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Critiques de Sok-yong Hwang (248)
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Le vieux jardin

“Prisonnier politique”, un terme qui me donne la chaire de poule. On est puni, tout simplement parce que nos idées et convictions ne correspondent pas à ceux qui sont au pouvoir.....et pour ça Hyonu a dû faire dix-huit ans de prison, enfermé dans une cellule. On le rencontre dans les premières pages de ce magnifique roman alors qu'il se prépare à retrouver sa liberté. Nous sommes en Corée du Sud ( et non du Nord) fin années 90.



18 mai 1980 à Kwangju eu lieu un massacre sanglant de civils par les militaires, qui mit fin au " printemps de Seoul" , nom donné à la vague de contestation aspirant a la démocratie suite à l'assassinat du dictateur au pouvoir. La détention de Hyonu y est liée, étant arrêté comme " fomenteur de trouble et d'impuretés sociales ". A l'origine condamné à perpétuité il finira avec dix-huit ans, presque le quart d'une vie humaine, où le monde a beaucoup changé. C'est un retour à la vie, donc aux souvenirs, aux sentiments et à l'usage de la parole. Et les souvenirs sont amers, ceux des années avant et durant la détention, ceux des amis disparus et surtout celui de la femme aimée, morte, Yunhi, la vraie héroine du roman. On va la rencontrer à travers les souvenirs de Hyonu, mais aussi des carnets personnels et des lettres qu'elle a laissés dans sa maison à Kalmoe. Un personnage courageux et sincère que j'ai beaucoup aimé.



C'est une écriture puissante, doublée d'un magnétisme poétique qui nous révèle cette histoire douloureuse, étroitement liée à la vie de l'écrivain et à l'Histoire de la Corée du Sud. Entre vécu et fiction , l'histoire "de l'idéalisme d'une jeunesse, la sienne et celle de ses compagnons en quête d'une utopie, de ce "vieux jardin" toujours cherché et jamais atteint” , avec la présence de la patte de l'américain, comme toujours là où il y a bordel. Pour eux l'occasion à jamais de vendre leurs gadgets mortels, des montagnes d'armes, des avions de combat supersoniques, des vaisseaux de guerre et des porte-avions ( p.375 ). Quand à l'histoire de la Corée du Sud, elle n'a rien à envier aux dictatures sud-américaines ou autres par le monde, vu leur brutalité, leur inhumanité en tout genre de tortures, massacres et disparitions.



Malheureusement tout idéologie utopique, n'arrivant pas à dépasser le stade des idées, se termine en désastre, et on revient à la case de départ; car l'homme même idéaliste, une fois le pouvoir en main n'arrive pas à échapper à sa nature de despote inné. Et ceux qui ont suivi, souffrent ou meurent pour un idéal qui s'avère finalement qu'une illusion. Lutte ou pas lutte, les idéologies suivent leurs cours, naissent, vivent et meurent, laissant la place à d'autres. L'idéal qu'on cite comme liberté , fraternité, égalité pour tous, personnellement je n'y crois plus du tout, une belle phrase, qui reste une belle phrase. Mais l'auteur lui, à la question : y a-t-il encore de l'espoir ? , répond, " Tant qu'il reste possible de s'interroger ainsi, tout peut recommencer." J'espère qu'il a raison.



" Pour parler comme Ernst Bloch, " le Vieux Jardin" serait le portrait d'une génération qui a poursuivi le rêve d'une vie meilleure ". Très triste et très beau, une première rencontre époustouflante avec Hwang Sok-Yong.





“Quel monde avez-vous tant espéré sans qu'il vous soit donné avant de partir ?”



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Le vieux jardin

« le vieux jardin »…que de riches évocations émanent de ce titre… le vieux jardin, celui de l'utopie égalitariste, sans cesse cherché, jamais atteint, le jardin des rêves brisés de toute une jeunesse, en l'occurrence la jeunesse coréenne ici dans ce livre, mais de toute jeunesse du monde en réalité, broyée par la dictature militaire. Une jeunesse qui imaginait une caverne s'ouvrant sur un autre monde, ne connaissant ni la douleur, ni la violence, ni les inégalités, ni la pauvreté, ni la faim. Un monde plus harmonieux où pourrait fleurir toutes sortes de fleurs aux couleurs splendides.

Le vieux jardin, celui des souvenirs aussi, fleurs d'un rose de tissu fané mais bien vivaces, ce jardin aux feuilles veloutées, telles des mains protectrices et caressantes, dans lesquelles venir se blottir quand vous vivez l'insoutenable. le cachot. La privation. L'humiliation. L'horreur. Celle d'un prisonnier politique en Corée. Tel est l'objet de ce gros livre absolument magnifique. Appréhendé à travers le prisme d'une histoire d'amour de toute beauté et d'un portrait de femme fort. Femme qui est en vérité le personnage central du roman. Un livre de Sok-Yong Hwang que nous pouvons qualifier de chef d'oeuvre qui m'a laissé hébétée et les larmes aux yeux. Inoubliable. Beau et triste à la fois.



Libéré après dix-huit années de prison, l'opposant politique O Hyônu apprend que la femme qui l'a caché, l'a aidé autrefois et qu'il a profondément aimée, est morte relativement jeune. Elle a laissé de nombreuses lettres, son journal, des peintures et des dessins que O Hyônu découvre à sa libération. Désemparé dans une Corée qu'il ne reconnait plus, l'homme nous raconte ses années de lutte idéaliste, sa rencontre avec Han Yunhi, leur histoire d'amour, parenthèse enchanteresse dans la ville pittoresque de Kalmoe puis l'emprisonnement, les humiliations, les grèves de la faim, la solitude. S'entremêlent à ces souvenirs les écrits de Han Yunhi qui a dû apprendre à vivre sans lui, à travailler, à lutter à sa manière dans un réseau de résistants. Elle relate également son séjour en Allemagne et la chute du mur de Berlin. C'est l'itinéraire d'une peintre coréenne des années 1970 aux années 1990. L'alternance des voix de l'un et de l'autre des deux amants, souvenirs pour l'un, écrits et peintures pour l'autre, nous donne un sentiment d'union, d'entrelacement malgré la séparation et la brièveté de leur union.



J'ai été littéralement émerveillée par ce livre, véritable pépite coréenne. Sa façon de nous décrire les conditions d'incarcération tout d'abord, les sentiments éprouvés par O Hyônu pendant ces dix-huit années d'emprisonnement, est très marquante. Plusieurs images fortes sont gravées à jamais en moi. Notamment les liens d'affection des prisonniers noués avec les animaux, multiples chats errants, pigeons, fourmis, rats et souris qui rodent dans les prisons, ou encore, les sensations corporelles, sensorielles, éprouvées lors de ses nombreuses grèves de la faim des semaines durant.



« le tube fluorescent était tellement usagé que ses extrémités étaient noircies et qu'il émettait un bourdonnement de plus en plus fort. Quand dans mon insomnie nocturne je me retournais, j'avais l'impression que ce bruit traversait mon crâne en y faisant naitre des ondes. La lumière du tube allumée jour et nuit se transformait en bruit pour envahir mon cerveau. Les sensations du corps laissaient place à une conscience de plus en plus vive. Entre le troisième et le quatrième jour, c'était la frontière, une sorte de feuille blanche à la fin d'un chapitre. A partir du cinquième jour et surtout une semaine plus tard, les protestations indignées du corps commençaient à s'apaiser, à disparaitre. Les excrétions s'arrêtaient pratiquement pour n'être plus qu'un filet de liquide blanchâtre. A ce stade-là, toute odeur de cuisine me donnait la nausée. de mon corps émanait une légère puanteur de poisson saumuré, fermenté, ou de sauce soja mijotée, dont s'imprégnaient mes vêtements et ma couverture (…) Pourquoi un estomac vide rend-il les événements du passé si nets ? Prendre ses trois repas par jour, c'est appartenir au présent, c'est appartenir à ce monde. Sans cela, est-ce qu'on est du présent ? »



Ces écrits sur la prison sont d'autant plus troublants lorsque nous savons que Sok-Yong Hwang a lui-même été emprisonné pour des raisons politiques et qu'il a fait huit grèves de la faim. Je n'ai pas pu m'empêcher de penser que certains passages étaient sans aucun doute autobiographiques. Et cela se sent tant les descriptions sont réalistes, puissantes, quasi hypnotiques par moment, souvent poétiques par pudeur et délicatesse. Entre vécu et fiction, ce livre mêle l'histoire personnelle de l'auteur au sein de l'Histoire de la Corée du Sud, et la tragédie romancée d'un couple séparé. C'est ainsi que, par le biais de ce récit, Hwang nous raconte également les conditions ouvrières inhumaines durant le boom économique des années 80 alimentant nos marchés, notre surconsommation. Rouage du capitalisme.



