Citations de Stéphane Bret (30)
Silvère fut bouleversé par le propos de son copain : ce grand pays, la France, capable de produire la bombe atomique, de construire de belles infrastructures de transport, d'électrifier ses lignes de chemin de fer, était dans la nuit de l'obscurantisme, et du déni en matière d'éducation sexuelle, de santé publique.
Alba, adolescent décidément critique et très perspicace pour son âge, avait ajouté qu'un nombre très élevé d'avortements clandestins avaient lieu en France, estimés à plusieurs centaines de milliers.
En fait ce qui caractérisait ces premiers mois de guerre, d'occupation ennemie, c'était surtout pour la population, la survenance d'immenses problèmes matériels de toutes sortes : les actes les plus ordinaires engendraient des difficultés monstrueuses...p.23
Aude c'était la prise de pouvoir de la vitesse dans la société, l'importance croissante des exploits et Initiatives individuels. Aude la couturière, la femme accoutumée aux contraintes de la précision, à l'harmonie des formes et des corps, par son métier, se surprit à être fascinée, transportée par la performance réalisée le 1er avril 1921 par l'aviatrice française Adrienne Bolland; celle-ci avait battu le record du monde féminin d'altitude en trois heures à bord d'un Caudron G.3, à Buenos-Aires quelques mois plus tôt ; elle était la première femme à traverser la Cordillère des Andes! Le 24 mai suivant, cette femme décidément hors du commun, récidive en réussissant la traversée du fleuve Rio de la Plata entre Buenos-Aires et Montevideo en avion à bord du même appareil, en moins de deux heures trente.
Et dire que Jeanne Chauvin, l'une des premières femme avocate d'avant-guerre avait dû subir les lazzis et moqueries hostiles des hommes en prétendant exercer ce métier...
Il eut le sentiment que l'on s'adressait à lui, intimement, personnellement, que l'auteur débusquait tous les faux-semblants derrière lesquels les hommes s'abritaient pour mieux dissimiler leur désarroi et les accompagner vers la réalisation de leurs désirs.
L'histoire fonctionnait-elle ainsi ? Par à-coups, par des phases de régression plus ou moins prolongées, ou d'ouverture et de renaissance ?
Ces deux femmes, chacune éclairée de sa propre expérience des gens de l’arrière, dont le rôle dans la victoire finale allait être plus tard reconnu, subodoraient ce tremblement de terre, ce soulèvement de plaques tectoniques ; la démonstration de l’égale aptitude des femmes à remplir des rôles traditionnellement dévolus à la gent masculine était faite. Il n’était pas question, mais alors pas du tout, de rentrer au foyer, d’enfiler à nouveau le costume de l’assistante, de celle qui reste éternellement dans les coulisses de l’histoire.
C'est cela aussi qui frappa Silvère au réveil : la nostalgie, cette tentation facile, était déjà éprouvée dans ce passé regardé comme plus agréable à vivre, plus harmonieux. Était-elle une compagne permanente de l'être humain, une bouée de secours à utiliser pour braver les forces contraires...
Extraits : « L’instinct de mort l’avait emporté ; il allait être le prélude à une dévastation matérielle, morale, physique. La fin d’une époque, la clôture d’un intermède marqué par des inégalités sociales, des conflits incessants, des inventions multiples, l’érection de nouveaux monuments, le placement des capitaux français à l’étranger. Les historiens la nommeront, avec le recul du temps La Belle Époque. »
Édouard Desprez put méditer sur les dernières observations du juge Nordmann. Qu’est-ce qu’être Français ? Il s’était posé la question longtemps. Cela prenait parfois trop de places dans sa vie, il le reconnaissait parfois, lorsque cette quête obsédante de l’identité allait jusqu’à mettre en danger son équilibre intérieur. Il s’était interdit l’exploration de certains horizons. Il ne s’était pas égaré hors des sentiers battus, qui lui offraient cette sécurité, cette quiétude à la source de sa conduite …
Il eut le sentiment que l'on s'adressait à lui, intimement, personnellement, que l'auteur débusquait tous les faux-semblants derrière lesquels les hommes s'abritaient pour mieux dissimiler leur désarroi et les accompagner vers la réalisation de leurs désirs.
...S. avait pu effectuer, en direct, un constat rédhibitoire : la pratique des chiffres, des courbes de croissance, des taux de rendement, mutilaient gravement un homme, s'il ne prenait pas l'infime précaution d'installer en quelque sorte un univers de sauvegarde, un escalier de secours en cas d'incendie, un monde dans lequel l'évasion et le plaisir n'avaient pas perdu droit de cité.
