Comme dans votre précédent et premier roman Enjoy, on retrouve dans Nous sommes jeunes et fiers votre regard sans concession sur une certaine société de consommation dictée par l`apparence. Est-ce un thème qui vous fascine ? Quelque chose qui vous choque dans nos sociétés actuelles ?
Ce qui me fascine et m`épouvante n`est pas tant l`apparence ou la superficialité des choses que leur disparition pure et simple, tout du moins leur ersatz, ou leur mutation maligne. Dans Enjoy, j`ai voulu montrer que nous pouvons, si nous le souhaitons, communiquer davantage avec les gens par internet que dans la vie réelle. Nous pouvons avoir cette vie là, ce monde nous en laisse le choix. Avec Nous sommes jeunes et fiers, je me suis rendue compte que deux personnes pouvaient vivre entièrement dans les mots et les idées sans jamais les mettre en application, et sans jamais non plus s`en rendre compte, mais jusqu`au désespoir, car leurs mots ne les sustentent pas. Il y a, finalement, toujours un enjeu autour du langage. Comme d`autres épieurs de langage et de ses mutations, je suis intimement persuadée que changer de mot pour désigner une réalité change cette réalité. Successivement, dans ces deux livres, il me fallait pointer du doigt ces mots et ces comportements qui ne disent plus rien de vrai.
Vous avez pris le parti de prendre deux héros, Ivan et Noémie, qui correspondent, au début de votre roman, à tous les clichés "bobos" : ils vivent à Paris, ont de hauts revenus, il travaille dans la publicité quand elle est enseignante.... Les bobos correspondent-ils à une certaine norme sociale aujourd`hui ? Que représentent-ils ?
Vous remarquerez qu`à aucun moment je n`emploie le mot « bobo » dans mon roman, mais oui ça doit être cela… Ce qui m`aurait amusé a posteriori eût été que l`un d`eux traite ses amis de « bobo », justement, car le système de défense de mes personnages est fondé sur un constant reproche aux autres de ce qu`eux-mêmes sont ou font. Mais lorsque j`ai écrit ce roman, je ne les nommais pas « bobo », même dans ma tête. « Bobo » me semble un terme qui s`est émoussé, sans doute trop galvaudé, et s`est un peu vidé de son sens. Ivan et Noémie, en fait, c`est avant tout le couple en photo sur vos factures de téléphone mobile ou de box pour internet. Toujours souriants, très beaux, rebelles mais dans le vent, dans un immense appartement, avec des amis de toutes origines ethniques. Leur vie a l`air merveilleuse et ils n`ont jamais aucun problème. J`ajouterais qu`ils disent tout haut ce que tout le monde pense tout haut, et crient avec les loups en pensant être les moutons… Voilà pour leur mentalité. Sociologiquement, ce sont de petits bourgeois tête à claques, ils héritent, mais crachent dans la soupe.
Ivan et Noémie, les deux héros de ce roman forment un couple lassé de tout. D`où leur vient cette lassitude ?
Il manque à Ivan et Noémie une espérance qui dépasserait la « formule bien-être » de l`hôtel cinq étoiles ou du salon de massage. Quelque chose à la fois plus spirituel et plus humain. Ivan et Noémie sont malheureux car leur vie manque de sens. Même avec la volonté de tout remettre en question, ils sautent à pieds joints dans les vanités de leur époque. Je voulais faire cela, même si ça paraît cruel : montrer des gens en cage dont le seul exploit est de taper aux barreaux de la cage… Même lorsqu`ils se tournent vers le christianisme, ils se retrouvent chez de mémorables cinglés qui ressemblent à des bêtes de foire. Le grand problème d`Ivan et Noémie demeure dans le fait qu`ils veulent « revenir aux sources » mais continuer à repousser le passé, ou au mieux le muséifier. Cette « cage », c`est le propre du moderne, nous y sommes un peu tous. J`ai mis beaucoup de moi-même dans ce roman. On est toujours le con de quelqu`un…
Quelques uns de vos lecteurs ont évoqué un conte "philosophique" et "moral". Etes-vous d`accord avec cette analyse ?
C`est flatteur parce que j`ai surtout voulu écrire un roman réaliste, c`est-à-dire raconter une histoire de notre temps. Après, c`est plus moraliste que moral je pense, ce sont les mœurs de mon époque qui m`intéressent. Cela n`exclue pas un jugement moral, on a toujours une responsabilité morale… mais cela vient en plus, et de mon point de vue le romancier doit suspendre son jugement, ou le faire apparaître le plus subtilement possible. Il y a une part de manipulation, on sait sans doute ce que l`écrivain pense de tout ça même si ce n`est pas explicitement formulé.
L`une des questions qui hantent Ivan et Noémie est celle du retour aux sources. Ce désir semble aussi illusoire que la vie menée par le couple jusqu`à l`accident d`Ivan. Avez-vous vous-même trouvé une échappatoire à cette société de consommation ?
Je n`ai pas de leçon à donner… Mais mes échappatoires s`appellent la lecture, la pratique de la curiosité, l`absence de télévision, la foi et à travers elle le souci des autres, mais j`ai encore pas mal de chemin à faire. Cela dit, je n`ai rien contre la plage paradisiaque d`Ivan et Noémie…
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
Robinson Crusoë, de Daniel Defoe.
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Gustave Flaubert.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Les Choses, de Georges Perec.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Le même livre …
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
les frères karamazov, de Fiodor Dostoïevski.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Pas certaine d`être très forte en perle méconnue, certains de vos lecteurs sont sans doute de grands lecteurs … Mais enfin l`an dernier j`ai un ami qui m`a fait lire La montagne morte de la vie, de Michel Bernanos (le fils de Georges, dont j`ignorais même l`existence) et c`est absolument superbe. Il est disponible en Petite Vermillon aux éditions de La Table Ronde .
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
« Surfait », c`est un peu fort, mais je pense que Madame de Sévigné c`est beaucoup moins intéressant qu`on veut nous le faire croire.
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
"La plupart des révolutionnaires du siècle dernier avaient exactement aspiré à ce niveau d`aisance et de loisir, et je me dis soudain que j`assistais à l`émergence d`une forme supérieure d`ennui." C`est dans Millenium People, de J.G. Ballard. Ça me hantait en écrivant Enjoy.
Et en ce moment que lisez-vous ?
Jean-René Huguenin, La Côte sauvage. J`ai découvert cet écrivain mort trop tôt par un recueil de ses articles, publié sous le titre d`Une autre jeunesse, il y a un an et demi. Ça m`avait bouleversée. De la colère et de l`espérance. La Côte sauvage est le seul roman qu`il aura eu le temps de faire éditer avant son accident mortel survenu en 1962. Il était promis à un bel avenir dans la carrière. Pour le moment, c`est bien.
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Nous sommes jeunes et fiers" de
Solange Bied-Charreton aux éditions
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Solange Bied-Charreton -
Les visages pâles .
Solange Bied-Charreton vous présente son ouvrage "
Les visages pâles". Parution le 24 août aux éditions Stock. Rentrée littéraire 2016. Retrouvez le livre : http://www.mollat.com/livres/bied-charreton-solange-
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