Le portrait de femme que nous offre l'auteur est également saisissant tant ce portrait nous dévoile une femme courageuse, forte, indépendante et amoureuse. C'est elle, l'héroïne du roman. La mère courage. Celle qui porte un regard lucide et sage sur la vie.



« Pendant les mois précédant sa mort, mon père et moi en étions arrivés à nous comprendre rien qu'en croisant nos regards. J'avais fini par défaire tous les noeuds. Ma mère avait sans doute compris cet homme beaucoup plus tôt, quand il était dans la montagne. Comme je n'étais pas sa femme mais sa fille, il m'avait fallu plus de temps. C'est vrai, la vie ne fait pas de cadeau. Quand j'y pense maintenant, la vie ne donne les réponses à ses énigmes qu'à ceux qui acceptent les épreuves et les douleurs. C'est normal ».



« le vieux jardin » est un roman politique, un roman historique sur la Corée du Sud de la fin du 20ème Siècle, un roman d'amour, un livre profondément humain, puissant, ambitieux, d'une finesse, d'une pudeur, et d'une intelligence rare. Un chef d'oeuvre de la littérature coréenne sur les illusions perdues de toute Révolution.



« La révolution…et après ? Cela ne devait être possible que dans un hameau perdu sur une montagne sans âme, desservi par un chemin primitif seulement accessible à un chariot ou à un âne. (…) Je décidai de vivre en aimant mon travail, d'une façon encore plus simple et tranquille que Chônghi. Le gaz lacrymogène ne me fera plus pleurer. Comme les arbres d'un campus, je resterai calme, sans rien éprouver, gardant simplement quelques feuilles ».

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Au soleil couchant

C'est avec le souvenir ému de la lecture de « le vieux jardin » que je me suis tournée vers un autre livre de cet auteur coréen Sok-Yong Hwang. J'hésitais entre Monsieur Han et Au soleil couchant. J'ai finalement choisi ce dernier car son questionnement m'intéressait : Qu'est-ce qui permet de savoir si nous avons, ou pas, réussi notre vie ? Est-ce la réussite matérielle ? L'ascension sociale ? La fondation d'une famille ? L'amour ? de pouvoir assumer une passion malgré, éventuellement, des conditions de vie précaires ? D'avoir un travail en lien avec ses valeurs et ses racines ? Et que signifie d'ailleurs réussir sa vie ? Est-ce une fin en soi ? Réussir, aux yeux de qui ?



Park Minwoo est un homme qui a réussi sa vie, du moins apparemment : assez riche, employé dans une importante firme du bâtiment, marié et père d'une fille qui vit désormais aux États-Unis. Cette réussite est d'autant plus notoire qu'il vient d'une famille aux origines très modestes, ses parents ayant géré un petit commerce de pâte de poissons au sein d'un quartier pauvre, Dalgol, excroissance poussée à flanc de colline non loin de Séoul. Pour autant, peut-il dire qu'il est heureux ? Qu'est-ce qui permet de déterminer, de façon plus générale, si on a bel et bien réussi sa vie ?

C'est un message d'une petite amie de son enfance et de son adolescence, qui l'amène à replonger dans le passé, dans des souvenirs oubliés et à faire le point sur son parcours.



« La mémoire conserve parfois des versions fort différentes d'une même expérience, car avec le temps on oublie des choses ou bien on en garde des récits biaisés par l'état d'âme du moment ».





Les souvenirs ressurgissent alors que les lieux où se sont déroulées ces scènes de la vie passée ont été saccagés, rasés, démolis, reconstruits….par sa propre société étant, en effet, le chef d'orchestre de la reconstruction dans ces quartiers pauvres à coup d'évacuation des habitants qui ne savent souvent plus où aller. Il est, de façon symbolique, l'artisan de la destruction de son propre passé.



« Je vivais douloureusement l'inconfort que ressent, à l'égard du monde familier qu'il a quitté, celui qui est déjà passé dans un autre monde ».



C'est l'occasion pour lui, à l'automne de sa vie, de poser enfin des constats, plutôt amers, sur les choix opérés au cours de sa vie. Même si longtemps il s'est dit avoir eu de la chance d'avoir réussi à s'arracher à des conditions de vie misérable, sa vie n'est-elle pas pathétique ? Il a en effet coupé totalement avec ses racines et son milieu d'origine ; sa famille a éclaté, sa femme étant partie aux États-Unis rejoindre sa fille, il est désormais seul ; l'entreprise dans laquelle il travaille, et où les innombrables réunions, les repas arrosés, les rencontres sur les terrains de golf, les chèques cadeaux, les produits de luxe, sont aussi importants que la construction en tant que telle, est désormais engluée dans un scandale de corruption ; et son métier même consiste à faire table rase du passé alors qu'il devrait être au service de la population qui habite la ville. Des interventions de sa part ont rayé d'un trait ses propres souvenirs. Il est devenu une composante de ce système.



« Je revoyais les visages souriants des gamins dans les venelles étroites et enchevêtrées d'un quartier aux maisons couvertes de toits bas sur la pente d'une colline. Tous ceux qui ont été chassés de ces quartiers, où vivaient-ils à présent, qu'étaient-ils devenus ? Ces petites masures collées les unes aux autres comme des coquillages sur les rochers ont été remplacées par de gigantesques tours d'appartements défiant le ciel ».



Si j'ai trouvé intéressante cette façon de nous dévoiler des pans entiers de la société coréenne, tant urbaine que campagnarde, si la fin du livre m'a touchée car j'ai enfin compris le lien qui unit Park Minwoo et cette jeune fille Jeong Uhee dont on suit en parallèle la vie laborieuse entre petits boulots et réalisation de sa passion en tant que metteuse en scène au théâtre, j'ai trouvé que le livre manquait de rythme au point de m'ennuyer souvent, et de rester simple observatrice.

Seul le dernier tiers du livre a enfin réussi à faire éclore en moi une belle mélancolie, une nostalgie poignante, un sens à ce récit…à me parler enfin, intimement…quand on arrive à s'extirper d'un milieu très modeste, nombreuses sont les personnes à la psychologie complexe, pour ne pas dire compliquée, ballotées que nous sommes entre nos racines qu'il faut sauvegarder et ce nouveau monde conquis de haute lutte où nous nous sentons jamais vraiment à notre place…



« Je suis resté immobile, les yeux dans le vague, en plein milieu de la rue, ne sachant où aller ».

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Le vieux jardin





"Nous changeons comme une montagne de terre peu à peu usée par le vent et la trace que nous laissons dans le monde est bien différente de celle que nous avions imaginée au départ."



***



Figure majeure du paysage littéraire sud-coréen, Hwang Sok-yong a produit une œuvre abondante qui ausculte l'histoire tumultueuse de son pays.  Une histoire contemporaine, rappelons-le, marquée par l'occupation japonaise (1910-1945), la libération puis la partition de la péninsule au sortir de la seconde guerre mondiale (1945), la guerre de Corée (1950-1953) et pour finir la succession de dictatures militaires (jusqu'en 1987). Fervent partisan de la démocratie et d'un rapprochement entre les deux nations, l'écrivain dissident a connu l'exil ainsi que l'emprisonnement (1993-1998).



Avec Le vieux jardin (paru en 2000), il signe un roman d'inspiration autobiographique puissant, profond, sensible, absolument remarquable. Il y est question de combat politique, d'idéalisme,  d'attentes déçues et d'existences brisées mais aussi d'amour transcendant l'adversité. Ses quelques sept cent pages d'une beauté souvent tragique, se lisent avec intense émotion.



En toile de fond, se trouvent les grands bouleversements politiques et sociaux ayant secoué la Corée du Sud depuis les années 80, et plus particulièrement le soulèvement populaire de Kwangju qui fut réprimé de façon sanglante par les autorités. Un traumatisme individuel et collectif toujours béant.



*



Corée du Sud, fin des années 90.



"Mille quatre cent quarante-quatre, c'était depuis longtemps mon nom. J'avais presque oublié le vrai."