Se fondre dans la masse, observer l'anonymat des règles édictées par des inconnus, renoncer à la part de soi-même la plus précieuse, la plus créative, la plus émouvante. C'était l'impératif à atteindre...Être éduqué équivalait alors à mourir un peu.
...S. avait pu effectuer, en direct, un constat rédhibitoire : la pratique des chiffres, des courbes de croissance, des taux de rendement, mutilaient gravement un homme, s'il ne prenait pas l'infime précaution d'installer en quelque sorte un univers de sauvegarde, un escalier de secours en cas d'incendie, un monde dans lequel l'évasion et le plaisir n'avaient pas perdu droit de cité.
Farida était fière d'avoir réussi à aimer cet homme, et d'avoir réussi à tisser des liens à nuls autres pareils.
Ainsi, il exista pour Farida, jeune adolescente, un endroit emblématique, cristallisation de tous les rêves : Sidi Bou Saïd, sur une falaise surplombant le golfe de Tunis. Un lieu d’harmonie, de tolérances, reconnues par la bohème, par tous les individus avides de dialoguer, de se découvrir, de confronter leurs aspirations, leurs craintes. C’étaient Montmartre et Saint-Germain-des-Prés fusionnés, la possibilité d’une utopie…
Ce lieu magique fut, dès les premières années de la vie de Farida Ben Hamrouche un référent, un coefficient, très fort, de son équation affective et mémorielle. Farida eut la tentation de s’installer à cet endroit, mais elle estima que ce repli, vers cet endroit idyllique, ce lieu témoin de travaux pratiques sur les libertés humaines, l’empêcherait de jouer un rôle, d’apporter sa contribution à toutes les batailles qui s’annonçaient. Sa présence permanente à Sidi Bou Saïd n’était pas une option satisfaisante pour elle, qui admirait tant les personnages, historiques ou issus du commun des mortels, qui plaçaient leur présence au monde comme prioritaire dans leur combat. Ce village, que Farida gardait dans son cœur, pourrait servir de pôle de ressourcement ; il l’aiderait à se régénérer, à entretenir l’espoir. Il existait, tel un rappel bienfaisant de la pertinence de ses attentes. Il pourrait constituer, le cas échéant, un précieux refuge.
Mais les événements se mélangeaient, se bousculaient dans les colonnes des journaux, se télescopaient sans que l'on pût établir une hiérarchie sûre parmi eux, sans que l'on fût certain de leur véritable signification. N'était-ce pas le temps d'un relâchement, d'une vie moins marquée par les tourments, les privations, les aléas de l'adversité ?
Oui, la bourgeoisie avait failli, livré l'appareil productif à l'occupant nazi, avait honteusement collaboré. La France prolétarienne, au contraire, avait payé de son sang et de ses larmes son tribu à la libération du pays.
D’autres, plus réalistes ou plus cyniques, c’est selon, crurent voir en cette fin d'année 1962 un autre présage : celui du début d’une période au cours de laquelle la France déposait enfin les armes et allait entamer une phase de renaissance, en abandonnant l’art de la guerre près de quinze ans après ses voisins… L’espérance de tous n’était pas ajournée, ni vraiment démentie. L’Histoire lui avait accordé un sursis.
Retournez-vous discrètement et souvent, marchez à bonne distance, si vous remarquez que quelqu’un vous dévisage d’une manière trop insistante, quittez la rame juste avant le démarrage. Et courrez en sortant sur le quai. Faites attention au portillon automatique, aussi. Son franchissement au dernier moment peut vous sauver. Autre chose : les agents de la police ou ceux de la Gestapo portent souvent des cirés noirs. Méfiez-vous des Tractions-avant, elles peuvent être des voitures de flics, de mouchards. Ce sera tout pour cette fois. On vous recontactera plus tard, à votre travail, sous un prétexte superficiel, bien sûr…
Éprouvait-elle du dégoût, un soupçon de réticence à pénétrer cet univers, à impliquer sa vie d'une manière on ne peut plus voyante, dans cette démarche ? Anne Laroche ne se posait plus de questions depuis juin 1940, et jusqu'à preuve du contraire, il n'y avait pas de motifs fondés pour remettre ces orientations en question ; elles étaient efficaces, elles faisaient leurs preuves...
L'heure était à l'abandon, à tous les sens du terme.(p. 36)