Lorsque Abeille mettait les pieds dans le bar, personne ne se retournait vraiment, les palabres ne s'arrêtaient pas, mais quelque chose, imperceptiblement, devenait différent.
Madeleine Grévin, pour Abeille, n’était plus depuis longtemps que le nom d’un gâteau au chocolat. Lorsqu’elle se rendait chez ses parents, à Rennes, et qu’après avoir longé l’allée de chênes, après avoir enfoncé ses talons aiguilles dans les petits cailloux blancs, après avoir gravi les longues marches de granit et franchi l’imposante porte vitrée, elle entrait dans la grande
maison familiale, elle pouvait enfin s’écrier « Hum ! Ça sent le gâteau de Madeleine Grévin ! »
C’était devenu un nom commun : le gâteaudemadeleinegrevin. Cette odeur et le nom de ce
simple dessert étaient une sorte de mot de passe venu de l’enfance qui permettait d’accéder au monde de ses parents. Ensuite seulement, elle allait les embrasser. Depuis son départ de la maison, Ingrid préparait sans faute la recette lorsque Abeille venait les voir. Ses frères et sœurs, qui habitaient non loin de là, appréciaient ce singulier rituel. Si l’un d’eux était de passage, il pouvait deviner la venue de la petite dernière rien qu’à l’odeur qui régnait dans la maison et lançait alors irrémédiablement : « Tiens ? On attend Abeille ? »
Le courriel provenait de madeleine.grevin@ et il était destiné à Miss Stanford Detective. Madeleinegrevin, sans le gâteau, c’était un bout de mot. Un fantôme. Un souvenir que l’on ne pouvait plus évoquer tant son objet était lointain. Pourtant, Madeleine Grévin c’était la première amie, l’alter ego des premiers pas, la jumelle d’école. C’était la première compagne.
Abeille relut le message plusieurs fois et ne retint longtemps que cette phrase : Je voudrais
que tu recherches ma mère.
Là où sont tes pieds commence le voyage
Qu'espérais-tu ? Tu voudrais être l'origine du monde mais tu n'es l'origine de rien. Maintenant, tu voudrais que ça lâche. Tu attends que le sang coule.