Condamné à perpétuité pour avoir mené des activités clandestines sous l'ancien régime dictatorial, l'opposant politique O Hyônu est finalement libéré après dix-huit ans de détention. Une fois dehors, il découvre que le monde connu jadis a fortement changé, brouillant ainsi ses derniers repères et que la femme dont il était amoureux s'est éteinte des suites d'un cancer quelques années plus tôt.



Après un court séjour chez sa sœur aînée - soutien indéfectible, il prendra la route en direction de Kal­moé. Au cœur de ce petit village perdu entre collines et montagnes, se trouve la maison où tous deux ont vécu leur passion. Lui, en cavale. Elle, sa protectrice. Des mois idylliques arrachés à une vie en sursis, avant que la réalité ne les rattrape et les sépare.



"Comme un navire qui s'éloigne du quai après avoir hissé la toile, notre amour s'apprêtait à traverser un océan où il affronterait d'innombrables vagues et tempêtes. Il venait pourtant à peine de s'éveiller."



Les murs portent encore les traces de leur passage et parmi les affaires d'Han Yunhi figurent, entre autres, de nombreuses lettres et carnets manuscrits. Un leg précieux, inespéré, salutaire. Des écrits intimes retraçant le quotidien face au gouffre de l'absence. Professeure et artiste-peintre, elle lui raconte les différents combats menés tête haute depuis son départ jusqu'à ce que la maladie l'emporte.



"Je reste cette existence vague qui attend que tu reviennes à la vie dans cet univers de poussière. Alors j'irai bien."



Gardés enfouis au fond de sa mémoire, "parce-que les entretenir n'aide pas à survivre", les souvenirs et sentiments d'O Hyônu eux aussi ressurgissent. Son parcours d'activiste et de fugitif, les idéaux poursuivis, sa rencontre avec celle qu'il n'oubliera jamais, son arrestation puis l'épreuve carcérale et son cortège d'humiliations, les grèves de la faim…



À travers ce personnage, nous le ressentons, l'auteur dévoile un pan important de sa propre expérience. Des passages criant de vérité, amenés avec pudeur et retenue, qui  enserrent le cœur. En parallèle,  il nous offre également d'inspirantes réflexions sur les affres du temps et de la perte, l'engagement, le sens du sacrifice pour une cause plus grande que soi,  la désillusion…



"Un détenu traverse des moments critiques : quand il se met en route vers la prison après la sentence; au bout de trois d'emprisonnement dans une cellule d'isolement; au début de la dixième année; quand sa femme refait sa vie; quand un membre de sa famille décède, surtout sa mère; quand son enfant est malade; quand un gardien qu'il haïssait revient; quand il est puni injustement; quand, dans un cachot plongé dans les ténèbres, sans la moindre fenêtre, il doit manger les mains menottées dans le dos et les pieds enchaînés en rampant comme un animal. Dans ces moments-là, il peut passer de l'autre côté. Son âme abandonne son corps pour se créer son propre univers."



*



Chapitre après chapitre, les deux voix s'alternent, s'entrelacent, se confondent, s'interpellent, se complètent, se répondent. Aussi brève que fut leur relation,  nous en mesurons  progressivement toute la force et la profondeur. En dépit des années écoulées, bravant la mort, un dialogue semble s'instaurer entre eux.



"Tu dois avoir un certain âge, toi aussi, à présent. Les valeurs pour lesquelles nous nous sommes battus ont été atomisées, mais elles brillent encore parmi la poussière de ce bas monde. Tant que nous vivrons, nous devrons recommencer, encore et encore. Qu'as-tu trouvé dans cette obscurité et cette solitude encerclées de murs? N'as-tu pas aperçu par hasard, en te glissant entre deux rochers, un monde plein de fleurs aux multiples couleurs dans la splendeur du soleil? As-tu trouvé notre vieux jardin?"



Au fur et à mesure que nous reconstituons le puzzle de ces destins en prise avec les soubresauts de l’Histoire, apparaissent de magnifiques portraits, sculptés avec finesse et précision. Des rencontres qui me marqueront durablement et auxquelles j'associe les mots courage, grandeur, abnégation, exemplarité. 



Pour quel combat, serions-nous prêts aujourd'hui à donner notre vie? 



Décrit comme un "roman politique et d'amour", l'ouvrage rend également un émouvant hommage à toutes les générations portées par la flamme de la résistance; celles qui ont survécu et celles qui furent sacrifiées sur l'autel de la dictature.



Sa chronologie éclatée et les petites longueurs observées en cours de lecture, n'auront à aucun moment affaibli mon intérêt. J'ai tourné les pages avec fascination et admiration, littéralement séduite par la prose envoûtante, poétique, subtilement évocatrice et éclairée d'Hwang Sok-yong. 



Un coup de cœur.



***



"Toi au-dedans et moi au-dehors, nous avons vécu ce monde. Ce fut parfois difficile, mais réconcilions-nous avec les jours passés."



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Monsieur Han

Petit livre remarquable. Grand auteur.

Je viens de terminer la lecture du roman-récit - Monsieur Han - de l'écrivain coréen Hwang Sok-Yong et déjà l'envie de le retrouver dans d'autres de ses ouvrages me taraude.

Cette histoire, c'est celle de membres de sa famille et celle de son oncle en particulier.

À Séoul, à la fin des années soixante, un vieillard, un mendigot alcoolique, fermé au monde, prend possession d'une chambrette dans une maison que se partagent deux familles, dont celle qui occupe le rez-de-chaussée ( la partie la plus spacieuse ), lorgne avec avidité sur ces quelques mètres carrés.

Le vieil homme réduit à jouer les croque-morts pour survivre, buvant plus que mangeant fait deux attaques, dont la dernière met fin à une vie... que quelques parents retrouvés vont alors raconter dans un flash-back qui ramène le lecteur à la fin de la Seconde Guerre mondiale et au début de celle entre la Corée du Nord stalinienne et la Corée du Sud sous la tutelle essentiellement américaine.

À Pyongyang ( ville du nord ) vit avec sa famille Monsieur Han, gynécologue obstétricien. C'est un être de principes, de valeurs, d'une éthique et d'une probité irréprochables. Un être pur dont la vie va basculer dans l'enfer d'une guerre où la violence n'est pas que celle des armes, de la mort et du sang, mais celle aussi et surtout de la corruption, de la délation, des trahisons, du mensonge, de l'injustice.

Ce candide qui refuse, au risque de sa vie, les compromissions, va devoir se séparer de sa famille et fuir pour trouver refuge à Séoul ( ville du sud ).

Contraint d'y "refaire sa vie" contre tous ces idéaux, il va tomber dans le piège que vont lui tendre des escrocs, être dénoncé comme espion opérant pour le nord et connaître une inexorable déchéance... jusqu'à sa mort pitoyable dans cette chambre exiguë au milieu d'étrangers.

Monsieur Han, c'est l'histoire de ces centaines de milliers d'hommes, de femmes, d'enfants, de vieillards emportés dans le tourbillon infernal de la rivalité géopolitique des deux grandes puissances de l'époque, qui ont trouvé en Corée un terrain de jeux à leurs convenances pour confronter leurs différences et affirmer leurs prétentions.

Monsieur Han est un récit bouleversant d'où l'auteur a exclu tout pathos pour laisser les faits s'exprimer, car la violence de la réalité n'est jamais aussi forte, aussi convaincante que lorsqu'elle nous est montrée nue... simplement nue.

Monsieur Han, c'est l'antihéros, un homme brillant au destin broyé par les caprices de la machine infernale de l'Histoire. C'est un homme, seulement un homme exemplaire... et comme l'a dit René Char : " les hommes exemplaires sont faits de vapeur et de vent."

À lire absolument !

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Toutes les choses de notre vie

Deuxième lecture de Hwang Sok-Yong, qui est décidément un auteur « sérieux », bien différent des coréens plus jeunes que les éditions Picquier nous aident aussi à découvrir. Il a vécu en Corée du Nord et a connu dans sa chair les soubresauts de la guerre et de la dictature. Son Princesse Bari m'avait remué, décrivant les souffrances de l'émigration et de ses trafics, mais avec quelque chose de magique.

Toutes les choses de notre vie, pour les personnages de ce roman, ce sont des objets glanés sur une gigantesque décharge publique, qui fournit le gîte et le couvert à une communauté en marge, victime d'une forme d'apartheid (par l'odeur, entre autres). Aujourd'hui encore dans d'autres parties du monde, et dans un passé proche en Corée, le traitement des ordures se réduit à un entassement, à petite distance des villes, et la survie de familles délaissées passe par l'utilisation de ces déchets, dans des conditions que ce roman nous aide à imaginer.

