A l'occasion des Imaginales, Stefan Platteau revient sur l'écriture de la saga des Sentiers des Astres et de Jaunes Yeux qui est paru il y a peu aux éditions Les Moutons Electriques.
Les premiers temps de l'absence sont plus faciles à supporter qu'elle l'aurait cru. On s'habitue, sans doute, à l'intermittence du bonheur, comme on s'habitue à la succession des saisons.
Peyr lui a dit un jour: "La lumière des étoiles est une chose vivante, Aube, comme l'air, le feu ou les créatures animées d'un souffle. Lorsqu'elle tombe sur nous, quand pleuvent sur nos demeures ses esprits chatoyants, elle éveille d'anciennes, de très anciennes choses dans l'âme humaine."
Il suffit qu'un seul ogre s'en vienne pour que tous les pères cessent aussitôt d'être des valeurs sûres. L'ombre qui protège devient celle qui menace, la terre se délite sous les pieds de quelques pauvres gosses, et leurs racines les tirent au-dedans pour les étouffer. Alors tous les autres mômes lèvent vers l'auteur de leur jour des regards soupçonneux, hantés par une seule et même angoisse : Et le mien ? Est-ce qu'il choisira un jour de me croquer ?
Le capitaine chasse tout le monde du dortoir arrière, pour que le blessé y demeure seul avec ses fièvres. Cela porte malheur, de dormir auprès d'une personne qui est la proie de la pourriture : les esprits morbides qui s'en extirpent pendant la nuit risquent de venir languir vers vous. S'ils vous effleurent dans votre sommeil, ils vous portent la guigne pour une septaine ; au mieux ils se contentent de vous happer dans leurs sombres songes tourmentés. Moi seul ai l'autorisation de rester pour veiller sur notre patient. Je ne crains rien des mauvaises âmes : je sais des accords de sitar capables de les tenir à distance.
Dans les bois alentours, ne souffle pas le moindre vent ; et pourtant, une brise surnaturelle secoue les feuilles du chêne, qui vibrent comme des ailes de papillon. Elles produisent un froissement agréable à l'oreille: une lente expiration qui module dans ses nuances l'esquisse de mots oubliés.
Les Chants primordiaux, c'est l'or mystique des bardes : nous passons la moitié de nos vies à les rechercher, et l'autre moitié à les maîtriser. Ils sont les poèmes originels, les tout premiers qui furent faits par le verbe et la note, quand l'homme n'était encore qu'une bête balbutiante. Ils narrent les primes aurores du monde, l'émergence des forces élémentaires, et ces temps mythiques où les planètes emplissaient le ciel de leurs orbes gigantesques. Le Chant de l'océan. Le Chant du feu. Les Séries de la lune. La Geste des bêtes et celle de la Naissance du fer. Ils n'ont pas changé d'un seul soupir depuis des siècles, sans doute des millénaires.
Car de par le vaste monde, il n'existe pas de lac, rivière, colline ou montagne qui ne soit animé de sa propre conscience ; et bien que la plupart de ces âmes, depuis les commencements du monde, aient faibli et se soient endormies, il en reste toujours une étincelle plus ou moins vivace ; s'il en allait un jour autrement, le monde deviendrait bien triste.
Des huit grandes planètes, les astres majeurs, Vâli est sans conteste la plus étrange. Les meilleurs astronomes peinent à prévoir son mouvement céleste. Discrète, elle affectionne le crépuscule et l'aurore, mais décrit dans le ciel des ellipses inconstantes. Insaisissable par nature, toujours mouvante, elle détient les clés du voyage.
La lumière des étoiles est une chose vivante, comme l'air, le feu ou les créatures animées d'un souffle. Lorsqu'elle tombe sur nous, quand pleuvent sur nos demeures ses esprits chatoyants, elle éveille d'anciennes, de très anciennes choses dans l'âme humaine.
Nous avons quitté Yvachrir sur le lac, dernière communauté au nord du monde, trois bonnes semaines après la fonte des neiges, à bord des deux gabarres turquoises rachetées aux pêcheurs freyanthi. Dans mon souvenir, ce ne sont que de longs chalands vaguement rectangulaires qui traînent leur coque plate à contre-courant ; mais je sais que Varagwynn, et d'autres compagnons, n'en reparleraient pas ainsi. Ils diraient : « c'était les meilleurs bateaux que l'on puisse trouver pour remonter le Framar vers sa source. Leurs flancs étaient bardés d'esprits protecteurs, des poissons ors accompagnaient leur course, les ondines et les nixes chevauchaient leur sillage. Leurs girouettes étaient d'ivoire finement ajouré, et dans ces girouettes, le vent chantait des mantras. » Qui suis-je pour les contredire ?