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Citation de Charybde2


Dans sa préface pour le premier livre de Svetlana Alexievitch La guerre n’a pas un visage de femme, publié en Union soviétique en 1985, Ales Adamovitch, un écrivain biélorusse fort estimé d’elle, dit une chose bizarre : « Le livre de Svetlana Alexievitch illustre un genre qui n’a pas été défini et qui n’a même pas de nom. En réalité, ce genre a un nom bien concret, c’est le témoignage. Mais c’était une époque où la loi du silence, quasi totale, et l’autocensure, bien musclée, ne laissaient apparaître que les premières fissures dans leur bloc monolithique. Svetlana Alexievitch est précisément l’écrivain qui, à l’époque où l’on passait des premiers balbutiements timides à l’hallali général, a osé violer un des derniers tabous : elle a démoli le mythe de la guerre d’Afghanistan, des guerriers libérateurs et, avant tout, celui du soldat soviétique que la télévision montrait en train de planter des pommiers dans les villages alors qu’en réalité, il lançait des grenades dans les maisons d’argile où les femmes et les enfants étaient venus chercher refuge. Comme Svetlana le souligne elle-même, l’Union soviétique est un État militariste qui se camoufle en pays ordinaire et il est dangereux de faire glisser la bâche kaki qui recouvre les fondations de granit de cet État. Le premier extrait des Cercueils de zinc venait à peine de paraître (…) que Svetlana recevait déjà une pluie de menaces. (…) Qu’avait-elle fait ? Elle avait privé les jeunes gars revenus de la guerre de leur auréole d’héroïsme, elle leur avait ravi leur dernier refuge, la sympathie de leurs concitoyens. C’était même bien pire : ces garçons qui avaient été happés par le hachoir de la guerre, qui avaient perdu leurs amis, leurs illusions, leur sommeil, leur santé, qui étaient devenus incapables de se refaire une vie, ces gamins souvent estropiés physiquement, étaient devenus aux yeux de leur entourage, et cela dès le premier extrait paru dans la presse, des violeurs, des assassins et des brutes. Cette femme de quarante-deux ans aux allures de paysanne les envoyait de nouveau en première ligne en les exposant au feu croisé des horreurs du passé et de l’indifférence du présent… Ces héros forgés par le mythe de l’empire, qui s’étaient battus au nom d’une amitié mythique, pourraient peut-être continuer à vivre tant bien que mal s’ils étaient toujours protégés par l’Étendard, même malmené. Mais c’était dorénavant impossible. (Dimitri Savitski, Préface à l’édition de 1990)
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