Ce n'est pourtant pas un ouvrage désespérant. Maître Hwang nous invite à suivre quelques adolescents et leur entourage, leur adaptation à ces conditions de vie démentes, le fonctionnement de cette communauté très organisée. Mais il le fait par le regard de ces jeunes qui malgré la violence, l'alcoolisme, la misère qui les entourent arrivent à rester optimistes, solidaires. Un élément fantastique apporte une vision à la fois nostalgique et qui donne espoir, il n'apparaît pas comme une facilité de l'auteur mais comme un supplément de complexité. L'auteur ne me semble pas donner de leçons, juste porter un regard et laisser chacun réagir. J'ai été plus sensible aux émotions positives et à l'entraide entre ces jeunes qu'à l'horreur objective de leur situation.



La postface des traducteurs est très utile : elle permet au non-coréen de décoder quelques scènes et expressions liées à la période de la dictature (je parle bien de Corée du Sud) qui a suivi la guerre. Mais lisez ce livre plus naïvement, sans tout savoir, laissez-vous remuer par cette communauté et par ces mystères, sans avoir besoin de tout comprendre tout de suite.





PS : quelques notes plus personnelles, en vrac.

Cette lecture m'a incité à réviser ce que signifie Lumpen prolétariat, et les visions différentes de Marx et Bakounine. Le mot Lumpen n'est pas dans le roman, Hwang aborde la politique par l'exemple, pas par la théorie, et ce terme n'est d'ailleurs pas forcément approprié. C'est mon amie Nam-Ju qui a qualifié l'auteur de « sérieux », en me confirmant que ses livres ont des gros tirages en Corée. Et je me souviens de cette colline au bord du fleuve Han en aval de Seoul, aujourd'hui lieu de promenade arboré, autrefois empilement des ordures de la ville. Je ne sais plus si je souriais ou si je frémissais à cette évocation ; ce livre m'y fera repenser intensément et avec compassion. Il me rappelle aussi qu'au début des années 2000, même le centre ville était parcouru par des personnes très âgées, le dos cassé, promenant des ballots de papier ou de métal à recycler, probablement pour des sommes ridicules, probablement faute de retraite permettant de vivre. Je pense à elles et à celles qui leur ont sans doute succédé.
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Princesse Bari

Un livre qui relient une survivante et les morts de ce vaste mouroir qu’a été la Corée du Nord durant la grande famine des années 1994-1998 où l’on a dénombré au moins 1 million de morts et qui a touché en priorité les plus faibles : femmes, enfants, vieillards. Un livre qui nous fait partager le destin errant, fait de pertes successives et douloureuses de ceux qui parviennent à fuir ce régime dictatorial.

La petite Bari est la septième fille d’un couple de coréens du Nord. La déception et la colère du père grandit à chaque naissance comme la peur de la mère et des soeurs plus âgées grandit elle-aussi à chaque accouchement qui ne donne pas le fils tant désiré.

La mère tente de se débarrasser de cette petite dernière avant que le père ne rentre mais comme dans le conte coréen auquel ce roman emprunte son titre l’enfant sera sauvé par le chien de la famille qui guide sa grand-mère partie à sa recherche. C’est elle qui décidera de nommer Bari la petite fille que ses parents laisse sans nom, prénom qui signifie l’abandonnée.

«...ma grand-mère a décidé de m’appeler Bari, l’abandonnée. Mais ce n’est que beaucoup plus tard , après avoir éprouvé mille tourments à travers le vaste monde, que j’ai compris le sens du nom choisi pour moi par mon aïeule.»

La grand-mère aux pouvoirs chamaniques initiera sa petite fille et ne l’abandonnera pas complètement dans les épreuves multiples que traversera cette enfant jusqu’à ce qu’elle devienne femme. Même après la mort de sa grand-mère, Bari demeurera en contact avec elle et le chien qu’elle aimait qui la guide et l’accompagne dans l’au-delà, à travers ses rêves. Et grâce à ses dons, Bari qui s’enfuira de Corée, Bari l’immigrée apaisera les souffrances des vivants et des morts en reliant et réconciliant les uns et les autres.



J'ai omis volontairement de développer l'immigration vers l'ouest de Bari qui donne une autre ampleur à ce livre qui nous interroge aussi sur nous, les occidentaux, mais qui pourrait enlever tout désir de découverte en dévoilant trop.



Belle et marquante lecture que ce livre sans aucune haine comme «Le vieux Jardin» du même auteur que je n’ai pas oublié. On sent que cet homme veut apaiser les blessures, les siennes et celle de tous ceux qui ont profondément souffert et malheureusement souffrent encore.



Car ce n’est pas fini, actuellement la famine sévit toujours et cela ne semble déranger personne. Des cas de cannibalisme sont même signalés (voir article de Metronews en date du 28 janvier 2013). Cela rappelle les tragiques famines des années 20 et 30 provoquées en Russie par Lénine et Staline. Quand cela s’arrêtera-t-il ?



Que Babelio et les éditions Picquier soient remerciés pour m’avoir offert cette lecture que j’hésitais à faire de peur d’être déçue après celle du «Vieux jardin».

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Le vieux jardin

Hwang Sok-yong est un écrivain coréen, lauréat de nombreux prix internationaux découvert grâce à la superbe critique de HordeduContrevent que je vous engage à aller lire.



"Le vieux jardin" est l'histoire d'une révolution, d'un engagement pour une cause, mais c'est aussi une belle histoire d'amour et de sacrifice.

Récit engagé, il rend compte des évènements qui ont entouré le massacre de Kwangju en 1980.



En partie autobiographique, « le vieux jardin » est un roman saisissant de vérité. Surtout lorsque l'on apprend que l'auteur a écrit ce récit après avoir été lui-même incarcéré pendant cinq ans pour atteinte à la sécurité nationale.



*

« Pour parler comme lui, la caractéristique la plus importante de l'homme et de ce monde, c'est le changement. Nous allons vivre les changements de ce monde, moi dehors et lui dans son obscurité. J'ai envie de vivre. »



En Corée du Sud, à la fin des années 90, O Hyônu, un prisonnier politique sud-coréen, est libéré après dix-huit ans de captivité. Il découvre alors que le monde dans lequel il vivait n'existe plus et que Han Yunhi, la femme artiste peintre dont il était amoureux, est décédée depuis quelques années.



« Une fleur fanée continue à être belle, mais pourquoi le corps humain se décompose-t-il de façon si cruelle ? »



Il décide alors de retourner dans la petite ville de Kalmae, loin de l'agitation de Séoul. Là, se trouve une vieille maison de campagne où sa compagne et lui vivaient ensemble autrefois.

L'épreuve carcérale l'a fortement marqué et c'est dans cet environnement calme et rassurant qu'O Hyônu va reprendre pied dans une Corée en pleine mutation.



« Si tu as peur, laisse la porte ouverte. Il y a une brise agréable et tu pourras même admirer les étoiles. »



La maison a été laissée en état depuis le décès de Yunhi, et parmi les affaires abandonnées, il va retrouver des journaux intimes, des lettres non envoyées, des lettres reçus, des tableaux et des carnets à dessin.



« Même si on admet qu'elle existe toujours quelques part, la personne qui a disparu d'un lieu laisse le poids de l'absence à celui qui y est resté. J'avais l'impression que tous les objets, même les étoiles, allaient s'évanouir pour laisser la place à un nouveau décor, comme dans un rêve. »



Après avoir emprisonné au plus profond de son coeur, ses sentiments, ses émotions, la lecture de la correspondance qu'il n'a pas pu recevoir et du journal qu'elle lui adresse comme un testament va faire rejaillir des souvenirs de sa vie, avant, pendant et après elle.



« Une des caractéristiques d'un détenu à l'isolement depuis longtemps est qu'il n'est plus capable d'exprimer ses sentiments, parce qu'il ne peut pas les partager. »



*

Ainsi, le roman se fractionne, alternant deux voix dans une construction chronologique complexe.



Dans ses écrits, elle lui relate sa vie intime, son quotidien, ses pensées, ses souvenirs de ces quelques mois de bonheur éphémère avec lui, son amour qui ne s'est jamais éteint malgré la distance et l'absence, ses engagements politiques et plus largement, l'histoire de la Corée. On découvre une femme forte, indépendante, sensible, condamnée à vivre seule.



