C'était la fin d'octobre. Dans l'automne frissonnant, les truites allaient vers l'amont en glissants pèlerinages, par deux, par trois, par groupes aux ombres troublantes.
Le Gouffre noir!
Il reste dans son isolement glacé, fermé aux étoiles. Sa chair s'en va en lambeaux animés qui sont des sources, en épanchements, en sanglots, en fureurs, qui sont de la vie...
L'aube s'étirait lentement au-dessus des arbres; l'air était glacial et calme; l'étang luisait par places.
Il paraissait soudain, rouge sang, énorme, gonflé, houleux, singulier, tantôt disque, et tantôt oeuf ou tonneau... Il venait de loin, de derrière les mers...
Aux premiers froids de novembre les truites se rassemblaient; c'étaient des femelles qui, la veille encore se harcelaient; elles tâtaient le courant à l'entrée des goulets. Des mâles s'empressaient derrière elles; quelques-uns fusaient par-dessus la presse pour arriver au premier rang.
Des milliers de femelles trouvèrent, à point, leurs mâles inlassables...
Cela dura de longs mois.
Les derniers couples des éclosions tardives se laissèrent brimer par la première haleine hostile de l'automne.
Une sourdine de tonnerres faisait trembler ce coin d'espace comme une vitre. Des fulgurations éclairaient les horizons livides, puis s'éteignaient avec lenteur. Le jour, cerné, s'agenouillait.
Le "puriste" réprouve la pêche à la truite à l'aide de n'importe quel autre appât que la mouche artificielle. Et il y a encore des "ultra-puristes" plus limitatifs, plus exigeants encore...
Une haleine courut sur la crête des pins comme un souffle sur une aigrette; des plaintes se faufilèrent dans les ravines.
Puis, une flamme, un cri. Un éclair poignarda la montagne. La montagne hurla. A ce double signal, les tonnerres tonitruants dévalèrent les pentes par tombereaux; du ciel à la terre, des flèches de feu ricochèrent, se brisèrent au flanc des rochers et des nues; un rideau oblique d'averse crépita à travers le tumulte soudain détendu.
Les neiges et les gelées crucifient la terre. C'est le moment où les muscles du granit éclatent, où les crevasses ressemblent à des blessures bourrées de coton. C'est le moment où les brouillards, en cohortes fantomales, se décident à descendre dans les vallées; leurs souffles déguenillés s'étirent et rampent, arrivent en désordre à Evolette, où le vent de la Teste les rudoie et les mêle aux fumées du village.