"Ce dont nous avons besoin, ce n'est pas de "savoir" la vérité, mais de l'apprendre. Non pas d'avoir une conception intellectuelle, mais de trouver le chemin qui conduit à l'expérience intérieure irrationnelle et peut-être inexprimable en mots. Voilà le grand problème."
(Jung. L'âme de la vie)
L'homme moderne a évidemment soif de sens, et la voie de l'individuation lui offre un chemin qui mène à la source secrète. S'il parcourt ce chemin, il pourra s'abreuver et voir enfin monter en lui un sentiment sacré qui saura donner un sens à toute la réalité de son existence. Sa béance pourra se refermer et alors les racines de son être retrouveront leur terre. Icare ne peut indéfiniment tenter de voler de ses ailes artificielles vers le soleil sans que son destin ne soit la chute libre et l'écrasement.
Les deux options demeurent donc possibles : reprendre contact avec le tout-soi-même, avec notre inconscient, et ainsi réaliser notre sens divin par notre vie consciente ou, poursuivre l'envolée vaniteuse et inconsciente de l'individualisme moderne, et de même s'acheminer vers une catastrophe certaine.
Les expériences du Soi, ou de l'image de Dieu, se transforment donc avec les époques et,avec elles, les nouvelles exigences de l'évolution de la conscience et de la psyché. Le Dieu chrétien doit maintenant naître dans l'individuation d'hommes et de femmes singuliers. Et c'est précisément à ce niveau que se situe l'apport de la mystique eckhartienne.

Il y a une différence importante entre ce qui constitue l'inconscient selon Freud et selon Jung, et l'élément prépondérant de cette différence est la notion jungienne d' "inconscient collectif". Pour Freud, l'inconscient est constitué de pulsions physiologiques innées, ainsi que de désirs et de souvenirs personnels et refoulés. Pour Jung, d'une part, l'inconscient est constitué d'un bagage d'éléments qui s'est développé dans le rapport entre l'individu et le monde extérieur: c'est ce qu'il nomme l'inconscient personnel. On peut considérer celui-ci comme embrassant approximativement -mais dans une dynamique différente- l'essentiel de l'inconscient freudien. D'autre part, il est constitué de cette sphère psychique innée plus profonde qu'il nomme "inconscient collectif" et dans laquelle se trouvent aussi les pulsions physiologiques innées. Or l'inconscient collectif est constitué de deux choses : de tous les instincts et de leur s équivalents psychiques nommés par Jung "les archétypes". Avec ses mots, il dit : "Pour (Freud), l'inconscient est essentiellement un appendice de la conscience dans lequel s'entassent toutes les incompatibilités. Pour moi, l'inconscient est une disposition psychique collective de nature créatrice."

Pour Jung, quoiqu'elle puisse faire oeuvre de rédemption, l'expérience religieuse ne prouve pas pour autant l'existence d'un "Dieu métaphysique" : elle est une expérience psychique et ne peut être scientifiquement observée sous cet angle (...).
L'expérience religieuse est donc une expérience intérieure immédiate dont la seule source certaine est cet inconnu psychique intérieur que l'on nomme inconscient". Conséquemment, puisque l'inconscient est de nature psychique, l'expérience religieuse ne peut être vécue qu'en tant que phénomène psychique. Cette manière de concevoir la connaissance est, chez Jung, tributaire de kant.
Jung raconte que vers l'âge de dix sept ans, la découverte de la théorie de la connaissance de Kant avait été pour lui une illumination. C'est donc sur celle-ci que, par la suite, il fonda ses idées religieuses: "Pour ce qui est de la théorie de la connaissance, je m'en tiens au fondement kantien selon lequel un énoncé ne pose pas son objet. Quand je parle de "Dieu", je parle donc uniquement d'énoncés qui ne posent pas leur objet. (...). La validité de tels énoncés n'est par conséquent jamais de nature métaphysique, mais toujours de nature psychologique."