« Comme un navire qui s'éloigne du quai après avoir hissé la voile, notre amour s'apprêtait à traverser un océan où il affronterait d'innombrables vagues et tempêtes. Il venait pourtant à peine de s'éveiller. »



En réponse à ses confidences, O Hyônu, considère l'homme qu'il a été et nous dévoile par flashbacks, sa vie, ses rêves, ses regrets, sa lutte révolutionnaire, ses désillusions, ses années passées en prison. On découvre un homme engagé, confronté à des choix, plein d'optimisme et de projets, luttant pour faire avancer son pays vers plus de démocratie, de justice, d'égalité et de liberté.



« Il ne faut pas avoir peur des vagues qui agitent votre âme. C'est ça, la vie. »



Alors qu'O Hyônu rêvait de révolution et de lutte contre le pouvoir dictatorial et l'impérialisme américain, Yunhi ne désirait qu'une vie simple, retranchée du monde où chacun aurait été le refuge de l'autre. Sa souffrance silencieuse m'a touchée.

Ce qui est aussi bouleversant, c'est ce sentiment d'absence qui imprègne chaque page, comme s'ils vivaient chacun dans la mémoire et les souvenirs de l'autre.



« En prison, les saisons sont comme les couches concentriques d'un arbre ; ce sont de minuscules évènements qui les gravent dans la mémoire. »



*

En alternant une narration à la première personne entre O Hyônu et Yunhi, le lecteur pénètre leurs pensées les plus intimes. Elles défilent, s'intercalent, bondissant d'une époque à une autre, donnant l'impression que les deux amants se répondent.

Je me suis laissée entraîner par ces va-et-vient incessants dans L Histoire, par ces changements de narration et de points de vue sans parfois aucune articulation.



« le rêve qui me hante finit par s'évanouir comme enveloppé de fumée, aucune image nette n'en subsiste, et c'est le flou que j'appelle amour ! »



« Maintenant que j'y pense, je regrette que notre vie à Kalmoe n'ait pas duré quelques mois de plus. Ou quelques semaines de plus. Un jour de plus. »



*

Avec beaucoup de sensibilité et de pudeur, Hwang Sok-yong offre de belles réflexions sur le temps qui passe, la solitude, la vie et le bonheur, la force de l'amour, le sacrifice, la liberté et la justice, le prix à payer pour pouvoir rêver d'un avenir meilleur. Beaucoup d'émotions sont retranscrites dans les silences, les non-dits.



« C'était sur le sentier du passé que je me faufilais quand j'étais assis sur ma paillasse. »



*

Ce récit très réaliste nous permet d'apprendre beaucoup sur l'histoire récente de la Corée, la vie quotidienne des gens du peuple, leurs coutumes.

A travers la magnifique voix de Yunhi, le lecteur découvre ses combats pour s'émanciper, son implication dans le mouvement étudiant. Il découvre aussi les changements dans la société sud-coréenne, la montée du capitalisme et le passage à une société de consommation.



*

L'écriture, à la fois poétique et descriptive, douce et amère, sentimentale et profonde se concentre davantage sur les idées politiques et les répercussions émotionnelles que sur l'intrigue que l'on connaît dès les premières pages.

Le rythme est assez lent, tourné vers l'introspection et les souvenirs du passé.



J'ai été happée par ces petits moments de vie partagés, un peu moins par les idées politiques que j'ai trouvées parfois trop répétitives, redondantes.



*

Pour conclure, « le vieux jardin » est un récit émouvant, sombre et profond, dans lequel Hwang Sok-yong dessine deux magnifiques portraits.

Ce récit choral est, tour à tour, emprunt de douceur, de violence, de tristesse, de peur, d'amertume et de nostalgie.

Un beau moment de lecture.
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Princesse Bari

Une légende coréenne raconte l'histoire d'une reine qui, désespérée après la naissance de sa septième fille, décide de l'abandonner à la mort. La petite Bari, ''l'abandonnée'', survit et, plus tard, accepte de venir en aide à ses parents mourants en allant chercher l'élixir de vie qui sauvera leurs âmes.

Une famille nord-coréenne vit le même drame : six filles déjà et une septième qui arrive au monde. Craignant la colère du père, la mère abandonne le bébé dans la forêt. Mais la chienne de la maison la retrouve et la grand-mère la prend sous son aile. Inspirée par la légende, cette chamane reconnue la prénomme Bari. La petite miraculée n'est pourtant pas au bout de ses peines. Car, même si sa famille est plutôt à l'aise, elle ne pourra échapper à la terrible famine des années 90, ni à la répression exercée par le régime nord-coréen. Bari se retrouve seule au monde mais elle a reçu en héritage les dons de voyance de sa grand-mère. Elle peut aussi communiquer avec son chien et se réfugier dans ses rêves. Des dons qui lui permettront de quitter son pays, de survivre en Chine et de traverser l'océan, à 16 ans à peine, au fond d'une cale pour arriver à Londres. Un nouveau monde, une nouvelle vie, de nouvelles épreuves.



Ancrée dans la tradition du chamanisme encore très présent en Corée, l'histoire de Sok-yong Hwang raconte la douleur du peuple nord-coréen. Dans le pays bien sûr où la famine, la peur, la dictature ont brisé bien des familles. Mais aussi à travers l'exil en Chine ou en Europe. Parqués dans des containers à fond de cale, maltraités et violés par les passeurs, les fuyards qui survivent à la traversée doivent encore rembourser le prix de leur passage et souvent les femmes sont livrées à des réseaux de prostitution. Mais malgré la douleur et les épreuves, Bari affronte la vie avec l'innocence de sa jeunesse et la force de ses dons. Capable de se dissocier de son corps, elle trouve dans ses rêves le réconfort et les conseils de sa grand-mère, la fidélité de son chien qui la guide dans les méandres de son inconscient. A Londres, elle découvre l'amitié, la solidarité mais aussi le sort réservé aux clandestins par les autorités. En se rapprochant de la communauté musulmane, Bari apprend d'autres croyances, d'autres traditions mais aussi l'amalgame fait entre musulmans et terroristes après les attentats du 11 septembre.

Princesse Bari se lit comme un conte. Naviguant entre la réalité la plus cruelle et un onirisme très poétique, c'est un roman atypique, une histoire d'errance, d'exil avec une héroïne lumineuse, forte, fragile et humaine. Sok-yong Hwang, s'il aime dans ses romans parler de son pays coupé en deux par la folie des hommes, sait transcender l'histoire nationale pour en faire une fable universelle. Une lecture à la fois tragique et enchanteresse.
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Au soleil couchant

Au soir de sa vie, Minwoo Park est un homme heureux. Il vit dans un bel appartement, sa fille a réussi en Amérique, il est reconnu, célèbre même en tant qu’architecte et, surtout, il a réussi à s’extirper du bidonville où il a grandi. Il est loin derrière lui le quartier de Dalgol, excroissance poussée à flanc de colline dans la banlieue de Séoul. Grâce à son intelligence, son ambition et un peu de chance, il a fait des études, un beau mariage, une belle carrière, laissant derrière lui la misère de Dalgol et ses habitants. Mais un message tendu par une jeune fille lors d’une de ses conférences le renvoie à son passé. Il émane de Soona, une jeune fille qu’il a aimée naguère et qui l’aimait en retour. Quand il a quitté le quartier, il a laissé derrière lui cet amour de jeunesse. Avec Soona, les souvenirs jaillissent et avec eux les questionnements sur ce qu’il a fait de sa vie. A-t-il renié ses origines ? En fuyant Dalgol, n’a-t-il pas troqué les petits trafics pour des malversations de plus grande envergure ? La solidarité, l’entraide, les amitiés, les relations de bon voisinage dont il se souvient lui jettent au visage sa solitude, ses trahisons, ses renoncements ? Minwoo est-il vraiment l’homme heureux qu’il semble être ?



Chronique douce-amère de la réussite d’un homme qui s’est construite à l’image de son pays. Combien d’amis Minwoo a-t-il laissé derrière lui pour accéder au sommet ? Combien de laissés-pour-compte pour faire de la Corée l’un des quatre dragons asiatiques ?

Minwoo se souvient de la misère, la faim, le froid, des masures qui poussaient comme des champignons tout autour de Séoul. C’était son monde avant qu’il ne devienne un éminent architecte. En se développant, le pays a voulu faire table rase de cette pauvreté crasse. Les gens ont été chassés, leurs logis dévastés par les pelleteuses, leur habitat remplacé par des tours d’immeubles. Où sont-ils allés ? Que sont-ils devenus ? Minwoo n’a jamais cherché à le savoir, il a fermé les yeux sur les gros bras recrutés pour faire dégager les contestataires qui s’accrochaient à leurs maisons. Il a indirectement participé à leur expropriation et s’est perdu dans un système de corruption.

