Citations de Sok-yong Hwang (224)
Je crois que l’amour et l’histoire ne font pas bon ménage. On court avec son temps. Et après s’installe la nostalgie de ce qui aurait pu être et n’a pas été.
À présent, me voilà en route. Il y a dix-huit ans, par une nuit de tempête, j'étais parti pour Séoul. Abritée sous un parapluie, Yunhi m'avait suivi jusqu'au pont. Sa jupe à fleurs de paysanne était trempée et elle avait perdu ses caoutchoucs à bout pointu. Les phares du dernier bus ont troué l'obscurité comme les yeux d'un fauve; à mesure qu'ils se rapprochaient, on voyait dans leurs faisceaux la pluie qui tombait. Avant de monter dans le bus, je m'étais retourné. Yunhi semblait vouloir dire quelque chose, mais elle s'est finalement contentée d'agiter timidement la main, sans même tendre le bras. J'étais monté, le bus allait redémarré et je m'étais précipité en vacillant vers la lunette arrière. Sa silhouette sous le parapluie un instant entrevu avait été happée par l'obscurité.
Un bruit de pas au loin.
Des talons martelaient le sol en ciment sur un rythme martial.
Le gardien-chef faisait sa dernière ronde.
- Rien à signaler! lançaient les gardiens.
Il lui fallait franchir deux grilles pour arriver jusqu'à moi. J'ai émergé de la couette qui me couvrait jusqu'aux épaules et je me suis redressé. Une fois assis, l'air froid de l'aube m'a transpercé le dos. (...) J'ai endossé ma défroque de prisonnier sur laquelle étaient inscrits le numéro de mon bâtiment, celui de ma cellule et mon matricule. Mille quatre cent quarante-quatre, c'était depuis longtemps mon nom. J'avais presque oublié le vrai. On me l'avait attribué quand, ce numéro ? À l'appel, à la distribution du courrier, au travail, quand j'avais une visite ou encore quand j'étais puni, c'était toujours à travers ce numéro, précédé ou suivi d'une insulte, qu'on voulait bien me concéder que j'existe.
(Incipit)
A force de vivre isolé dans une cellule, on finit par laisser les menus sentiments disparaître sous une épaisse couche d'insensibilité, parce que les entretenir n'aide pas à survivre.
Une des caractéristiques d'un détenu à l'isolement depuis longtemps est qu'il n'est plus capable d'exprimer ses sentiments, parce qu'il ne peut pas les partager.
p.43
Une journée où il ne se passe rien est sans doute ce que l´homme peut rêver de mieux.
p.209
Je me suis levé. Je me suis étiré et, comme d'habitude, j'ai écarté les bras à l'horizontale pour pousser sur les deux murs, les mains bien à plat. Ils étaient couverts d'une couche blanche de givre. Il en allait de même pour le plafond, sauf à l'endroit où ma respiration nocturne avait formé des gouttelettes. La cellule était de deux empans plus large que l'étroit matelas et d'un pas plus longue, d'un pas qui amenait à la porte des toilettes. Devant cette porte, il y avait un seau d'eau ; sur le mur, trois étagères en plastique où l'on rangeait ses bricoles et la vaisselle. Une mince couche de glace recouvrait l'eau du seau.
Le cachot obscur prive même celui qui y est de la liberté de penser, essence de la dignité humaine. En effet, il ne pense plus. Ce n'est que lorsqu'il trouve un objectif sur lequel se concentrer qu'il peut s'assurer qu'il est toujours vivant. Ah oui ! j'ai un outil. Je dois ouvrir les menottes. Je tâtonne et je saisis le clou que j'ai caché entre deux lattes du plancher. La corde qui entrave les bras et les menottes coupent la circulation du sang, les doigts sont ankylosés. On commence par remuer patiemment ceux qui tiennent le clou pour bien en mémoriser la forme, pour les dégourdir en dessinant des lignes, des cercles, des x, en haut, en bas, à droite, à gauche. Puis on introduit le clou dans la serrure du bracelet qui emprisonne l'autre main et on tente de comprendre le mécanisme. On cherche à le crocheter en tournant et en tirant le clou, on multiplie les essais et chaque échec apporte un enseignement. Les doigts s'initient à des mouvements de plus en plus sophistiqués et tout en persévérant, les yeux fermés, le prisonnier court derrière une image.
