Citations de Stéphane Audeguy (130)
Les coups de foudre existent en amitié plus souvent qu'en amour.
Les gens du peuple comme ma mère ont beau n'avoir jamais étudié la sociologie, ils savent très bien reconnaître un système patriarcal quand ils en voient un ; surtout quand ce système les opprime. (p. 55)
Je creusai moi-même une fosse, en pleine terre, que je comblai soigneusement. Je semai sur elle des glands et la recouvris de feuilles, afin que son emplacement disparût à la vue de ceux qui sur la terre étaient censés être nos semblables. Je ne pleurai pas. Je ne me suis pas consolé. D'événements aussi funestes la philosophie, telle que je la conçois, n'est pas destinée à apporter une quelconque justification : laissons les religions proposer ces mensonges infâmes. Rien ne peut ni ne doit diminuer le beau scandale de l'existence, sa grâce et son horreur absolue, et surtout pas la mort.
Je n'ai pas connu ma mère: voilà ce qui pourrait être le -motto- d'un inceste surmonté. Et sinon quoi ?
J'en reviens pour finir, à son appétit de vivre. Sabine Julienne était l'un de ces êtres rares qui vous font comprendre qu'il faut beaucoup de temps, de ténacité, de fortitude pour parvenir à faire cette chose apparemment très simple : vivre sa vie. Et nous pouvons dire que c'est un véritable exploit. J'ai évoqué les conditions objectivement difficiles qu'elle a rencontrées, tout au long de son existence. En tant que femme, née en 1937, elle eut à lutter contre de lourds déterminismes sociaux pour accéder à une certaine liberté. Elle surmonta ces déterminismes autant qu'il lui était possible. (...)
Ma mère n'était pas un exemple. simplement une personne singulière, d'une joie et d'une puissance de vie admirables. Son souvenir m'accompagne. Qu'il accompagne le lecteur de ce livre, en lui faisant penser à d'autres êtres de cet ordre, et je serai content. (p. 147)
Mais il y a en ce monde trois immensités qui font battre le cœur des hommes et que rien ne prépare à voir : les montagnes, les mers, les cités. Yacine sentit, comprit, aima immédiatement la ville, ses tumultes, ses foules, ses odeurs composites.
Le lionceau s'endormit. Les humains se turent. La pirogue filait au ras des eaux, dans un étincellement d'écume. Yacine s'installa sur deux défenses et, sur ce lit d'ivoire étonnamment confortable, il s'abîma dans la contemplation des nuages qui défilaient au-dessus d'eux. Et ces signes intangibles et pourtant réels qu'aucune vie humaine n'épuiseraient jamais la vastitude du monde lui firent venir des larmes aux yeux.
Et Jean Dubois, qui avait en sa prime jeunesse dévoré tous les romans de chevalerie du vieux temps dans un poussiéreux cabinet de lecture du quartier Saint-Merri, où il avait grandi, se fit l'impression d'être un chevalier déguisé de la légende, flanqué de son lion fidèle ; quant à Hercule[*], petit, mais loyal et vaillant, il faisait un écuyer tout à fait acceptable.
[NB : cet Hercule est un petit bâtard adopté par le lion peu après sa naissance. L'histoire est véridique.]
Comme les acteurs n'avaient pas droit à une sépulture chrétienne et que la tradition voulait que la terre des cimetières fut consacrée sur une épaisseur de quatre pieds, un haut dignitaire de l'Eglise, peut-être un peu jésuite, suggéra qu'on creusât plus profond la fosse destinée à Moliere.
Et voilà ce dont je suis le plus fier, quand je jette un regard en arrière sur ce monde où bientôt je ne serai plus : j'ai vécu ma vie. Combien d'hommes ont-ils conquis le droit d'écrire cela ?
Je paraissais soixante ans, j'en comptais un peu plus de quatre-vingts. Je pensais ma mort prochaine, et j'espérais qu'elle me saisirait en bonne santé, n'ayant aucune appétence pour la souffrance.
"Comme les acteurs n'avaient
Pas droit à une sépulture chrétienne
Et que la tradition voulait
Que la terre des cimetières
Fut consacrée sur une épaisseur
De quatre pieds,
Un haut dignitaire de l'église,
Peut-être un peu jésuite,
Suggéra qu'on creusât plus profond
La fosse destinée à Molière ..."
La mort ne m'est rien d'autre qu'une fin absolue : je n'estime pas les plats raisonneurs qui prétendent paraître devant elle en sages. Je mettrai à la mienne les derniers feux de ma vie : cette joie que procure une existence accomplie, de la colère si j'en éprouve, de la peur s'il m'en vient.
À treize ans, et sans bien même le comprendre, Maximin de Saint-Fonds était entré dans cette confrérie secrète de ceux qui aiment trop les hommes pour ne point haïr l'Humanité.
Pierre va passer trente minutes en apnée puisque c'est l'un des plus grands mystères de la vie sociale que les êtres qui s'obstinent à parler à leur semblables de fort près, en leur tenant le bras d'une poigne solide , soient immanquablement affligés d'une haleine fétide, voire pestilentielle...
Le lecteur du présent ouvrage aura compris que pour moi rien n'a plus d'importance qu'écrire et aimer, qui sont les deux façons de dire : il était une fois. (p. 146)
Maximin grandissait en fils de grand seigneur : à quatorze ans il troussa des paysannes, pour honorer l'usage. Il ne tarda pas à découvrir qu'il aimait davantage à trousser les paysans.
Je n'ai pas écrit une ligne dans ma jeunesse. A dix ans, j'avais mieux à faire qu'écrire : je jouais par exemple, ou j'écoutais la nuit passer les trains (...) Ensuite j'ai trouvé mieux encore, du côté de l'amour et des arts. Quand j'ai donné un premier roman à publier à un éditeur, j'avais atteint l'âge de quarante ans. (...)
et puis je me suis épargné le ridicule des oeuvres de jeunesse. J'écris pour augmenter ma puissance de vie, et si cela augmente celle d'autres que moi, je m'en réjouis; le reste est littérature. (p. 72)
Il pourrait bien s'agir ici, justement, d'un tombeau. Ce fut après tout un genre littéraire. En un sens, j'ai toujours aimé les cimetières. On y apprend tout ce qu'il faut savoir des hommes et des nations, de leurs rêves de grandeur et de vie après la mort, de leurs hantises aussi, de leur terreur du néant. (p. 12)
Si les enfants sont bel et bien appelés à jouer, dès leur plus jeune âge, un certain rôle, s'ils se prennent d'ailleurs à ce jeu, ils développent aussi, évidemment, toutes sortes de façons de réagir aux missions qui leur sont assignées, de l'obéissance à la désertion la plus radicale. (p. 68)
[Les surréalistes] n’ont pas manqué de soutenir des criminels tels que Violette Nozière : contre l’idéologie dominante qui la présentait comme un monstre dénaturé, ils en firent une héroïne révoltée et une victime de la société bourgeoise, n’hésitant pas à publier un recueil de poèmes portant son nom.