L`entretien de Stéphanie Hochet avec Babelio : Sang d`encre
La phrase latine "vulnerant omnes, ultima necat" ("Toutes blessent, la dernière tue") est au cœur de votre roman. Que signifie-t-elle pour le narrateur ?
Le narrateur découvre cette phrase latine lors d`un voyage en Italie. Cette inscription se trouve sur les cadrans solaires de l’Antiquité, elle désigne les heures qui passent, le temps qui file et finit par tuer. Elle est frappante car assez mystérieuse : son sens n’est évident que si on sait où elle a été gravée. Mon narrateur est touché par ce mystère, la phrase écrite aurait-elle un autre sens si les pronoms « elle » ou « elles » désignaient autre chose que « le(s) heure(s) » ? Attiré par cette ambiguïté linguistique, il décide que c’est avec cet adage qu’il va profaner sa peau en se la tatouant sur le plexus solaire.
Le narrateur reste mystérieux tout au long du roman. Pouvez-vous nous le présenter en quelques mots ?
Pour un œil extérieur, ce personnage a sûrement tout d`un homme discret. Je donne libre cours à ses pensées (la narration à la première personne me facilitant la tache), mais il est du genre mutique. Il dessine pour la presse et pour son ami tatoueur Dimitri, personnage qu’il admire et craint tout à la fois. Il aime les femmes mais n’a jamais voulu s’attacher à l’une d`elles et à l’âge de 46 ans, il s’interroge sur ce qu’il laissera derrière lui.
Une partie du tatouage du narrateur s’efface au fil des pages. Partagez-vous avec le narrateur cette angoisse de ne rien laisser derrière vous ?
C’est une question à laquelle j’ai pensé en effet mais je la considère tout de même comme secondaire en regard de l’interrogation principale : « Suis-je en train de ne pas passer à côté de ma vie ? ». La question de la trace qu’on laisse est tellement angoissante que j’ai cessé d`y accorder trop d`importance.
"Les tatouages vous racontent le monde, les croyances des hommes" écrivez-vous dans les premières pages du roman. Qu`est-ce que nos usages du tatouage aujourd’hui disent de notre époque et de notre société, selon vous ?
Le « problème » de la plupart des tatouages actuels est qu’ils ne sont que l’expression d`une mode. C’est devenu une sorte d`accessoire. Ils perdent un peu de leur magie. J’essaie de ne pas généraliser mais peu de gens, me semble-t-il, considèrent aujourd’hui le tatouage comme un acte, un symbole transgressif ; il l’était encore il y a peu. A une époque, un tatouage signifiait « j’appartiens à tel clan, tel gang, telle profession (les marins ou les criminels par exemple) ». La société actuelle nivelle tout, les tatouages sont donc courants comme les pommes.
Certains lecteurs ont fait un rapprochement entre "Sang d`encre" et "Le Portrait de Dorian Gray" d`Oscar Wilde ou "Le Horla" De Maupassant. Quels étaient vos influences pour l`écriture de ce roman ?
Je n’écris pas consciemment avec mes influences, elles sont là sans que je les convoque. En relisant le manuscrit terminé, j’ai en effet repensé au Horla. Mais un autre texte de Guy de Maupassant m’a beaucoup marquée il y a quelques années : "La chevelure". Comme dans Le Horla, le narrateur prend un sujet comme point focal : les cheveux d`une femme découverts dans un vieux meuble, l’objet intriguant finit par l’obséder et crée sa folie. On a également cité Faust pour Sang d`encre, le personnage du tatoueur étant un être d`une ambiguïté quasi diabolique, cette analogie m’a flattée, et j’avoue avoir été fascinée par ce texte de Goethe. Le thème du mal revenant souvent dans mes romans, sorte de leitmotiv. Par ailleurs, l’érotique des hommes tatoués m’a été inspirée par les romans de Jean Genet que je relis assez régulièrement.
Votre roman est publié aux éditions des Busclats, qui demandent aux auteurs de faire « un pas de côté, d`écrire en marge de leur œuvre ». Comment avez-vous appréhendé cette contrainte littéraire ?
Je ne pouvais pas faire autrement que de m’engager dans une fiction, c’est ma nature. A la différence de mes précédents livres, j’ai opté pour l’analyse d`un point focal : le tatouage. Le livre commençant par la découverte de son symbole à travers les âges et les civilisations et évoluant vers une perception beaucoup plus personnelle de cette expérience corporelle, une expérience qui emmène le narrateur au-delà de l’expérience physique, le fait basculer dans un monde de questions sur les traces et l’oubli, le temps, la mémoire. J’ai resserré la composition, mais c’est sans doute un de mes textes les plus aboutis.
Vous avez en partie écrit ce livre à la résidence d`écriture de la Villa Yourcenar. Pouvez-nous en dire plus sur cette expérience ?
