Citations de Sylvie Germain (1002)
C'est en essayant continuellement qu'on finit par réussir. En d'autres termes, plus ça rate, plus on a de chances que ça marche.
In : " L'inaperçu "
Peu importe que cela ne dure pas, la joie n'appartient pas à la durée, elle apparaît où et quand ça lui chante, comme la beauté.
Scène 33.
Après ces quelques années passées sous un même toit, […] que connaît-elle, que comprend-elle vraiment de lui, et lui d'elle ? Et chacun de soi-même aussi bien. Qu'ont-ils appris les uns des autres, et pris, donné, les uns aux autres ?
Scène 35.
Tout corps passionnel est un corps noir qui absorbe chaque radiation reçue, l'avale, l'engloutit, mais ne renvoie aucun rayonnement, seulement des brûlures, des brouissures.
Scène 34.
"L'amour n'a pas à se parer de grandes déclarations, de gestes et de postures emphatiques, il n'a à s'encombrer de rien, il a juste à être, et à agir quand il le faut, sans se soucier si on le voit à l'oeuvre."
La liberté, non pas dans le déracinement, mais dans le non-enracinement. Dans le mouvement, le déplacement. La danse de la pensée dans les mystères du monde, les chaos de l’Histoire, sa contredanse face à Dieu, au néant. Gavril aura dansé jusqu’au bout, jusqu’à l’épuisement, se dit Nathan qui, lui, émerge tout juste d’une longue somnolence.

Ils étaient hommes des forêts. Et les forêts les avaient faits à leur image. À leur puissance, leur solitude, leur dureté. Dureté puisée dans celle de leur sol commun, ce socle de granit d’un rose tendre vieux de millions de siècles, bruissant de sources, troué d’étangs, partout saillant d’entre les herbes, les fougères et les ronces. Un même chant les habitait, hommes et arbres. Un chant depuis toujours confronté au silence, à la roche. Un chant sans mélodie. Un chant brutal, heurté comme les saisons, - des étés écrasants de chaleur, de longs hivers pétrifiés sous la neige. Un chant fait de cris, de clameurs, de résonances et de stridences. Un chant qui scandait autant leurs joies que leurs colères.
Car tout en eux prenait des accents de colère, même l’amour. Ils avaient été élevés davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s’étaient nourris depuis l’enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les ronciers et les taillis et dans l’ombre desquels se glissent les renards, les chats sauvages et les chevreuils, et les venelles que frayent les sangliers. Des venelles tracées à ras de terre entre les herbes et les épines en parallèle à la Voie lactée, comme en miroir. Comme en écho aussi à la route qui conduisait les pèlerins de Vézelay vers Saint-Jacques-de-Compostelle. Ils connaissaient tous les passages séculaires creusés par les bêtes, les hommes et les étoiles.
Il était un homme d'épopée égaré dans un siècle qui ne lui convenait pas. Il était surtout de ces êtres auxquels aucun siècle, aucune société, ne peut donner satisfaction, de ces révoltés chroniques qui ne croient pas davantage au ciel et à ses dieux qu'à la terre des hommes, ce cloaque d'aigrefins, de grotesques et d'imbéciles.
Scène 41.
Comment ouvrir un livre ? Le danger est trop grave de libérer des fauves.
Comment ouvrir la bouche ? Un grand poème en guerre gît décimé sur ma langue.
Comment ouvrir les yeux ? J'ai bien trop peur de ne voir que l'ombre de moi-même. Et mon ombre est un clou planté dans le soleil.
Le jour, elle ne prête pas attention aux façades des immeubles, mais le soir, dès que les fenêtres s'éclairent, elle les regarde avec curiosité, avec avidité. Tous ces rectangles de lumière qui s'ouvrent dans l'obscurité le mettent en émoi ; ils trouent la nuit, ils percent la pierre, les briques, le béton, ils révèlent de l'intime tout en le maintenant voilé. Ils ne révèlent rien, ils suggèrent, plutôt, ils donnent à rêver, à imaginer. Ils lui laissent entrevoir d'autres êtres semblables et ignorés, et qui lui demeureront inconnus alors même qu'ils sont ses contemporains et ses concitoyens. Si proches, et inaccessibles. Ils signalent qu'il existe d'autres destins possibles.
Scène 11.
Où donc est la vie, où l'ailleurs, où l'ici ?
Scène 41.
Comment rester sérieux avec un Dieu qui l'est si peu, qui laisse ses créatures être la proie de fantaisies aussi hallucinantes ? […] Comment, surtout, rester croyant face à l'absurdité, à la cruauté qui si souvent distordent la vie ?
Scène 24.
Qu'il surgisse sans crier gare, ou qu'il s'en vienne à pas menus, tout deuil ouvre des failles qui n'en finissent pas de serpenter sous la peau, d'interrompre les pensées.
Scène 28.
Très tôt, le corps de Magnus a été ainsi délesté, quand sa mère, l'inconnue de Hambourg, a brûlé sous ses yeux, lui calcinant un pan du cœur et lui pétrifiant la mémoire. Et May aussi lui a volé sa part de chair, sa part de cœur, les mêlant à ses cendres dispersées dans le bleu muet du ciel.
Les personnages n'appartiennent à personne. Ils attendent juste la chance d'être lus, pour exister davantage, et toujours autrement.
Le geste d'écrire est toujours geste de délivrance.
NOIR
Un peu de nuit
pleure doucement d'entre
les cils d'un pinceau.
Pleure en rêvant
pleure comme on chante
- tout bas, tout bas -
saigne en dansant au ralenti...
tremble d'émoi et de désir.
Nuit lacrymale
d'un noir pur
où luit une promesse d'étoiles.
Et puis, les humains sont inconséquents, quand ils sont enfin libres, ils prennent peur, ne savent que faire de cette énormité, c'est trop pour eux, cela exige trop d'efforts, à commencer par celui de réfléchir, de choisir, et d'agir en assumant la pleine responsabilité de leurs actes.
Dès le premier jour je constate dans toute la cellule une soif extraordinaire de poésie. Apprendre par cœur des poèmes, c’est une des distractions les plus agréables et les plus constantes dans la vie de prison. Heureux ceux qui savent par cœur des poèmes.
L'amour n'a pas à se parer de grandes déclarations, de gestes et de postures emphatiques, il n'a à s'encombrer de rien, il a juste à être, et à agir là et quand il le faut, sans se soucier si on le voit à l'œuvre.