-… Je suis bizarre, c’est vrai. Mais, je suis qui je suis et ça ne me gêne pas. La vie est courte, lui dit-il. Je pourrais vivre ma vie en essayant d’être parfait, d’être à la hauteur des attentes de tous ceux que je rencontre, mais ça me rendrait fou. Je serais malheureux et un crétin. Je laisse donc la plupart de ces choses me passer au-dessus de la tête.
On n’y pense pas tellement au jour le jour, mais quand on en a le plus besoin, on sait simplement au fond de nous qui nous défendra quand les choses tournent au vinaigre.
-… Je veux ce que tu n’as pas donné aux autres. Je veux tes espoirs et tes rêves. Tes peurs. Tes imperfections et ta passion… tout comme je veux te donner les miens.
Ce qui aurait dû être un aller-retour rapide pour la récupérer s’avéra être tout le contraire.
Elle savait qu’elle était trop sur la défensive. Trop rapide à juger…
Il est réconfortant de savoir que, quand quelqu’un disparaît, il y a des gens pleins d’empathie, comme vous tous, qui s’en inquiètent et veulent les ramener chez eux. Comme vous pouvez le voir, je vais bien. Je n’ai jamais été kidnappée et je suis désolée que mon frère l’ait cru, ne serait-ce qu’une seconde. Je me suis cogné la tête dans l’accident et, apparemment, je me suis éloignée, hagarde, en quête de secours. Je me suis effondrée et j’ai été découverte par mon amie, Allye Martin. Quand je me suis réveillée et que j’ai compris ce qui se passait, il était trop tard et mon frère, déjà paniqué, avait informé tout le monde de mon kidnapping. Mais je vais bien. Je suis saine et sauve.

Pourtant, la pensée d’avoir quelqu’un de son côté qui lui donnait la sensation de n’être pas aussi seule était trop puissante pour qu’elle y résiste. Elle n’avait pas fait confiance à qui que ce soit depuis très longtemps, mais Ro ne venait-il pas de lui prouver qu’on pouvait se fier à lui ? Au moins un petit peu ? Elle savait qu’il pouvait très bien lui passer de la pommade en cet instant pour mieux la jeter ensuite en pâture au lion, seulement elle n’avait pas d’autre choix.
Faisant fi de la prudence, Chloé prit une profonde inspiration et chuchota :
— Non. Je ne suis pas ici de mon plein gré.
L’expression sur le visage de Ro demeura inchangée. Le seul signe lui indiquant qu’il l’avait entendue, ce furent ses doigts qui resserrèrent leur emprise sur sa tête l’espace d’une seconde.
Puis il approcha la sienne et effleura tout doucement ses lèvres des siennes.
Chloé sursauta à ce contact. On aurait dit qu’elle venait de se faire électrocuter. C’était fou, parce que le baiser de Ro avait été léger, sans rien de sexuel. Mais à la seconde où elle sentit ses lèvres, quelque chose changea entre eux.
J’ai l’impression que bien trop de gens ont pris des décisions à ta place et que tu n’as pas eu assez l’occasion de décider par toi-même, du moins publiquement. Je t’ai dit qu’on devait parler, qu’on doit tout savoir sur ton frère et ce que tu sais sur ses affaires, notamment quelles peuvent être ses motivations. Mais en retour, tu devrais être informée de tout ce que nous savons.
Elle n’était pas partie.
Et pas seulement ça : elle dormait.
Elle dormait.
Il savait mieux que personne que les femmes en fuite, ou qui avaient été violentées, dormaient rarement à poings fermés. Elles étaient nerveuses et à cran, ce qui leur interdisait de dormir profondément.
Mais le fait que Chloé ait continué à dormir alors qu’il l’appelait, ouvrait et fermait des portes et, plus globalement, ne se soit pas montré tellement silencieux pendant qu’il explorait sa maison en disait long.
Combien de temps resta-t-il là, à la regarder dormir ? Ro n’aurait su le dire. Ce fut son téléphone qui, en sonnant, le contraignit finalement à bouger. Il s’empressa de le récupérer dans sa poche, mais pas assez vite pour l’empêcher de déranger Chloé.
J’espère que tu décideras de me faire confiance. Je pense ce que je dis. Je ne te ferai jamais de mal et je ferai aussi tout ce qui est en mon pouvoir pour empêcher autrui de t’en faire. Mais comme mes amis me l’ont dit, la confiance n’est pas quelque chose qui peut être imposé, c’est quelque chose qui doit être donné volontairement. J’espère que tu prendras le temps de te relaxer. D’avaler des antalgiques. (Ses yeux allèrent se poser sur les cachets toujours posés sur la table de chevet.) Tu en trouveras de semblables dans mon armoire à pharmacie, dans leur emballage d’origine. Tu peux choisir ce que tu penses le plus efficace pour toi. Trouve-toi quelque chose à manger, regarde la télé, fais ce que tu veux.