Alternant entre le passé et le présent de Minwoo et le récit de la jeune fille qui lui a remis le message de Soona, Au soleil couchant est un livre plein de nostalgie et de regrets qui met le doigt sur la face cachée de la fulgurante réussite économique de la Corée du sud. Un roman beau et dur à la fois.

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Shim Chong, fille vendue

A travers le parcours initiatique de Shim Chong, on découvre une histoire forte, intense, émouvante et ô combien instructive. Une histoire très documentée qui nous permet d'apprendre un tas de choses sur le monde de la prostitution, de l'esclavage sexuel en orient au XIXème siècle. Les us et coutumes nous sont décrites avec beaucoup de détails passionnants. On vit également l'intrusion des pays occidentaux qui veulent forcer l'orient à développer le commerce, la guerre de l'opium, la révolte des Taipng.

Mais Shim Chong fille vendue reste un roman et se lit comme tel avec beaucoup de plaisir. Les personnages sont décrits avec finesse et empathie ce qui ne peut nous laisser insensibles. Ce ivre est une mine d'informations tout en étant distrayant !!! Je le conseille vraiment.
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Toutes les choses de notre vie

Ce roman décrit le quotidien vraiment peu enviable de deux mille foyers qui travaillaient au tri des ordures dans l'immense décharge à ciel ouvert à l'ouest de Séoul pendant quinze ans de 1978 à 1993, date de sa fermeture.



C'est là que la Mégapole déversait la quasi totalité de ce qu'elle rejetait chaque jour :—- ferraille, ordures ménagères, plastiques, vêtements , cartons de toute taille, bouteilles, déchets industriels érigeant sur près de quatre kilomètres , une Montagne d'Ordures de cent mètres de hauteur.



Gros - Yeux a quatorze ans lorsqu'il y arrive avec sa mère : cet endroit appelé « l'Ile aux fleurs » autrefois connu pour sa beauté , prisé des peintres , des poètes et des oiseaux migrateurs.

L'auteur y allait jouer dans son enfance ....avant de devenir un Dépotoir ...



Gros - Yeux et sa mère vont travailler douze heures par jour...



Chaussés de bottes, ils portent ——des casques de chantier avec une lampe frontale —-semblables à ceux des mineurs, ainsi que d'énormes gants de caoutchouc et un large masque devant la bouche.

Gros - Yeux se lie d'amitié avec un garçon disgracié , qui lui fait découvrir les anciens habitants du site , ou plutôt leurs esprits bienveillants lorsque l'Ile était encore vouée aux cultures agricoles(dont les habitants ont été chassés par le « développement ») et aux cultes chamaniques : les fameuses lueurs bleues ....que ne voient que les êtres au coeur pur , ( cultes chamaniques déjà évoqués dans « Princesse Barri » ), autre roman de l'auteur ...



L'écrivain dresse une peinture incroyablement réaliste, angoissante, effrayante , de la dure vie de ceux qui ont usé leur santé sur le chantier, l'organisation du travail, la « hiérarchie »qui s'instaure au sein des équipes et entre les équipes , leur existence dans des «  cahutes » , ces cabanes accrochées au flanc de la montagne d'ordures, en Plexiglas carton, linoléum ,contreplaqué , assemblage d'anciennes enseignes de magasins : tous matériaux extraits des rebuts du monde extérieur....la nourriture aussi, sauce de soja mijotée ou brûlée, nourriture avariée recyclée, bouillie , ou en soupe ....



Puanteur infecte, remugles nauséabonds , essaims de mouches , conflits, salaires de misère, hiérarchisation, pestilence, violence et entraide, bagarres , couples formés dans l'urgence sous les yeux des enfants, ivresse , peur, marginaux, l'auteur ne juge pas.



Il donne à voir la pauvreté et la misère de ces laissés-pour-compte du développement industriel et économique , conduit à marche forcée le long des routes du capitalisme —- une violence d'Etat exercée à l'encontre de toute une frange de la société ——

Roman de la mémoire—-l'histoire d'une époque —-

Roman Politique, en ce sens qu'il fait revivre un chapitre douloureux de son pays .

Roman Écologique car l'écrivain y affiche le lourd tribut imposé à nos sociétés par « Le développement » .

Un livre fort doté d'une très belle écriture imagée et visuelle, puissante dont «  les odeurs » les couleurs, les lueurs ....nous enveloppent, nous interpellent , nous font réfléchir à la manière de consommer .....nous poursuivent à la manière d'un long travelling cinématographique ....

Des images difficiles à oublier ....

Mais ce n'est que mon avis bien sûr , tout relatif ...

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Shim Chong, fille vendue

Avec Shim Chong, fille vendue, Hwang Sok-yong se sert d'un récit traditionnel coréen décrire l'industrie lucrative de la prostitution.



Son héroïne est en effet vendue à quinze ans par sa propre famille pour pallier à la misère. Quittant la Corée, elle devient la concubine d'un vieux notable chinois de Nankin. Commence un périple qui durera des décennies et qui la conduira jusqu'au Japon. Tour à tour concubine, prostituée de luxe ou mamasan d'un établissement de geishas, Chong brille par sa persévérance, sa lumineuse personnalité et son courage. Loin d'être un ouvrage sinistre et misérabiliste, ce roman dessine la réalité du monde interlope de la prostitution, des ventes de femmes ravalées à une simple marchandise humaine. Il montre également un univers tissé de solidarité et d'entraide entre nombre de ces femmes au destin assombri.



Autre grand atout du livre, son contexte historique. L'auteur place son récit entre les années 1840 environ et le début du XXème siècle. Le périple suivit par Chong, renommée Fleur de Lotus en chinois et en japonais, suit les grands événements de cette période, vus de l'intérieur. De la guerre de l'opium que mène l'Empire britannique contre la Chine à l'arrivée des noirs vaisseaux du Commodore américain Perry aux portes de Edo, la trame historique précise bâtie par Hwang Sok-yong rend son roman aussi passionnant à lire qu'instructif. Rites chamaniques et coutumes ancestrales enrichissent encore le propos.



L'auteur réalise un impeccable équilibre entre la petite histoire de son héroïne et la grande Histoire de cet extrême-Orient soumis alors à tant de vicissitudes et de bouleversements. Le tout servi par un ton juste et mesuré qui fait la part belle à de superbes descriptions et à des chants traditionnels des pays rencontrés.



Un roman à découvrir sans hésitation pour sa richesse, ses émotions et pour l'incroyable destinée de Shim Chong.
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Monsieur Han

Lorsque monsieur Han décéde,dénué de tout, ses voisins ne savent absolument rien de la vie de ce vieillard discret et solitaire, et pourtant.....il porte en lui l'histoire douloureuse de la Corée.

Monsieur Han, c'est l'histoire vraie d'un médecin: Professeur de Gynécologie à Pyongyang, il gagne le Sud quand la guerre éclate en1950, il se voit contraint à l'exil.....commencent alors des tribulations incroyables et impitoyables, il quitte le nord, où on l'accuse d'être du sud pour aller vers le sud où on le suspecte d'être un agent du Nord, comme tous les coréens il est quelqu'un de déchiré, déboussolé...du jour au lendemain ou presque, les Coréens deviennent étrangers dans leur propre pays. La division est une profonde blessure: elle fait de parents, de frères, de personnes qui parlent la même langue, ont la même histoire, les mêmes chansons, la même culture...des ennemis irréductibles.

Les gens du nord qui sont passés au sud dans le désordre invraisemblable de la guerre se sont trouvés dans le piége de la suspicion et de la division, ils sont harcelés, rejetés, toujours suspects dans la Corée du Sud obnubilée par une paranoïa idéologique......

Monsieur Han, intègre,scrupuleux, se retrouve ainsi incarcéré puis torturé sans aucune raison valable, en proie à la terreur , victime d'une bande d'exploiteurs qui profitent de cette situation pour régler leurs comptes....les petites gens sont condamnés dans l'érrance et la déréliction à se taire et à subir.....

Tout est incompréhension, mensonges, dérobades, divisions, infortunes, corruptions , suspicions et cruautés...

L'auteur dresse un portrait au plus prés , sans concessions, de cette scission de la Corée.