Le vent soulève des vagues à la surface du champ d'orge. Sur une colline, de l'autre côté du champ, il y a des pins qui se penchent et un chemin sur lequel je marche. Il contourne la colline, traverse un ruisseau pour s'arrondir encore derrière la montagne. Il est bordé de deux rangées de grands saules et quand les branches ondoient dans le vent et que les feuilles révèlent l'éclat de leur ventre, on a l'impression de les entendre rire. Je marche, mais je ne sens pas les cailloux et les pierres sous mes pieds. Juste un chatouillement sous la plante au contact de la terre légèrement ramollie par l'humidité. Je glisse sur le chemin en silence, comme dans un rêve.
Un bruit métallique et cristallin et le pêne en dents de scie du bracelet se soulève. Précautionneusement, j'extrais ma main. A présent, c'est le tour de la corde.
Yi disait que plus on fabriquait des objets qui n'étaient pas de premières nécessités, plus le bien-être disparaissait.
p.498
Dans cent ans, en effet, quasiment tous ceux qui cohabitent aujourd’hui sur cette terre auront disparu. Le monde sera peuplé de têtes nouvelles. Les architectes, eux, ont une consolation : ils laissent des constructions derrière eux. Mais ce qu’ils laissent, ce peut n’être rien d’autre qu’une figure hideuse de la cupidité.
Ne vois pas dans l'existence que nous menions la médiocrité d'une vie bourgeoise. Mes desirs ne vont pas plus loin que cette insignifiance. Quel que soit le régime politique, notre refuge à toi et moi sera toujours là. Et pour moi, l'idéologie n'a aucune importance. Pourvu que tu sois à mes côtés...
A présent, me voilà en route. Il y a dix-huit ans, par une nuit de tempête, j'étais parti pour Séoul. Abritée sous un parapluie, Yunhi m'avait suivi jusqu'au pont. Sa jupe à fleurs de paysanne était trempée et elle avait perdu à plusieurs reprises ses caoutchoucs à bout pointu. Les phares du dernier bus ont troué l'obscurité comme les yeux d'un fauve ; à mesure qu'ils se rapprochaient, on voyait dans leurs faisceaux la pluie qui tombait. Avant de monter dans le bus, je m'étais retourné. Yunhi semblait vouloir dire quelque chose, mais elle s'était finalement contentée d'agiter timidement la main, sans même tendre le bras. J'étais monté, le bus avait redémarré et je m'étais précipité en vacillant vers la lunette arrière. Sa silhouette sous le parapluie un instant entrevue avait été happée par l'obscurité.
Mais jusqu’où peut-on vraiment aller dans l’accomplissement en y sacrifiant toute une vie ? ....Nous changeons comme une montagne de terre peu à peu usée par le vent et la trace que nous laissons dans le monde est bien différente de celle que nous avions imaginée au départ.
p.52
Un détenu traverse des moments critiques : quand il se met en route vers la prison après la sentence; au bout de trois ans d'emprisonnement dans une cellule d'isolement; au début de la dixième année; quand sa femme refait sa vie; quand un membre de sa famille décède, surtout sa mère; quand son enfant est malade; quand un gardien qu'il haïssait revient; quand il est puni injustement; quand, dans un cachot plongé dans les ténèbres, sans la moindre fenêtre, il doit manger les mains menottées dans le dos et les pieds enchaînés en rampant comme un animal. Dans ces moment-là, il peut passer de l'autre côté. Son âme abandonne son corps pour se créer un autre univers.
L'oiseau couve en son cœur les résonances du dernier frémissement de la branche d'arbre. Sur la montagne, l'arbre tremble au vent, tandis que les feuilles tombées conservent la chaleur du contact des ailes.
Le chef-coiffeur des prisonniers était un homme à l’automne de sa vie. Un dur qui tirait ses quinze ans, comme on disait ici, au bout de dix ans, il n’ y avait que des agneaux.
p.16
La haine, c'est un enfer que l'on crée soi-même.
Quand les filles ne savent encore rien des hommes, elles se fient sottement aux apparences.
Les querelles politiques, mais aussi les espoirs que chacun nourrissait, étaient pris dans la glace,condamnés à hiberner en attendant la saison nouvelle. L'oubli venait y ajouter une couche chaque jour plus épaisse.......
J'ai lu dans un livre que la conscience est une chose unifiée, globale et indivisible. Et que lire et étudier librement constituent la source de la créativité. l'éducation scolaire, plutôt qu'un intellect inventif, formerait finalement un individu intégrable dans un système uniforme, à l'intérieur duquel elle perpétuerait le pouvoir dominant.