
Qu’avais-je envie de dire à Emma la fois où je l’avais abordée dans le
couloir ?
Je me souviens maintenant précisément de ce que c’était. Je voulais lui dire d’arrêter de sécher les cours, et de traîner avec celles qui sèchent les cours, d’arrêter de fumer, d’arrêter de se faire du mal, et d’arrêter de fréquenter ce garçon qui était de toute façon trop âgé pour elle. Je voulais lui dire que, chaque matin, elle devait avoir de l’énergie, de la joie, qu’il fallait qu’elle saute de son lit, prépare son sac d’école, qu’elle y mette ses
cours – qu’elle avait lus attentivement – ses devoirs – qu’elle avait faits entièrement – avec ses affaires de sport, et qu’elle prenne son vélo pour venir jusqu’à l’école avec entrain. Je voulais lui conseiller de redevenir amie avec Anna et Pernilla, et de rester chez elle certains soirs, pour discuter avec sa mère et retrouver la joie de vivre.
Mais je ne pouvais évidemment pas lui dire cela : ç’aurait été si naïf.
C’était comme souhaiter la paix dans le monde, la victoire contre le cancer, ou la disparition immédiate de l’effet de serre.
Sauf que, quand même. La naïveté, ça a peut-être du bon.
. " En ce moment, je suis libérée de la contrainte de me mettre en colère, d'élever la voix, d'éduquer qui que ce soit.
Je suis libre.
Je suis plus libre que jamais auparavant.
Je peux passer mon temps comme bon me semble. D'accord l'espace est restreint. Mais ma liberté spirituelle,
ma liberté de penser, ma liberté d'utiliser mon temps pour moi est sans limite.
Je suis libre."
Mon père disait que, pour qu'un homme et une femme se rencontrent, il doit y avoir un peu d'homme en elle, et un peu de femme en lui. Alors ils ont forcément quelque chose à se dire, ils peuvent se comprendre, et partager le monde de l'autre. Il pensait que, si on y réfléchit bien, il n'y a aucune différence entre les hommes et les femmes.
D'abord, il me faut chaque année plus de temps pour me séparer de l'école. En fait, je suis devenue incapable de le faire. Ensuite, tous mes intérêts personnels sont reliés à ma profession. Ne serait-ce, par exemple, que de lire un bon livre. La plupart des gens considèrent cela comme un plaisir,et c'était également mon cas au départ, mais c'est devenu une question d'utilité : vais-je réellement passer du temps à lire ce livre-ci, alors qu'il est clair que je tirerais plus de la lecture de tel autre? Il n'y a pas seulement le fait que je doive être toujours au courant des dernières parutions pour la jeunesse : je considère aussi comme de mon devoir d'avoir lu au moins quelques titres écrits par le prix Nobel de l'année. De plus, je dois garder du temps pour ce dont il est question dans les pages culturelles. Et il va de soi que je lis la littérature anglophone en version originale.
Le jogging n'est pas bon pour les femmes, répondit Aurora, d'un ton sans réplique, la force de gravitation de la Terre a des incidences négatives sur la poitrine. Non pas que j'en aie fait moi-même l'expérience, mais c'est ce qu'on dit.
En fait, on n'est que des personnages secondaires dans l'histoire des autres.
Je dois dire qu'Aurora ne s'est pas donnée beaucoup de mal pour éviter d'empiéter sur ma vie. Elle est véritablement entrée sans frapper. Et elle s'y est invitée, avec ses avis sur tout. En même temps, je l'ai autorisée à le faire : je lui ai ouvert grand ma porte, et me suis laissé influencer par elle. Pour la bonne raison que, en fait - elle a beau être ce qu'elle est -, je suis heureuse qu'elle existe.
Je suis passée par toute la gamme des sentiments : l'exaspération, la déception, l'adoration. Avec le recul, je ne comprends pas comment j'ai pu le supporter aussi longtemps. Je ne me comprends pas moi-même : comment est-ce que j'ai pu le laisser s'emparer d'une partie de ma vie.
Heureusement que j'arrive à garder mon sang-froid, malgré cette situation pénible. Une personne dotée d'un tempéramment moins calme aurait pu devenir hystérique, ou paniquer. Pas moi.
Je ne sais pas ce qu'il faut changer, mais quelque chose doit se passer. Je ne veux plus être lâche. Plus jamais. La vie est quelque chose de trop précieux pour la gaspiller.