Monsieur Han, confronté à cet univers est la victime d'un pays déchiré, car il porte en lui comme bien d'autres les contradictions liées à cette époque.

Monsieur Han est l'histoire d'un homme qui croyait dans son obstination, naïvement.....qu'il suffisait de ne pas se mêler de politique pour que la politique ne se mêle pas de vos affaires, candide bien malgré lui, pris dans les tourments de l'histoire.

Ce petit ouvrage est un voyage à la beauté poignante et saisissante au cœur de la Corée, un récit sobre, instructif, entre témoignage et protestation......
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L'étoile du chien qui attend son repas

Après "princesse Bari" et "Shim chong, fille vendue" je poursuis ma découverte de Hwang Sok-Yong à travers cette fois "l'étoile du chien qui attend son repas". Le thème central est la jeunesse coréenne dans les années 60 Chun est le personnage principal mais on rencontre nombre de ses camarades qui auront tour à tour la parole.au cours des différents chapitres. L'auteur s'attache à nous montrer l'état d'âme de ces jeunes gens, leurs incertitudes, leurs valeurs, leurs motivations, leurs intérêts. Bien qu'ici on soit en Corée du Sud et que l'on ressente encore le poids de l'Histoire, les tourments les préoccupations des jeunes gens, leur quête de sens ne nous sont pas étrangers. On se reconnaît, on se retrouve dans cette période de la vie qui nous amène à l'âge adulte.

L'écriture est belle, précise et c'est un vrai plaisir que de s'imprégner de cette belle plume.
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Shim Chong, fille vendue

Corée, fin du XIXè siècle. Orpheline de mère et élevée par un père aveugle qui allait mendier son lait, Chong a 10 ans quand son père se remarie et 15 quand sa belle-mère la vend à des marchands chinois. Achetée par une riche famille de Nankin, elle devient Lenhwa, la concubine du maître de maison, un vieillard flétri qui lui rend visite chaque nuit. A sa mort, elle intègre le Pavillon du Bonheur et des Plaisirs de Jinjiang où, belle, modeste et courageuse, elle devient une courtisane très prisée des notables de passage. C'est la guerre de l'opium et les combats qui mettent la ville à feu et à sang qui la poussent à fuir la ville avec d'autres courtisanes. Malheureusement, elle est trahie et revendue à des marchands de femmes qui l'envoient à Taïwan où elle doit encore faire commerce de son corps. Là-bas, les maisons de plaisirs tiennent plus de l'usine à chair fraîche pour marins en goguette que du lieu de rendez-vous raffiné pour notables fortunés. Mais malgré ses terribles conditions de vie, Chong garde sa détermination et son courage. Elle sait qu'un jour elle retrouvera sa liberté et s'échappera vers des terres moins hostiles. Pourquoi pas au Japon ?



Inspiré par une légende coréenne, Sok-yong Hwang raconte le destin d'une femme parmi tant d'autres. Elle est coréenne, elle pourrait être nigérienne ou roumaine. Autres temps mais non autres mœurs. Les femmes ne sont rien qu'une marchandise dont le lucratif commerce enrichit des hommes peu scrupuleux. Malgré les vicissitudes de la vie, Shim Chong grâce à son courage et à sa vivacité d'esprit, réussit à passer outre les humiliations, les privations, les chagrins. Même si elle évolue dans le milieu sordide de la prostitution, Chong garde sa dignité et son humanité, aidant volontiers ses compagnes d'infortune. Pourtant rien ne lui est épargné, blessée par la concupiscence des hommes ou par leur esprit belliqueux. Chong vit dans une région en pleine mutation, un continent qui a longtemps vécu replié sur lui-même et que les occidentaux ont décidé d'ouvrir de gré ou de force. De la guerre de l'opium en Chine à l'expédition Perry au Japon, Chong voit à chaque fois sa vie bouleversée par l'agressivité, le besoin de pouvoir et de domination des hommes.

Belle figure de femme, Shim Chong est un personnage fort et émouvant que l'on suit avec beaucoup d'intérêt dans ses aventures et mésaventures dans une Asie tourmentée par l'Histoire. Un destin et un roman passionnants.
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Monsieur Han

C’est avec un poids sur le cœur que je quitte Monsieur Han, médecin pendant la guerre de Corée, Monsieur Han qui a été trahi, torturé et mal aimé.

Monsieur Han n’a pas trouvé sa place dans cette Corée divisée en deux où la suspicion est à chaque coin de rue et la corruption bien assise.

On fait connaissance avec Monsieur Han, ce vieux monsieur pauvre, solitaire et taiseux. Puis l’auteur, Hwang Sok Yong, revient vingt ans en arrière et nous relate l’histoire de ce médecin. Comme il est indiqué dans la préface, ce livre est plus un récit qu’un roman puisqu’il s’agit d’une histoire vraie ce qui renforce la noirceur de cette vie.

Ce climat de corruption et de torture fait froid dans le dos, je ne le découvre pas ici, mais à chaque fois que je suis amenée à lire des situations telles, je suis saisie et bouleversée.



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Monsieur Han

Monsieur Han est un récit tragique. Il raconte le destin d'un individu de bonne volonté broyé par la folie des hommes. La lecture est éprouvante. le livre parle de la Corée moderne de 1945 aux années 70, de ce pays déchiré que nous connaissons peu mais bien au delà il parle de l'humaine condition. Comment nous comporterions-nous en pareilles situations ?

Un misérable vieillard sale, alcoolique et taciturne occupe une chambre au dernier étage d'une vieille maison délabrée qui était autrefois occupée par les Japonais. Les autres locataires attendent sa mort en lorgnant sur sa chambre. Et comme eux, on se demande ce qu'il a bien pu faire pour en arriver là.

Après ce prologue balzacien à l'issue fatale, l'auteur procède à un long retour en arrière. On se retrouve au début de la guerre de Corée. Monsieur Han est gynécologue et professeur à l'université de Pyongyang. Il n'est pas mobilisé pas plus que son ami le Dr So. Ainsi en a décidé l'officier soviétique qui dirige désormais l'hôpital et qui le convoque. M.Han est un médecin idéaliste, incorruptible qui exerce son métier comme un sacerdoce. Il ne fait pas de politique. Il est donc suspect. Au lieu de se tenir à carreaux et de se contenter de soigner les membres du parti dans un quartier réservé, il va soigner les civils déchiquetés qui arrivent par milliers...



Les descriptions sont très réalistes et n'épargnent pas le lecteur. La scène de la fusillade et celle de la séparation familiale dans la tempête de neige sont bouleversantes. Les faits parlent d'eux-mêmes et le narrateur ne commente rien. Pas de pleurnicherie. Les dialogues s'enchaînent. C'est l'histoire de sa propre famille que Hwan-sok Yong raconte avec justesse. Il rend ainsi hommage à son oncle idéaliste et à sa propre mère qui se battra jusqu'au bout pour que justice soit rendue.

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Monsieur Han

Je ressors de la lecture de Monsieur Han secouée. Hwang Sok-yong met en scène par l'entremise de son personnage un passé terrible de la péninsule coréenne au moment de la guerre et juste après la partition le long du fameux 38è parallèle. D'autant plus terrible qu'il s'agit en réalité de l'histoire, dans une version romancée, de son propre oncle maternel, médecin tout comme le Monsieur Han du titre. On comprend néanmoins très vite que des Monsieur Han, il y en eut des milliers lors de cette tragique période de la Corée.



Alors que le roman s'ouvre sur les derniers moments de son héros, dans une misère crasse, Hwang Sok-yong construit son récit en une longue analepse couvrant les années 1950 à 1953. Ces quelques années où la Corée fit office de pion aux mains bellicistes des deux grands pôles de la guerre froide. L'auteur montre les réalités et les horreurs de ce conflit où les petites gens moururent par millions du fait des combats et de ses fléaux corollaires comme la maladie (les descriptions d'une épidémie de typhoïde dans l'hôpital de Pyongyang sont particulièrement difficiles à lire).

Monsieur Han est donc médecin, enseignant la gynécologie à la faculté de ce qui va devenir la capitale du Nord. C'est un personnage idéaliste qui envisage la médecine et l'enseignement comme un véritable sacerdoce. Sa droiture et sa volonté de sauver le plus de vies - et non seulement les partisans "idéologiquement purs et sûrs" du parti de Kim Il-sung - lui vaut des représailles par les forces militaires nordistes.

