Grand entretien avec l'écrivaine Juliana Léveillé-Trudel, dont le plus récent roman, On a tout l'automne, explore la vie en communauté dans le Nord, où le temps passe à un rythme singulier. C'est un retour très attendu en littérature pour adulte, après le succès qu'elle a connu grâce à Nirliit à La Peuplade en 2015 et celui de ses ouvrages pour la jeunesse aux éditions Crackboom.
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#slm2022
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- Je comprends pas.
- Pas grave. De toute façon, personne ne sait rien de rien, mais il faut toujours envisager le pire, parce que, le pire, , c'est le propre de l'homme.
Je me rappelle avoir entendu un jour mon grand-père Baillargeon affirmer qu'il n'y a pas trente-six misères, seulement deux : la jeunesse et la vieillesse. On vit ou on meurt, c'est tout, ce sont là les seules vraies misères du monde, qu'il disait.
Ce soir-là, avant de nous quitter, mon parrain m'entraîna de nouveau dans ma chambre pour m'offrir son présent seul à seul, d'homme à homme. J'avais déjà reçu une bible, une montre, un dictionnaire... C'est alors que mon oncle Bernard fit un tour de passe-passe et sortit des pans de son veston un magazine pornographique qu'il posa sur mon oreiller.
«Oublie un peu la catéchèse et étudie les sciences naturelles.»
Moi si j'avais eu la chance de vivre, j'aurais fait de grands voyages pour visiter toutes ces églises extraordinaires qui ne disent absolument rien sur Dieu, mais tout sur les hommes, ce qui est autrement plus renversant.
L’idée qu’il n’y a peut-être rien après la mort est la seule qui pour moi ressemble à un espoir.
«Judas a osé vendre Jésus pour trente deniers. C'est scandaleux! Le Christ valait plus que ça. Moi, j'en aurais demandé cent pièces d'argent.»
[Cette chaise] avait été sculptée dans le bois de son arbre généalogique. C’est sur cette chaise que… qu’il est monté pour se pendre…
Les enfants, on est connus pour ça, on a des pouvoirs. Par exemple dans mon assiette, un brocoli c'est un orme, les patates pilées font un château et la sauce c'est l'eau des fossés, et les haricots dans la sauce sont les crocodiles qui font peur aux ennemis. Dans le château, il y a un radis qui règne sur le royaume, et une tour qui emprisonne une petite carotte marinée avec laquelle je suis en amour. Moi je suis juste et je veux tuer le radis parce qu'il a beaucoup d'écus et que les paysans ont faim. Alors, je le bombarde avec les petits pois et une cuillère-catapulte. Quand ça ne suffit pas, je prends la poivrière et je la fais neiger sur le château. Ensuite, je fais tomber la fourchette-grille, je mange un crocodile en passant, puis je tue le radis qui éternue. Je monte alors dans la tour pour délivrer la carotte marinée que j'aime plus que tout au monde. Comme je ne suis pas hypocrite, je bouffe le château, les ormes, les crocodiles. Je ne veux rien laisser dans mon assiette, aucune trace du vieux royaume, pour ne pas que les paysans souffrent. Ils ont déjà bien assez d'une mémoire. Après le souper, je replonge la carotte marinée dans son pot parce que j'aime bien la sauver à chaque repas. Ma mère elle a jamais aimé ça me voir jouer dans mon assiette, et un jour j'ai eu des reproches parce qu'elle n'avait pas les yeux assez perçants pour voir mon royaume. Il faut comprendre que quand on accumule les années tout devient de plus en plus vrai, tellement vrai que bientôt l'invisible n'a plus place et que les royaumes s'effondrent.
En tout cas devant moi, qui soient-ils, les gens prennent leur air coupable de lendemain de péché, vu qu’à leurs yeux je suis une innocente victime et qu’ils ont la générosité d’être santé, mais ça cloche toujours un peu (…)
Je suis rassuré : je vais me voir partir. Ça m’aurait déprimé de me manquer, de disparaître subitement sans m’apercevoir moi-même une dernière fois, pas pour me dire merci ni des niaiseries comme ça, mais juste pour me prendre par la main une dernière fois, pour m’aider à franchir le seuil de la nuit sans fin. (p. 21)