Sylvain Laveissière

L'art du livre
Mais s'il s'agit d'une gravure, estampe indépendante ou illustration d'ouvrage, Prud'hon se livre à un travail d'orfèvre ou plutôt de miniaturiste. Dans le format exact de la planche gravée, il établit le modèle définitif de sa composition, avec des moyens qui sont déjà ceux du graveur, à qui il "dicte" littéralement chaque coup de burin...

Pour Prud'hon, selon la vieille et féconde ambiguïté de la langue, le dessin est dessein.

Les romantiques avaient reconnu, en cet artiste qui sut rester indépendant face à David, l’un de leurs ancêtres, avec Géricault.

En 1804, le préfet de la Seine Frochot commanda à Prud’hon
un tableau pour orner la chambre criminelle (cour d’Assises)
du palais de Justice de Paris. Le peintre envisagea une composition allégorique en forme de tribunal, dite Thémis et Némésis, mais se tourna très vite vers celle-ci, qui fut retenue. Dans un paysage rocheux éclairé par la lune, la victime est un jeune homme, son assassin un homme mûr, dont les traits sont empruntés aux bustes antiques de l’empereur Caracalla. Dans le ciel volent côte à côte la Justice (Thémis), armée d’un glaive et tenant une balance, et la Vengeance divine (Némésis), qui brandit un flambeau et s’apprête à se saisir du Crime. L’allégorie joue ici avec le réalisme, dans une vision fantastique qui appartient déjà au romantisme.

qualité des papiers utilisés par Prud'hon est variable: cinq sont sur papier vélins, les autres sur des papiers vergés? De nombreux filigranes ont pu être relevés. Neuf sortes de papiers différents ont pu être identifiés. Ils se distinguent par leur couleur, leur épaisseur et la largeur des chaînettes et des vergeures.

la matière graphique des dessins de Prud'hon est constituée de plusieurs couches en épaisseur. Les sous-couches sont très écrasées, très travaillées en, saturant les pores du papier. les rehauts et les accents appliqués sur les fonds témoignent d'une très grande maitrise graphique.

Prud'hon affectionnait particulièrement la pierre noire et la craie blanche. Sur papier bleu ces techniques graphiques se dégradent subtilement du noir velouté au blanc éclatant en passant par une large gamme de gris.

pour la réalisation de ses dessins, Prud'hon utilisait principalement des papiers de couleur bleue. Une seule œuvre est exécutée sur un papier blanc, à la différence des autres, il s'agit d'un dessin préparatoire pour une gravure.

comme souvent bras et jambes sont laissés à un stade d'inachèvement qui, prolongeant la finition très serrée du reste, confère au dessin une vie et un mouvement particulier.

l'art de Prud'hon s'y manifeste avec sa grâce et sa puissance, avec cette façon de modeler les corps dans la lumière, les volumes fermes étant délicatement indiqués par un jeu subtil des hachures parallèles aux crayons noir et blanc, auquel répondait le travail "en dessous" de l'estompe dans les ombres.

comme plusieurs académies des deux sexes celle ci a été coupée à mi-corps, car la figure se prolonge au bas de la feuille au delà du trait d'encadrement, ce qui empêche de savoir si elle portait ou nom la marque de Boisfrement.

Constance Meyer née en 1774, avait été élève de Suvée puis de Greuze; elle trouva en Prud'hon un maitre qu'elle admirait, puis un ami; elle devint sa collaboratrice, une mère pour ses enfants, et sa compagne pendant dix huit ans.

leur collaboration fut d'un type original, et même unique semble-t-il dans les annales de la peinture: du salon de 1804 à celui de 1819, Constance Mayer exposa des toiles dont Prud'hon avait dessiné et peint en esquisse la composition et maints détails.

- Prud'hon cherche la forme dans un foisonnement de traits nerveux dont l'aspect brouillé n'exclut pas la justesse, avant de polir amoureusement le lent travail de hachures soigneuses de la version destinée à être confiée au graveur.

- ce dessin fait vibrer les crayons noir et blanc avec une belle énergie dans la recherche de la forme.

les années 1790 furent des années difficiles durant lesquelles le peintre dut s'exprimer essentiellement par le dessin.

les romantiques avaient reconnu en cet artiste qui sut rester indépendant face à David, l'un de leurs ancêtres avec Géricault

la quête de la beauté et l'étude de la nature s'associent chez lui dans un rêve du bonheur que peu d'artistes avaient aussi intensément poursuivi.

'art de Prud'hon est marqué par la force et par la grâce. cela est sensible au plus au point dans ses dessins, compositions amoureuses ou sensuelles figures nues, jusque dans les sujets minuscules comme les frises des saisons ou les allégories du salon des richesse.

son intelligence de la forme dans la lumière, qui l'a fait surnommer "le Corrège français", comme son refus de la peinture historique au profit de l'allégorie, lui assignent une place à part, que saluera la génération romantique, de Stendhal à Delacroix.