Passé au Sud pour sauver sa peau, il se retrouve en but à la suspicion et à la malhonnêteté d'un état "démocratique" sudiste où arrestations sommaires, tortures, incurie de la justice et corruption à tous les niveaux sont les maîtres mots. Monde terrible s'il en est pour un être aussi pur que Monsieur Han, véritable Candide au pays du Matin Calme.



Hwang Sok-yong dénonce les dérives de la guerre et du pouvoir qui se met en place au sud du 38è parallèle suite au cessez-le-feu. Tant de combats et de morts pour revenir à une situation de départ. Tant d'apatrides dans leur propre pays, séparés définitivement des membres de leur famille restés définitivement coincés au Nord sous la férule que l'on sait du pouvoir de Pyongyang. Et les actualités depuis plusieurs semaines ne laissent pas d'inquiéter sur les possibilités du descendant du dirigeant de l'époque.



Quoique le style usité dans cette chronique, sans pathos aucun, puisse paraître froid et distant, je suis restée gorge serrée tout le long des 130 et quelques pages. Les phrases nettes, précises, parlent d'elles-mêmes et forment un ensemble douloureux à lire. Le personnage principal, ainsi que sa soeur et un collègue médecin originaire du Nord lui aussi, brille d'une lumière particulière dans cet univers sombre et sordide de violences, de malversations et de corruptions.



Petit format mais force incroyable des mots d'un auteur qui donne la voix, dans ses romans, aux malheurs des petites gens, et se fait le dénonciateur de systèmes aberrants dans lesquels sont broyés corps et âmes ses compatriotes.

Lecture difficile donc, non pas dans la forme mais dans le fond. Lecture indispensable pour partir à la découverte de la Corée et de ses réalités.
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Shim Chong, fille vendue

Que d'agréables et passionnantes heures de lecture Hwang Sok-Yong m'a offert grâce à ce beau roman qu'est - Shim Chong, fille vendue - !

Il faut dire que ce n'est pas le hasard qui m'a poussé vers ce livre.

J'avais eu, dans un passé pas très éloigné, l'occasion de faire la connaissance de cet écrivain Sud-Coréen via son magistral - Monsieur Han -, une histoire et une plume qui m'avaient touché...

C'est donc avec confiance que j'ai commencé la lecture de ce deuxième ouvrage de ce grand monsieur de la littérature mondiale... dont au passage on attend que les membres du Nobel récompensent une oeuvre et un talent bien plus à la hauteur de la renommée de ce Prix et de cette Académie que certain(e)s des lauréat(e)s qui figurent à son palmarès...



Hwang Sok-Yong a utilisé pour écrire cette épopée, au sens homérique du mot, la légende populaire de Shim Chong, devenu pansori ( art coréen du récit chanté ou opéra traditionnel, "proche d'un récit épique mimé et chanté" ) "figure mythique de l'imaginaire coréen".

L'auteur raconte avoir eu l'idée de ce livre alors que coincé dans les embouteillages de Séoul il observait les oiseaux et s'interrogeait sur les étapes et le but de leur migration...



"Shim Chong dont la mère meurt peu après sa naissance a pour père un homme aveugle.

Son enfance est misérable, faite de mendicité et d'obligations à l'égard de son père infirme.

Elle apprend un jour par un moine que celui-ci a sauvé son père de la noyade.

S'il fait don de 300 sacs de riz à son monastère, le père de Shim Chong recouvrera la vue.

Pour ce faire, la jeune fille âgée de seize ans accepte de se vendre à des marchands de Nankin en quête d'une vierge qu'ils sacrifieront aux démons des vagues et des tempêtes afin de s'assurer une traversée paisible.

Chong est jetée à la mer.

Émus, les dieux du Ciel ordonnent aux dieux des quatre océans d'accueillir la jeune fille dévouée, laquelle retrouve sa mère qui lui annonce qu'elle sera un jour réunie avec son père.

Elle est en effet rendue à la vie dans une fleur de lotus."

C'est à partir du socle de cette légende ( beaucoup plus riche ) que Hwang Sok-Yong initie l'épopée de Shim Chong.



Celle-ci débute vers le milieu du XIXe siècle en Corée du Sud.

Shim Chong, 15 ans, est vendue par sa belle-mère, devenue donc la seconde épouse de son père aveugle, à des marchands de plaisir chinois.

Avant de voguer vers la Chine, elle est immergée et apprend qu'elle est la réincarnation du Bodhisattva Avalokiteçvara ( Bouhha de la compassion ), venue dans ce monde "pour nous éclairer sur la futilité de la vie conjugale et la vanité du lien qui unit l'homme à la femme".

Les marins et les marchands à l'issue de son immersion la rebaptisent Lenhwa ( fleur de lotus ).

La jeune courtisane commence alors son périple entre Nankin, Suzhou, Formose, Singapour, Ryukyu, Satsuma, Nagasaki...

Comme Ulysse, Shim Chong parcourt les mers ; la mer de Chine orientale et la mer de Chine méridionale.

Les marins font autant, ou presque, partie de l'odyssée de la jeune femme que les compagnons d'Ulysse.

La mer est omniprésente dans le récit, même lorsqu'elle est à terre, où elle n'en est jamais très éloignée, où elle la récite, où elle la chante.

Car si Shim Chong est une fille de plaisir, une prostituée, une courtisane, une geisha, elle va très vite révéler des dons artistiques et devenir une musicienne recherchée.

Belle, très belle, intelligente, très intelligente, elle qui est "au service" des hommes, est et restera une femme très indépendante, jamais asservie, jamais soumise.

Sa volonté, ses désirs, ses engagements sont ceux d'une femme qui incarne toutes les femmes et beaucoup de leurs luttes.

"Elle a autant de visages que d'interprétations... fille vendue, concubine, prostituée, femme de pouvoir, musicienne, mère...", j'ajouterai cheffe d'entreprise, militante engagée ; ses combats pour réussir à ouvrir des centres d'accueil pour les enfants métis abandonnés par des mères prostituées et des pères occidentaux repartis vers d'autres conquêtes, sont remarquables de courage, de ténacité, de lucidité et d'avant-gardisme. Car le contexte colonialo-politico-économico administratif est, pour employer un euphémisme, très misogyne et très peu bienveillant à l'égard d'une fille de sa condition et de ses origines...

En outre, elle profitera de ses différents commerces, de ses statuts de "hwajia" ( titre donné à la meilleure courtisane de la maison de plaisir ), de "yelaixiang" ( patronne des hôtesses dans une maison de plaisir ), de "Mamasan" ( patronne de bar, de maison de geishas ) pour tenter d'améliorer les conditions de vie de ses compagnes d'infortune ( conditions de travail, conditions économiques, conditions sanitaires etc.. ).

Elle est aussi une révolutionnaire... il faut voir à travers son activisme "anticapitaliste" ( ce n'est pas un anachronisme )... le parcours politique de son auteur ( - Monsieur Han - en est l'exemple par excellence )...

Cette dénonciation de l'asservissement et de la marchandisation du corps des femmes, qui faisait florès à cette époque, s'inscrit dans un contexte politico-historique que Hwang Sok-Yong retranscrit avec talent et respect scrupuleux des faits.

De la guerre de l'Opium, à la révolte des Taiping, à l'extension "impérialiste" du Japon ainsi qu'à celle de l'Occident, dont celle des États-Unis via les "bateaux noirs" du contre-amiral Perry, en passant par la guerre sino-japonaise... sans oublier le marxisme et le christianisme qui "prosélytent" en Asie " au prix de l'exploitation et d'un déséquilibre social tragique," le roman odyssée s'avère être multigenres ou multifacettes.

Oeuvre romanesque, épopée, poème, conte, légende, roman du merveilleux, de la mythologie, dénonciation sociale, chronique de moeurs toute d'érotisme, de sensualité et de chair, bouquin historique sur fond d'engagement politique... sans oublier la dimension spirituelle du ou des messages adressés, - Shim Chong, fille vendue -, d'une lecture aisée à l'écriture riche mais aux clés d'interprétation et de compréhension parfois plus complexes, appartient à cette espèce de livres rares dont il faut se donner l'opportunité de les avoir entre les mains pour saisir ce qu'est la chance de pouvoir savourer ce à quoi peut ressembler une grande oeuvre littéraire.

Shim Chong est un personnage atemporel qui lutte dans une époque prémoderne en préfigurant des combats d'une acuité contemporaine brûlante.

Une légende dans une actualité, qui nous parle.





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