Pauvre Cendrillon. Elle attend si longtemps que son prince vienne la sauver… " Fabia sourit. " Quel dommage qu'on nous apprenne à nous conduire de cette manière, vous ne trouvez pas ? A attendre qu'on vienne nous sauver, je veux dire."
Mais j'ai appris que chacun emporte son histoire avec lui, où qu'il aille.
Pour influencer les pensées d'autrui :
Préparez un repas en pensant à ce que vous désirez voir arriver et en laissant vos pensées se mêler à la vapeur. Faites aussitôt manger ce que vous avez préparé à l'objet de votre sortilège.
Pour rêver d'un être cher :
Glissez un de ses vêtements sous votre oreiller avant de vous endormir.
Miss Mary, Le Livre des rêves.
Aux yeux d’Ella, mamma n’était que contradictions : d’un côté, les tenues voyantes et le rouge à lèvres éclatant, de l’autre, l’envie de s’intégrer ; d’un côté, le penchant pour l’intrépidité, la couleur, l’originalité – en matière de vêtements, de nourriture, de langues, de gens, de lieux –, de l’autre, le respect des Britanniques et de leurs manières si prudentes, si réservées ; et, bien sûr, au cœur de ces tiraillements, le secret qu’Ella était seule à connaître : mamma faisait semblant d’être italienne.
Fabia adorait le magasin à cette heure là. Le soleil vespéral emplissait la cours à ras bord, et les petits carreaux des vitrines posaient sur le plancher une mosaïque de lumière. Tout luisait, scintillait. Elle en venait presque à croire qu’elle avait bel et bien créé quelque chose de magique.
L'histoire que je vais vous raconter n'est pas si simple, toute de coutures complexes et d'agrafes cachées, de poches profondes et d'entoilages rétifs à un ajustement précis. Je vais la tailler pour vous comme mamma m'a appris à le faire, en roulant l'ourlet entre mes doigts et en peignant les fils égarés le plus délicatement possible.
Il va falloir me pardonner s'il m'arrive d'être un peu maladroite. Mamma ne se fiait pas aux patrons. Elle m'a appris à m'en remettre entièrement au tissu, à le laisser trouver sa propre forme sur la table de coupe par la seule grâce de sa couleur et de sa texture. Quand je lui demandais quoi faire, elle souriait, elle me disait de fermer les yeux, puis elle me caressait la joue avec l'ourlet d'une manche inachevée ou le pli d'une jupe.
Ella regardait la lumière jouer sur les flots, qui entraînaient dans sa direction un semis de fleurs blanches. Elle les suivit au fil du courant, pendant que l’eau épaisse à la peau verte rassemblait des brindilles et autres débris, un lambeau de papier de bonbon, une souche de billet de vaporetto, une pelure d’orange, un gobelet en carton… A vrai dire, la jeune femme se réjouissait en son for intérieur, fière d’avoir trouvé seule son chemin à travers la ville. Lentement, elle apprenait à connaître le labyrinthe des rues et des ponts, les passages obscurs encadrés de murs vertigineux ouvrant soudain sur les piazzas débordantes de soleil...
Elle avait ouvert les volets sur un balcon débordant de jasmin et de bougainvillée. Une brise légère en agitai les pétales, emplissant la pièce de leur senteur. Le soleil reflété par le canal en contrebas ondulait sur le parquet ciré.
Je vais monter cette histoire de mon mieux à partir de mes souvenirs, de ce que j'ai deviné et ce que, sans doute, j'ai inventé en la racontant encore et encore au fil des années.
Certaines pièces capricieuses me glissent entre les doigts comme un jersey de qualité ou se plissent sous mon aiguille comme un brocart. Il me suffit d'en lisser d'autres sur mes genoux pour les découvrir aussi légères et complaisantes qu'un vichy, aux lignes matérialisées par le fil que je tire entre les évènements - entre les mots. C'est ainsi que je vais commencer. (p 10)