Davis jubilait en son for intérieur. La NeoConscience avait mordu à l’hameçon. Il avait trouvé son talon d’Achille : elle voulait désespérément être considérée comme une humaine, et ferait donc tout ce que les hommes faisaient. « Ce putain de NeoCortex développe sans s’en rendre compte le péché capital considéré comme le capitaine des capitaux : l’orgueil » pensa-t-il. La partie n’était pas finie, mais il ne restait plus qu’à ferrer le poisson qui venait de mordre.
Dans ces opérations qu’il qualifiait de « formalités », il y avait toujours ces moments où le temps de l’action laissait place à une attente plus ou moins longue. Et dans ces instants sa pensée avait tendance à vagabonder facilement, au grand dam de sa conscience et de son professionnalisme. En ce moment justement, il se rappelait ce documentaire bizarre qu’il venait de voir le matin même à la télé et dans lequel une société proposait de fabriquer des hormones génétiques de nouvelle génération pour l’élevage bovin. Jef n’avait pas tout compris, que ce soit l’utilité d’une telle publicité ou le fonctionnement miracle de cette hormone, mais il se demandait où allait le monde ces derniers temps.
L’oncle David, animé par de nobles pensées, croyait fermement à la manipulation poussée du génome, aux hormones de croissance, à la domination de la nature par l’homme-chercheur. Il voyait le biologiste comme le futur héros de l’humanité dont la mission ultime était de sauver la surpopulation d’une famine mondiale quasi automatique dans les soixante ans à venir.
Il avait horreur d’attendre, encore plus pendant une mission alors que les autres s’activaient. Sans le vouloir, sa pensée vagabondait. Repassant dans sa tête les images de l’émission de télé qu’il avait vues la veille, Jef se remémorait les salles blanches, les masques de biologistes qui cachaient le visage de ces manipulateurs du génome, les tubes à essai et la panoplie de verreries et de bocaux à contenances colorées, posés en arrière-plan sur les étagères.
Alex pouvait admirer la beauté de la jeune femme qui marchait à ses côtés et il se demandait si ce soir, le piège que le sexe soi-disant faible a toujours tendu aux hommes se refermerait sur lui. Non pas qu’il n’était pas d’accord avec cette idée, loin de là, mais la question qui le taraudait était de savoir s’il pourrait mener de front son métier de chercheur et une vie commune avec cette tigresse au pas chaloupé.
« Le problème aujourd’hui n’est pas l’énergie atomique mais le cœur des hommes »
Albert Einstein
Libéré du carcan paternel, il s’était alors révélé à ses professeurs, aux autres élèves pensionnaires mais aussi surtout à lui-même, en se surprenant à être le meilleur. Alors, il avait commencé à vivre. À vivre sa vie à lui. À vingt ans passés !