Alex, 13 ans, a lu Tuer van Gogh de Sophie Chérer, aux éditions L'école des loisirs. Qu'en a-t-il pensé ? A-t-il dévoré ou détesté ce roman ? Il vous dit tout en 1 minute 30 !
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Quel est votre mot préféré ?
Sophie Chérer - Mais ce que je préfère, c'est qu'il y en ait autant ! Mon mot préféré ? Je crois que c'est la curiosité. Ce n'est pas le mot que je préfère, c'est la chose. La curiosité, c'est un mot qui a tout pour me plaire. Il n'est pas si facile à prononcer, il faut vraiment articuler : cu-ri-o-si-té. Il est calomnié, on le traite de défaut. Il est méconnu. Il est à double sens, à double sens complémentaire. Il est très ancien, très nécessaire - plus que jamais. Il a fallu un accident nucléaire majeur pour que l'empereur du Japon nous dise "il est temps de prendre soin les uns des autres". Mais nous devrions tout le temps prendre soin les uns des autres, être curieux les uns des autres !
Rencontre Sophie Chérer, Virgule magazine, novembre 2016.
Nommer, c'est faire exister. C'est donner la vie. On n'a pas le droit de négliger cela. On ne peut rien faire d'une fleur si on ne commence pas par prononcer correctement son nom. Ce manque d'attention est un manque de savoir-vivre. Ne deviens jamais comme eux, Edmond. La plupart des êtres humains ne font que passer à travers la Nature. Toi, connais-là. Sens-la. Sers-la. Aime-la?. Edmond!
Une voix joyeuse, énergique, rapide, une voix faite pour vous annoncer des nouvelles importantes, et peu importe qu'elles soient bonnes ou mauvaises, car si elles sont mauvaises, la voix porte en elle la puissance de consolation et d'entrain nécessaires. Une voix claire et nette, la voix de quelqu'un qui parle en face, qui a des convictions, des cohérences et des franchises. Une voix jamais embarrassée de vous dire la vérité. C'est si rare.

Il allait élever un enfant noir. Parfaitement ! Passionnément. Partager avec lui son savoir. Il allait damer le pion à tous ces incultes abrutis par leurs richesses, qui voulaient des ceintures toujours plus dorées, des calèches toujours plus armoriées, des robes toujours plus brodées, des colliers toujours plus emperlés, des mets toujours plus gras, qui venaient faire craquer leurs articulations et leurs bottes dans les génuflexions, dimanche après dimanche, et sans rien écouter, rien comprendre de ce qui se disait sous la nef. Qui s'apprêtaient à fêter un Noël de plus, et une Épiphanie, en faisant mine de croire qu'un Noir avait pu être mage, qu'un Noir avait pu être l'un des premiers du monde à saluer leur Dieu et à le vénérer, et qui, à peine sortis de la célébration, s'en iraient recommencer à traite les nègres comme avant, comme des rats, comme des chiens.
Il allait leur montrer qu'ils avaient tort, qu'ils se trompaient.
Ecrire un roman, c’est accumuler des pierres et des poutres éparses de réalité. Tâcher de les assembler avec un ciment d’imagination, d’intuitions. Et aérer le tout par des questions qui sont des ouvertures, des portes battantes, des vasistas.
J'essaie toujours depuis d'écrire de cette manière. J'ai un destinataire ou plusieurs et je leur raconte une histoire. Qu'elle devienne un livre, je n'en suis jamais sûre. J'espère que jamais ne me quitteront ces deux conditions : écrire pour quelqu'un, pour lui faire plaisir, pour lui adresser un cadeau, et écrire sans penser à un résultat fini, un objet dans une bibliothèque ou une librairie.
Nous le savons tous, nous qui les fréquentons, nous qui les fabriquons, que nous soyons lecteurs ou auteurs, simples croyants ou pratiquants, les livres servent à consoler, à compenser, à réparer la vie et ses blessures.

D'abord on ne voit rien. On ne note aucun changement. Le premier signe, c'est l'odeur. Comme quand une femme s'apprête à entrer dans la pièce et que les mouvements de ses jupes envoient des bouffées de son parfum au-devant d'elle. Ça sent la vie. Ensuite, on aperçoit, au ras du sol, et puis à hauteur d'yeux, au bout des rameaux, des pousses fraîches, des bourgeons. Les Grecs appelaient ce mois, le huitième mois de leur année, le mois d'Anthestérion, ce qui veut dire la fabrique des fleurs. Tout devient peu à peu vert tendre et orangé, couleur de miel, et rose, et blanc. Les jours rallongent, le soleil se lève de plus en plus tôt, se couche de plus en plus tard. Un matin, avant l'aube, c'est une fanfare. Une explosion. Un concert de milliers d'oiseaux. Ils sont revenus. Les plantes elles-mêmes deviennent animales. Les fleurs de noisetiers s'appellent des chatons, d'ailleurs. Les peupliers se mettent à mousser, comme des toisons d'agneaux nouveau-nés. On a envie de les flatter. Les fleurs surgissent, comme des cadeaux. Celles des iris ! l'air d'être emballées dans du papier de soie. Celles des coquelicots ! pliées comme des gants de peau souple dans des coquilles de noix. On a envie de les garder. Mais le printemps ne peut pas s'enfermer. Il passe...
Mathilde a toujours pensé qu'au McDo [...] les frites [étaient] molles, grasses et tièdes, le pain dégueu et la viande ratatinée, elle n'aime pas le ketchup ni les cornichons sucrés, et le Coca l'empêche de dormir. Qu'est-ce qui reste ? Le jouet, qui est marrant, et les nuggets de poulet, qui sont délicieux. Hélas, Mathilde [...] a appris en regardant un reportage télévisé que les jouets étaient fabriqués en Chine par des enfants esclaves et que les Chicken Mc Nuggets étaient en fait des bouts de restes de poulet fou raclés sur les carcasses et recollés ensemble sous de la chapelure camouflage. Alors il ne reste rien.
(p. 30-31)
Mais Edmond était trop noir pour les Blancs, trop blanchi pour les Noirs, trop gâté pour les brimés, trop oisifs pour les travailleurs, trop soumis pour les libres, trop naïfs pour les adultes, trop édifiés pour les enfants. Trop intelligent pour le commun des mortels. Nulle part il n'était à sa place.