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Citations de Sylvain Coher (102)


A cent quarante, Anton perd la sensation physique du sol sur lequel les deux rubans de caoutchouc des pneus Supercosa gonflés à bloc le maintenaient jusqu'alors. Il doit se reprendre pour ne pas se redresser brusquement en criant à pleine gorge les bras grands ouverts le slogan du constructeur anglais : Go Your Own Way ! Au lieu de cela Anton relâche les épaules et derrière la visière dans les reflets irisés on peut le voir sourire avec cette incroyable légèreté qui fait de lui l'hirondelle des jours de pluie. L'âme vagabonde, un trait noir évanescent qui dessine hâtivement le contour des champs et la périphérie enrubannée de la ville. Une hirondelle voltant et piquant d'une abatée sur l'aile ou sur la queue. Spirale, vrille, boucle et retournement.
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La Manche, c'était autre chose. Une eau de lessive, un fond d'évier. Avec ça, une perpétuelle odeur de marée basse et des moisissures venues des fonds croupis où la vase fermente et macère. Le Petit la regardait venir et repartir, avec cet air méfiant qu'il pouvait prendre en d'autres circonstances. Au nord, la mer est aussi grise que les gens, songea-t-il.
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Nos femelles pissent debout comme les mâles et, comme eux, elles deviennent plus grêles et plus courbes que des clous de taquier. Leurs mouflets sont les gniards de tous, faut avouer que personne à bord s’ennuie assez pour compter les bâtards – à quoi bon, corbleu, puisqu’ils s’éclipsent sans arrêt, le cul à l’air et la morve au pif. Une marmaille chétive élevée au lait de baleine, au bouillon d’algues, au sperme de morue, au sang des sardines que les daronnes égorgent à l’aplomb des becs entrouverts. Le goutte-à-goutte fait rougir les babines, il dégouline en sinuant sur les bedons maigrichons, pouah, le Ghost fait le frai et les gosses poussent comme ils peuvent, selon les aléas de la bonne étoile. Chaque nuit qui vient est un anniversaire de plus et nos béquillards ont parfois tout juste la voix qui mue
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Plusieurs fois dans la nuit, ils avaient entendu le hurlement lugubre d'une sirène. Sans pouvoir la situer précisément. Parfois, elle semblait venir vers eux. Ils évoluaient à l'aveuglette au beau milieu des méthaniers et des porte-conteneurs perceurs de vagues, filant vingt-cinq nœuds avec sur le dos l'empilement standardisé d'un gigantesque jeu de construction. Avec ça, l'eau calme était d'un vert algueux qui la rendait étrangement lumineuse. La houle couvait sous le joug pesant d'une mer d'huile et le soleil de donnait guère plus qu'un bricolage filamenteux.
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Ils avançaient, roulaient ou glissaient tandis que l'aube blafarde les repoussait vers la nuit du large. Regarder l'eau filer leur offrait toujours le même sentiment trompeur de vitesse, qu'ils ne retrouvaient pas en observant la côte. Pourtant, la longue trace du sillage était bien nette à la surface. La lumière du jour naissant blanchissait la mousse et l'éparpillait derrière l'annexe, à la traine comme un chien en laisse.
Devant eux, les petites vagues se dénouaient en frisottant contre l'étrave et couraient le long de la coque avec l'insouciance d'un rire enfantin. Venu de nulle part et illuminé comme une barre d'immeuble, un ferry gigantesque leur coupa la route pour rejoindre le port. Sa vitesse dépassait largement la leur. Ses vagues rapprochées firent gigoter Shangevar comme un jouet en polystyrène.
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Ça fait un bail que la Mer-océane a brisé ses chaînes et, depuis lors, Mirovia s'épanche pire qu'une larme sur l'ongle d'un pouce. Vous autres, Pousse-cailloux, vous avez crapahuté en catastrophe sur vos abris côtiers en nous abandonnant ce qui barbotait à l'entour. Et pour peu que le niveau grimpe encore, croyez-moi, pour rien au monde je troquerai le Ghost contre un cadastre de quatre sous.
Quant à savoir pourquoi toute la flotte contenue dans la terre s'est retrouvée d'un coup sur la terre, ça reste un sacré mystère et chacun y va de sa marotte, de son crobard et de ses aïeux.
C'est comme ça depuis que la coquille s'est craquelée, depuis qu'elle a rendu les eaux, la garce rincée par les cataractes. Depuis qu'elle s'est laissée submerger, anéantir en moins de deux, noyer sous le poids des fluides qu'elle couvait comme une cloque trop tendue, un abcès à solder. D'une portée à l'autre, on se refait l'histoire comme si on en était encore à se demander où ça montera. On échafaude, on brode en point de bouclette pour se punir comme on peut et quand on disserte de l'Inondoir, les ceusses qui geignaient se mettent à branler du chef comme les otaries des eaux froides. Orphelins flottants, on cultive les hypothèses et la repentance. On vaut moins que rien et pire que tout – rarement mieux.
