Sylvain Perrot

On a exploré des maisons, des manoirs, des usines, des hôpitaux, une maison de retraite, un restaurant et même une prison. Et à chaque fois, on a vu des arbres pousser au milieu des pièces, des fleurs s’épanouir à travers les fissures d’un sol en béton, des lierres et des fougères manger littéralement les murs et les fenêtres sans verre. S’il y a bien une chose que l’on comprend grâce à l’urbex, c’est que la nature reprend toujours ses droits.

Je m'appelle Valentin,, j'ai dix-neuf ans, et je suis urbexeur. Certains préfèrent le terme d'explorateurs mais on s'en fout, ça revient au même, on pratique l'urbex et c'est tout ce qui compte.
Urbex. Un terme un peu barbare qui commence à faire une place dans le langage courant. De plus en plus de monde pratique cette discipline, ou activité, je ne sais pas trop dans quelle case la ranger. C'est ma passion, c'est tout, une raison de vivre, une bouteille d'oxygène dans ce mon de tarés.
Urban Exploration, ou exploration urbaine, pour ceux qui ne comprennent rien en anglais. Explorer des lieux abandonnés est mon passe-temps favori.

Je choisis les céréales au miel et en verse une quantité non
négligeable dans mon bol avant d’arroser le tout d’un peu de
lait froid. J’ai à peine trempé ma cuillère dedans que mon
beau-père me rejoint dans la cuisine. Il a quarante-trois ans et
se prend pour un beau gosse ultra sportif. Il bosse dans
l’informatique et se croit plus doué que Steve Jobs. Il a déjà
enfilé son survèt’ de l’équipe de France de football et s’apprête
à aller faire son footing dominical. Une heure pour éliminer les
graisses avant de lever un peu de fonte dans le garage. Je l’aime
pas, voilà, c’est dit, mais je suis obligé de me le coltiner depuis
plusieurs années.
Ma mère l’a choisi il y a six ans et ils se sont mariés deux ans
après. Il a toujours eu l’intelligence de ne pas se prendre pour
mon père, mais il faut quand même qu’il l’ouvre sur tout et
encore plus quand ça me concerne. Je le soupçonne de prendre
un plaisir fou à me contredire et me foutre des bâtons dans les
roues.
La fac ? Tes notes ne sont pas assez bonnes.
Mon taf au resto ? C’est un boulot de raté.
Les filles ? Tu serais pas gay ?
C’est un trou du cul...
— Ta mère m’a dit que t’étais encore parti explorer hier, me
dit-il en formant des guillemets avec ses mains au moment de
dire « explorer ».
L’urbex ? Sujet sensible. Ultra sensible, même. Il est contre,
mais je ne sais pas s’il est contre par nature, ou simplement
pour me faire chier.

Mon cœur s’est accéléré d’un coup et je n’arrive plus à réfléchir. Mattéo se poste dans mon dos et me demande ce qu’on a vu, mais je ne peux pas lui répondre. J’ai une boule d’angoisse coincée dans la gorge. Nous sommes enfermés dans la chambre d’un château où un petit garçon décédé il y a plus de quinze ans essaye d’entrer en contact avec nous.

Certains nous prennent pour des fous, d'autres pour des voyous, mais nous ne sommes que des explorateurs, des hommes curieux de voir la nature reprendre le contrôle sur les constructions humaines. On a exploré des maisons, des manoirs, des usines, des hôpitaux, une maison de retraite, un restaurant et même une prison. Et à chaque fois, on a vu des arbres pousser au milieu des pièces, des fleurs s'épanouir à travers les fissures d'un sol en béton, des lierres et des fougères manger littéralement les murs et les fenêtres sans verre. S'il y a bien une chose que l'on comprend grâce à l'urbex, c'est que la nature reprend toujours ses droits.
Pour moi, c'est devenu une drogue. Je ne peux plus passer devant un lieu abandonné sans avoir envie d'entrer dedans, de découvrir ses secrets. Je ne le fais pas toujours, bien sûr, mais je ressens toujours ce besoin de savoir ce qui se cache à l'intérieur...

Ils s'avancent tous dans la cour, mais moi, je reste scotché devant tant de beauté. Je n'en reviens pas que Matt ait réussi à trouver un spot aussi grandiose. Et faire partie des premiers à avoir la chance de l'explorer, ça me colle des frissons.

Je sors mon appareil photo de mon sac à dos et commence à immortaliser ce qui s'offre à mes yeux. Je photographie les objets, je fais des gros plans, je cherche les insectes qui habitent désormais cet endroit. Mattéo préfère les plans larges, moi je fixe les détails. On se complète, et ça se ressent lorsqu'on publie nos clichés sur Internet. On ne fait pas vraiment de publicité autour de ça, on est plutôt discrets, on n'a jamais dévoilé nos visages, mais on a de plus en plus de visites sur nos pages Web chaque week-end. Les gens aiment suivre nos explorations et nous le font savoir, ça nous encourage à continuer.

- Hé, tu devrais pas rigoler avec ça.
- Avec quoi, avec Roxane ?
- Non, avec le paranormal. Il s'est passé plein de trucs bizarres ici, on squatte la maison d'un disparu et de trois morts, alors si ça existe vraiment, tu devrais faire gaffe à ce que tu dis. Mon pote le Belge m'avait prévenu, il est venu ici seulement de jour, mais il a ressenti des trucs bizarres tout au long de son exploration. Des bruit, des sensations.

Et si elle avait raison ?
Si les esprits existent vraiment ?
Si Roxane a réellement vécu un phénomène paranormal ?
Et Mattéo ?
On aura peut-être des réponses sur ces expériences étranges en passant la nuit dans [...].
Non, je débloque, je suis crevé, je dis n'importe quoi. Tout ça c'est comme le petit garçon derrière la porte de ma chambre, ce ne sont que des illusions.

Cassie m'a dit qu'elle me voit comme un mec qui n'a jamais peur de rien, mais c'est des conneries. Je suis curieux, rationnel, mais pas inconscient.