Citations de Suzanne Citron (15)
EXTRAIT DE LA PRÉFACE , consultable sur le site par l'intermédiaire de l'aperçu de lecture proposé :
En 1987 , Année de la première édition de ce livre , la France officielle de Jacques Chirac et de François Mitterand célébrait " Le millénaire de Hugues Capet " . Quatre ans après le tonnerre de l'élection de Dreux , qui avait vu la victoire du FN au scrutin municipal , le discours du parti frontiste désignant " Les immigrés " comme responsables de tous nos maux se répercutait de façon préoccupante dans la société . C'était l'année " du point de détail " de Jean-Marie Le Pen ( qui bien que moins borgne n'y voyait que d'un œil ) . C'était aussi un temps d'espoir : les " Beurs " , première génération d'enfants d'immigrés nés en France , organisaient la marche de 1983 à la suite des affrontements de Vénissieux et pouvaient devenir les contributeurs d'une nouvelle manière de penser l'histoire de France et la nation .
Répression de la Commune, affaire Dreyfus, mutineries de 1917, massacres de Sétif en mai 1945, tortures en Algérie, combien de temps aura-t-il fallu pour que « l'histoire » élucide ces secrets et pour qu'ils entrent dans une logique d'explication qui casse les tabous et cesse d'être une logique d’inculcation ?
Cette histoire (de France) reste celle de l'État unitaire et de sa légitimité et, en aucune manière, celle de la société civile pluriculturelle. Dans cette histoire, telle que l'avait voulue l'école méthodiste et lavissienne, point de passé pour les Occitans, les Bretons, les Béarnais, les Basques, les Corses, les Savoyards, les Alsaciens, pas de place pour une identité antillaise avec en toile de fond de la traite et l'esclavage, pour une mémoire juive, protestant ou pour celle des immigrations.
L'absence, en France, de l'idée que l'histoire a une "histoire" est flagrante. Nous croyons à l'histoire avec un grand H. Pourtant, le passé se transmet sous des habillages qui varient avec les époques. La configuration d'un récit est marquée d'empreintes idéologiques fluctuantes, de coloration imaginaires. Nulle explication ne reflète jamais complètement son objet. L'histoire de France reste, pour la plupart des Français, ce qu'elle était à la fin du siècle dernier : à la fois science et liturgie. Décrivant le passé "vrai", elle a pour fonction et pour définition d'être le récit de la nation : histoire et nationalisme sont indissociables. Au XIXe siècle, la nation devint l'être historique par excellence, autour duquel s'organisa le passé supposé intégral.
La crise de l'identité nationale ne peut être dissociée d'une crise de la culture "républicaine", qui se manifeste par des références abusives à l'exceptionnalité de la nation et par l'usage incantatoire du mot "République". L'imaginaire historique forgé au XIXe siècle sous-tend des nationalismes et des souverainismes mystificateurs.
L’histoire de France traditionnelle nous a masqué le caractère « multinational » du royaume de France. Le mythe des ancêtres Gaulois revenait à dire que tous les Français avaient la même origine par le biais d’un ancien peuple, parlant une même langue, ayant les mêmes coutumes. On gommait ainsi plus de mille ans de brassages ethnique, culturel et politique !
La crise de l'identité nationale ne peut être dissociée d'une crise de la culture "républicaine", qui se manifeste par des références abusives à l'exceptionnalité de la nation et par l'usage incantatoire du mot "République". L'imaginaire historique forgé au XIXe siècle sous-tend des nationalismes et des souverainismes mystificateurs.
Je continue de penser que la capacité à dépasser la révérence passionnelle et à traiter la Révolution comme un objet historique et non plus comme l’avènement michelétien (de Michelet) reste une nécessité vitale pour une Gauche en quête d’elle-même mais pour une France qui n’a aucune raison de se penser comme le pays des droits de l’homme.
"Dans une France sans commencement l'histoire des « autres » n'existe pas Les repères, les événements, l'« ordre chronologique naturel » mettent en scène un personnage, la France, présente « des origines à nos jours », suite de sketches dans lesquels un passé lointain entremêle Gaulois, Romains et Francs mais où Basques, Occitans, Bretons, Béarnais, Corses, Antillais, juifs... n'ont aucune épaisseur historique. Les « autres » n'existent qu'en tant qu'ennemis : Arabes de Charles Martel, Saxons de Charlemagne, Normands pilleurs, Turcs sacrilèges, Anglais, Bourguignons, Espagnols, Autrichiens, Allemands. "
" l'ordre chronologique naturel"....l'essence de la France continue de précéder l'existence de chaque Français et l'histoire de chaque"Français " n'est que celle de la "France".p 84
École gratuite obligatoire, innovation capitale, imposa le français comme langue unique, et le récit d'un passé commun depuis Vercingétorix. Construite pour légitimer les victoires d'un État identifié à la « nation », l'histoire mettait en place des repères les deux repères constitutifs de l'identité nationale : la Gaule comme origine, la Révolution comme deuxième naissance.
Ancrée dans une révolution célébrée comme un "bloc", la culture républicaine croise un idéal des droits de l'homme avec universel abstrait, négateurs des singularités. La République confondue avec l'État, parce que les républicains en avait pris le contrôle, s'est glissée dans une administration napoléonienne, centralisée, hiérarchisée et cloisonnée, sans prise sur les réalités complexes et qui ne défend pas suffisamment les faibles.
Les historiens républicains de l'école méthodique opèrent la grande synthèse, pour eux scientifique, de la France des origines à nos jours. La Gaule au surgissement indéterminé y préfigure la métropole hexagonale. Les rois capétiens "font la France", une France en latence sous les deux premières dynasties. Par la Déclaration des droits de l'Homme, la France devient messagère de l'humanité et la guerre révolutionnaire fusionne défense de la nation et défense de la liberté. L’institutionnalisation de la République après l'humiliante défaite de 1871 accomplit enfin pleinement la Révolution.
Parce que, pour les révolutionnaires, les Francs étaient les ancêtres supposés des nobles, et parce que par leur culture, inspirée par l'Antiquité, il est considéré comme des "barbares" Germains, l'historiographie républicaine eu tendance à gommer le fait que France et Francs appartiennent à la même famille de mots.
Sans se laisser empêtrer dans la raison d’État, elle n’occulterait pas les dénis qui parsèment l’histoire de France comme celle des autres, ce qui n’a rien à voir avec la repentance. Rompant avec la logique linéaire du même, elle décrypterait dans les processus le différent dans le semblable, le multiple dans l’Un, les convergences et les confrontations entre l’État dans ses figures successives et les Français dans leurs diversités sociales, idéologiques, culturelles.