C’était ma première expérience en résidence d`écrivain. J’ai beaucoup aimé cet endroit pour son calme et le paysage autour. Marguerite Yourcenar enfant y a vécu et on ne peut qu’être émue quand on a lu Archives du Nord. Nous étions trois auteurs dont l’un venait de Roumanie. C’était des échanges très intéressants, une autre façon de vivre, un peu à l’écart, une découverte qui m’a sortie de mon quotidien.
Pouvez-vous nous donner quelques informations sur vos prochains projets ? Avez-vous déjà commencé à travailler sur un nouveau roman ?
J’ai écrit un essai littéraire mais le texte est en lecture chez l’éditeur, et je ne veux pas m’avancer sur une date de publication tant que l’éditeur ne l’a pas annoncée officiellement. J’aborde aussi la rédaction d`un futur roman et ce début comme tous les débuts littéraires est trop fragile pour qu’on en parle. Je creuse mon sillon.
Quel est le livre qui vous a donné envie d`écrire ?
Jean Cocteau qui est civilisé et élégant, simple en apparence.
Quel est l`auteur qui vous a donné envie d`arrêter d`écrire (par ses qualités exceptionnelles...) ?
Shakespeare vous sidère et a toutes les qualités mais ce n’est pas une raison pour se brider. Il ne faut juste pas se comparer.
Quelle est votre première grande découverte littéraire ?
Colette à l’âge de 9 ans.
Quel est le livre que vous avez relu le plus souvent ?
Les illuminations et Une saison en enfer de Rimbaud que je relis chaque été.
Quel est le livre que vous avez honte de ne pas avoir lu ?
L’homme sans qualité de Robert Musil. J’ignore pourquoi je remets à plus tard sa lecture.
Quelle est la perle méconnue que vous souhaiteriez faire découvrir à nos lecteurs ?
Peines de coeur d`une chatte anglaise d` Honoré de Balzac. Œuvre méconnue d`un génie.
Quel est le classique de la littérature dont vous trouvez la réputation surfaite ?
Paul Claudel
Avez-vous une citation fétiche issue de la littérature ?
Une mauvaise conscience peut rendre la vie intéressante : Sören Kierkegaard dans le Journal du séducteur.
Et en ce moment que lisez-vous ?
L`île de Tôkyô de Natsuo Kirino.
Découvrez
Sang d`encre de
Stéphanie Hochet aux
Editions des Busclats .

Entretien complet avec l'auteure à retrouver ici : https://www.web-tv-culture.com/emission/stephanie-hochet-eloge-du-lapin-53045.html
Depuis 2001, avec « Moutarde douce », Stéphanie Hochet s'est installée en librairie, avec des romans dans lesquels elle a pu exprimer son écriture et ses centres d'intérêt. « Les infernales », « Sang d'encre », « L'animal et son biographe » ou plus récemment « Pacifique » font partie d'une bibliographie déjà conséquente dans lesquels elle n'hésite pas à bousculer les codes, à interpeller, voire déranger le lecteur. Elle aime sortir des sentier battus et se définit elle-même comme une écrivaine exploratrice.
Depuis plusieurs années, Stéphanie Hochet a aussi à coeur de partager ses compétences littéraires par des ateliers d'écriture, auprès de lycéens et d'étudiants.
En 2014, après neuf romans, elle avait fait un pas de côté en publiant un court essai, « Eloge du chat », qui recensait l'évolution de la perception de cet animal au fil des siècles et sa présence dans l'art et plus précisément la littérature. Ce livre avait connu un joli succès de librairie.
Dans le même esprit, voici « Eloge du lapin » aux éditions Rivage. Et quelle jolie réussite que ce livre ! « le lapin qu'est-ce que j'en ai à faire »
Telle sera peut-être votre première réaction. Alors laissons vous tenter par l'aventure et ouvrez ce livre. Vous aussi, vous allez être conquis. Comme elle l'explique dans les premières pages, par son histoire personnelle, l'écrivaine a un lien fusionnel avec cet animal. C'est ainsi qu'elle a eu envie de raconter l'importance de cette petite boule de poils dans le quotidien des humains. de l'Antiquité à nos jours, en peinture comme en littérature, cité dans de nombreuses expressions populaires, affublé de préjugés allant de la couardise à l'espièglerie, le lapin est partout. Appuyée par de sérieuses références, ne dédaignant pas de jolis moments touchants ou drôles, Stéphanie Hochet nous rappelle aussi la complexité du lapin, à la fois l'ami des enfants tout en étant aussi l'objet de nombreuses références sexuelles, du Pierre le lapin de Béatrice Potter au logo du magazine Playboy.
L'intérêt de ce livre, au-delà d'apprendre mille et cent choses sur l'animal, est aussi de se lire comme un roman. C'est une oeuvre littéraire à part entière dans laquelle on retrouve avec plaisir la patte de l'écrivaine.
Livre de combat puisqu'il est aussi l'occasion de rappeler que le léporidé est en voie de disparition, ce formidable ouvrage nous prouve enfin que le lapin a de nombreux points communs avec l'espèce humaine. L'occasion peut-être de changer notre regard sur ce petit animal.
« Eloge du lapin » de Stéphanie Hochet est publié aux éditions Rivages
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