Ainsi, la distinction principale entre ces deux types d'union mystique est que, pour la "participation mystique", elle est le résultat d'une identification inconsciente du sujet avec le monde extérieur et que, pour la mystique médiévale, elle est le résultat d'une identification inconsciente du sujet avec l'inconscient.
Malgré cette différence, nous pouvons identifier deux caractéristiques communes à la participation mystique et à la mystique médiévale : dans l'expérience d'union de chacune, d'une part, est vécu un sentiment d'unité de l'être et, d'autre part, le moi s'y trouve assimilé. De fait, pour Jung, la participation mystique autant que l'expérience mystique médiévale font que le "moi (...) se retrouve confondu dans le rapport universel mythico-dynamique. (...) C'est la plongée dans le "courant et la source." Pour la participation mystique, la plongée dans le courant et la source est vécue avec l'unité du monde intérieur.
Bref, l'archétype est le modèle "instinctif" du comportement psychique. De même, chez un individu sain, l'archétype s'active dans le temps selon l'ordre de son développement psychique naturel. autrement dit, de manière analogue au corps où les instincts d'un individu entrent en scène au gré de son développement corporel (sain et naturel), les archétypes s'activent au gré du développement psychique normal. Lors d'un développement normal, chaque archétype motive à point nommé les transformations psychiques nécessaires au développement de la nature humaine. L'archétype a donc une fin première: le développement psychique naturel.
Dieu et homo est donc la voie d'une union équivalente entre l'aspect divin et l'aspect humain, entre l'inconscient et la conscience, entre l'aspect aspatio-atemporel et l'aspect spatio-temporel.

L'esprit chrétien -voulant historiquement à tout prix se libérer des pulsions irrationnelles et de l'animalité barbare- a réussi à travers les siècles à se scinder en deux, à s'identifier essentiellement avec sa faculté rationnelle, faisant ainsi de l'homme occidental un être bipolaire, divisé. L'occidental s'est identifié à sa faculté rationnelle, et s'est ainsi divorcé de ses pulsions irrationnelles, de son inconscient. L'homme moderne occidental a donc hérité d'une hypertrophisation de sa faculté rationnelle.
L'histoire de l'esprit oriental s'est tout autrement dessinée : son développement n'a pas produit une telle dissociation psychique entre irrationnel et rationel, car l'Orient n'a jamais cultivé de tels rapports discriminants au sein de sa psyché. Pour les orientaux, la réalité première de l'expérience humaine n'est jamais l'égo, le je ou le moi -ce complexe est pour eux une illusion ! Leur existence leur paraît plutôt fondamentalement ancrée d'abord et avant tout dans la source du tout psychique, le Soi. La première réalité, La Réalité, est pour eux ce fond psychique qui soutient notre existence, ce fond incommensurable et irrationnel. Ce Soi est la condition principale et unique de l'existence : c'est de lui que naît l'être, et c'est lui qui le soutient. (...)
Ainsi, l'esprit oriental se situe à prime abord dans la perspective du Soi, de l'unité conscient/inconscient.

Pour résumer ce chapitre: le moi est le centre de la conscience, et les limites de la conscience sont définies par le champ de perception du moi. Hors de ce champ de perception se trouve l'inconnu. Celui-ci se divise en deux: l'inconnu au-delà des sens qu'est le monde extérieur, et l'inconnu psychique qu'est l'inconscient. L'inconscient est donc défini par tous les contenus et processus psychiques qui ne sont pas conscients. L'unité psychique que forment la conscience et l'inconscient est la psyché. L'inconscient, quant à lui, se divise en deux instances : l'inconscient personnel constitué du bagage d'éléments qui s'est développé dans les rapports de l'individu avec le monde, et l'inconscient collectif constitué des contenus innés que sont les instincts et les archétypes. De même que les instincts sont des formes a priori de comportements psychiques. De la sorte, les archétypes sont actifs tout au cours du développement psychique de l'individu. L'inconscient collectif est aussi apte au fonctionnement autonome du système psychique. La libido selon Jung est l'énergie se trouvant au sein de la psyché d'un individu. Cette énergie tend vers la stabilité et ce sont les relations de mouvements crées par cette tendance qui déterminent l'ensemble des phénomènes psychiques. Il y a donc entre le conscient et l'inconscient, un continuel échange d'énergie.