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Le joli mot viande aiguillonne le gosier mieux qu'une toux sans glaires et le joli mot viande génère un vrai tourbillon de salive qu'on déglutit en petits glaviots mous. Faut bien se faire les bajoues, tenez, car depuis la dernière sucée, depuis la première perle carminée volée au téton maternel, on pense plus qu'à ça. La vider proprement des viscères puants et bien faire sécher la viande, selon la procédure ad hoc, embosser le sang fouetté dans un boyau rincé à l'eau salée et puis racler le cuir, les élastiques nerveux et le gras inutile, découper des lanières assez fines, les couvrir de sel et les offrir au vent-brûlant pour que le maigre puisse durer ce qu'il faut. De fins festons qu'on laisse fondre sous la glotte, en plissant les paupières.
Un vrai frisson d'extase.
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Petit Roux s'accroche à l'esquif en tenant son cap au cordeau, en s'appliquant à faire passer par-derrière ce qui vient par-devant. Il devine les prémisses du cordon brumeux, la rognure d'ongle arquée vers l'est et les bigleux peinent à mettre les gris dans le bon ordre. Gris céleste ou gris maritime, c'est moitié-moitié mais à partir d'où ? L'horizon est sapé d'un suaire plus cradingue que les serpillières qui nous saucissonnent aux banettes des dortoirs.
Voici la mer, enfin, vive et vaste de tous bords, récite Petit Roux en lyrisant bizarrement. Voici la mer où remuent, innombrables, des animaux petits et grands, déclame-t-il encore, alors qu'un premier splach retenti au droit de l'étrave.
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On s'observe sous cape, la pupille posée sur l’œilleton ou plantée dans les cernes en coussins de bourre que les cils époussettent. On jurerait qu'on va bondir alors qu'on reste parfaitement immobiles et la brise soulève les haillons de nos râbles, mamelles amollies, ombilics noirs comme des culs, tattoos fanés et cicatrices ourlées au crin épais - et je vous passe les ecchymoses sur nos galuchats de maquereaux.
Faut faire avec puisque la mer nous cuivre, puisqu'elle boucane nos guenilles au compte-gouttes et puisque la fleur de poisse s'épanouit tandis qu'on pourrit de la tige, nous autres, dans notre vase trop rempli.
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Un naufragé garde l'horreur des flots, même lorsqu'ils sont tranquilles.
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Tout autour le claquement des semelles est si fort que le simple battement d'ailes de mes pieds nus me rend invisible.
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Les anatifes sont des crustacés, des pouces-pieds pour faire vite, des sortes de verges malingres qui fructifient sur tout ce qui flotte, depuis les carènes jusqu’aux déchets errants. Cassandre nous a chanté mille fois leur histoire, elle prétend que les piafs du ciel, privés de terre après l’Inondoir, ont formé les anatifes en mourant d’épuisement. Et Cassandre prophétise que ce seront eux qui accoucheront un jour des oiseaux qui repeupleront le ciel – des bobards pour mômillons, tenez, les vieux contes aiment les jolies boucles où tout ce qui périt rebelote forcément.
On y croit dur comme fer.
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Les temps du marathon se font et se défont sur les vastes périodes d'ennui et d'apparente immobilité.
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J'ai toujours préféré courir pour ne pas trop voir et courir pour ne pas trop dire.
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l faut avoir souvent perdu pour vouloir gagner à ce point, proteste la Petite Voix. La gagne est le fruit d’un échec, si obscur soit-il.
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C'est toujours le genou qui porte et le pied qui tire. Hanche, genou et cheville forment les trois axes qui articulent la course.
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Papa (son entraîneur) m'a toujours dit qu'un marathon se préparait comme une course au trésor et je sais désormais où se trouve le trésor. Le trésor se trouve en moi, je le porte et le pousse du bout de mes pieds nus. Je le tire comme le cuir d'un ballon qui va droit au but.
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On a inventé la course pour permettre à ceux qui n'avaient aucune raison de courir de courir malgré tout.
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Du soleil, il ne resta bientôt qu'un nimbe plus clair se superposant aux gris du ciel. Rien de cuivré, rien de flamboyant. Une brume très fine montait de l'eau et restait suspendue quelques mètres au dessus du voilier, comme une vapeur de cuisson. Slangevar frayait sa route dans l'intervalle, en déchirant le voile brumeux de la pointe du mât.


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L'obscurité les entourait. La nuit était venue sans qu'ils ne la sentent véritablement se poser sur eux. Du crépuscule, il ne restait qu'une fente lointaine. L’œil jaune d'un chat endormi sur la terre anglaise. Ils n'en devinaient qu'un trait sous la paupière.
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