Une version scénique et inédite de « Bookmakers »,
par Richard Gaitet, Samuel Hirsch & Charlie Marcelet
Avec Télérama et Longueur d'ondes
En dialoguant avec 16 auteurs contemporains qui livrent les secrets de leur ecriture, decrivent la naissance de leur vocation, leurs influences majeures et leurs rituels, Richard Gaitet deconstruit le mythe de l'inspiration et offre un show litteraire et musical.
Avec les voix de Bruno Bayon, Alain Damasio, Chloe Delaume, Marie Desplechin, Sophie Divry, Tristan Garcia, Philippe Jaenada, Pierre Jourde, Dany Laferriere, Lola Lafon, Herve le Tellier, Nicolas Mathieu, Sylvain Prudhomme, Lydie Salvayre, Delphine de Vigan et Alice Zeniter.
En partenariat avec Télérama et le Festival « Longueur d'ondes »
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Un grand rire qui lui monte à la gorge.
Un grand rire brusque qui éclate et sort de sa bouche en cascade sans qu'elle puisse rien.
Un rire à faire peur à tous ceux qui l'entendent.
Ce sont des larmes.
C'est un cri.
Je suis Awa
Je suis cette Awa là qui a failli un jour avoir un salon de coiffure et qui n'en aura jamais.
Page 44
Je leur dis que je les trouve admirables de m’avoir pris. Que pour moi c’est le critère suprême de l’hospitalité : être capable d’ouvrir sa portière au parfait inconnu. (page 37)
Enfant on rampe. On tombe. On sait le sol par les pieds et les mains. Intimement. Puis le sol s'éloigne. Être adulte c'est ne plus savoir tomber. C'est vivre dans un corps qui a perdu la mémoire du sol, qui ne sait plus vivre avec lui, qui en a peur.
Cette nuit-là Jeanne est revenue dormir chez moi. C'était la deuxième nuit que nous passions ensemble et ce fut bon. J'ai toujours préféré les deuxièmes fois. On se connaît. On a repensé à la première fois. On a eu le temps de couver de nouveaux désirs, de comprendre après coup des préférences de l'autre à peine soufflées. La deuxième fois c'est encore meilleur.
Est-ce que c’est vrai ce qu’on dit : qu ‘avant d’apprendre à parler les enfants voient des choses que les adultes ne voient pas. Que les très petits enfants sentent. Qu’ils savent. Justement parce qu’ils ne parlent pas. Ne s’assourdissent pas encore les sens du même bavardage que les adultes.
Ce jour-là je suis resté tout l'après-midi chez lui. J'avais eu besoin autrefois de couper les ponts. Ce dimanche j'ai constaté que ce serait toujours là : ce courant. Cette immédiate intelligence entre nous. Cette intuition chacun des pensées de l'autre.
A mon âge, on se fiche de tout, on peut dire ce qu'on pense.
A tous les âges on peut, vous ne croyez pas ?
Oui, mais je vois que les jeunes sont beaucoup moins courageux que les vieux. Est-ce que c'est l'époque ? Est-ce que c'est la vieillesse ?
Il y a deux options face au destin : s’épuiser à lutter contre. Ou lui céder. L’accepter joyeusement, gravement, comme on plonge d’une falaise. Pour le meilleur et pour le pire. (page 19)
Et alors est-ce qu'après tout la France ce n'est pas ça. Est-ce qu'aujourd'hui pour la plupart d'entre nous elle n'existe pas d'abord sous ce rapport : des forêts et des champs regardés par les vitres de nos voitures ou du TGV. Un bloc de vert et de brun entrevu par-delà une rambarde d'autoroute dont chacun de nous pouvait décrire, pour l'avoir longée mille fois, le renflement,le poli, les diaprures,les rivets.
J’ai bouffé la douleur de mon gosse jusqu’à m’en rendre malade, m’a dit Ehlmann l’unique fois où je l’ai vu, je l’ai bouffée sans même me rendre compte qu’elle entrait en moi, qu’elle m’envahissait, pénétrait à jamais chaque fibre de mon corps et de mes pensées, que je ne serais plus jamais le même.