, comme si, parvenue à l'ai libre après un long séjour en un lieu fermé, j'eusse été brusquement saisie jusqu'au vertige par une brise forte et cruelle, par le coup de vent de la réalité."



Esther se fait vieille. Elle a choisi de vivre solitaire et presque recluse après l'immense déception que lui causât, de longues années auparavant, l'amour de sa vie, Lajos. Après vingt ans d'éclipse et malgré ses trahisons répétées, le talentueux séducteur et brillant dilettante, ruiné, fait son retour, pour affronter Esther dans une ultime passe d'armes. Au soir de leur vie et dépouillés de leur superbe, enfermés dans leurs rôles, les deux personnages se mesurent dans un face-à-face s'inscrivant dans un huis clos de plus en plus étouffant, qui fait resurgir les sentiments et les ressentiments du passé.



Pas un mot de trop dans cette fable de la cruauté et de la désillusion. Véritable petit bijou littéraire, L'héritage d'Esther est un concentré de l'immense talent de Marai, trop peu lu. L'auteur hongrois met ici en œuvre un travail d'une précision d'orfèvre, dont toutes les pièces s'emboîtent avec une perfection diabolique. Le ton est d'une justesse inégalée, et les sentiments saisis dans une complexité vertigineuse et dans la sobriété d'un style épuré. Servi par une unité de temps et de lieu, et sous-tendu de dialogues ciselés, l'Héritage d'Esther en devient presque théâtral. Du grand, du très très grand Marai.
Lien : http://le-mange-livres.blogs..
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