Citations de Sylvie Germain (1045)
Y a-t-il vraiment une différence entre un personnage de fiction et un moi-personnage d'auto-fiction ?
Dans les deux cas, "quelque chose" au-dedans de soi (une voix blanche) demande à être entendu, lu et écrit ; quelque chose souffre d'incomplétude en l'absence d'un récit qui lui donnera forme, structure, consistance.
Le jour commence à poindre, les étoiles pâlissent, mais le jour et la nuit ne sont pas exclusifs, rien ne l’est, sauf la haine en son orgueil inepte, tout s’interpénètre, se ramifie et se féconde. Les étoiles peuvent bien disparaître de la vue, elles ne désertent pas le ciel où elles diffusent leur feu depuis des milliards d’années, et leur lumière survit longtemps à leur extinction. Et il est indifférent aux étoiles d’être on non regardées par des admirateurs, comme cela l’est aussi aux arbres, aux montagnes et aux fleuves, aux fleurs et aux animaux. Seuls les hommes ont ce souci rongeant, et pour être remarqués, autant que pour éliminer qui s’avise de leur faire de l’ombre ou simplement qui ose ne pas les glorifier ni se soumettre à eux, ils sont prêts à tout, à commencer par tuer. p 261-262
Je n'étais qu'une passante poudrée à frimas, filant au ras des murs, au ras des jours, tellement insignifiante aux yeux des gens qu'il me semblait parfois ne même pas projeter d'ombre.
La guerre les a saisis, corps et âme, extirpant des bas fonds de leur être une capacité de haine et de cruauté qu'ils ignoraient porter.
Ils savent qu’il est vain de vouloir tout raconter, qu’on ne peut pas partager avec un autre, aussi intime soit-il, ce que l’on a vécu sans lui, hors de lui, qu’il s’agisse d’un amour ou d’une haine. Ce qu’ils partagent, c’est le présent, et leurs passés respectifs se décantent en silence à l’ombre radieuse de ce présent.
Il va le train, il va il va. Les heures s'écoulent, s'épanchent les unes dans les autres, forment des jours qui à leur tour s'entrelacent, se confondent, tissent avec les nuits un long jour indéfini qui passe du blême au gris rosé, du gris bleuté au gris cendreux, du violet au noir et du noir ---------- au rien.
Etre seule avec le livre non encore écrit, c'est être encore dans le premier sommeil de l'humanité. C'est ça. C'est aussi être seule avec l'écriture encore en friche. C'est essayer de ne pas en mourir. C'est être seule dans un abri pendant la guerre. Mais sans prière, sans Dieu, sans pensée aucune. - Marguerite Duras (p.89)
Le vin chantonne à l'aigu dans les verres, en fraîcheur dans les bouches, et bientôt chante en beauté dans quelques gorges enjouées.
A Prague, dès la fin de l’automne et pendant tout l’hiver, la brume a une odeur, et même une consistance. Certains soirs elle se fait presque palpable tant elle est dense et ocrée. Les fumées de la ville gonflent et teintent la brume, la poussière du lignite flotte dans l’air avec un goût âpre, et suave cependant. Les villes, comme les corps, ont une odeur, une peau.
Car il est des larmes qui, longtemps après que les yeux qui les versèrent se sont fermés, se sont éteints, continuent à couler. A couler jusque sur nos joues.
Sa force d’inertie était considérable, à la mesure de sa méfiance à l’égard des autres et de sa peur de lui-même.
Car tout en eux prenait des accents de colère, même l’amour. Ils avaient été élevés davantage parmi les arbres que parmi les hommes, ils s’étaient nourris depuis l’enfance des fruits, des végétaux et des baies sauvages qui poussent dans les sous-bois et de la chair des bêtes qui gîtent dans les forêts ; ils connaissaient tous les chemins que dessinent au ciel les étoiles et tous les sentiers qui sinuent entre les arbres, les ronciers et les taillis et dans l’ombre desquels se glissent les renards, les chats sauvages et les chevreuils, et les venelles que frayent les sangliers.
Il ne méprisait aucun emploi, assumait correctement chacun de ceux qu'il trouvait, en changeait sans état d'âme. Il gagnait ce qui lui était nécessaire pour assumer sa survie, son indépendance, et organiser de temps en temps une fête à laquelle il conviait ses amis, un banquet de vins, de chants et de déclamations, de danses et de jeux,...Il qualifiait ces soirées de "coups de paradis"...
Misère, qu'un roman où l'on ne trouve rien à voler. Mais aussi, folie et éreintement qu'un roman qui force sans cesse à s'arrêter pour mieux jouir d'une phrase, d'une description, d'une situation, tout en incitant à foncer à bout de souffle pour connaître la fin de l'histoire.
En amour, elle veut de l’amusement, du joyeux, pas du lyrique ni de lourdeurs sentimentales, une bonne entente charnelle et un peu de complicité amicale.
Car tout lecteur qui remarque un personnage, trouvant en lui matière à émotions, à rêverie ou à réflexions, lui refait don d'un peu de vie, si infime soit ce peu. Les personnages n'habitent qu'n apparence dans les livres qui les ont délivrés de leurs limbes, ils n'aspirent qu'à s'en aller déambuler en tous sens, à transhumer d'un imaginaire à un autre, à visiter beaucoup de pays mentaux. Ils n'appartiennent pas à leur seul auteur, mais à une communauté.
Ils n'appartiennent à personne. Ils attendent juste la chance d'être lus, pour exister davantage, et toujours autrement. (p. 31)
Tant pis pour le désordre, la chronologie d’une vie humaine n’est jamais aussi linéaire qu’on le croit. Quand aux blancs, aux creux, aux échos ou aux franges, cela fait partie intégrante de toute écriture, car de toute mémoire. P 14
Le souffle : pure expression de vie, signature à la fois si délicate et si pénétrante, infime et bouleversante, de la présence d'un vivant. Comme la lumière, il frémit à la lisière de la matière et de l'immatériel, entre mystère et merveille.
Elle dit, la femme qui se tient raide, mains enfouies dans les poches de son imperméable : « Je m'ennuie avec toi, je m'ennuie à mourir. Je ne t'aime pas. Je ne t'ai jamais aimé et jamais je ne t'aimerai. Je n'aime rien de toi, ni ta voix, ni ton corps, ni ta peau ni ton odeur. Tout en toi me dégoûte et m'insupporte. Je voudrais ne t'avoir jamais connu. Jamais. »
L'homme ne dit rien, il est abruti par ces mots qui ne demandent pas de réponse, qui frappent de nullité toute autre parole. Il recule de quelques pas devant cette lapidation verbale.
La beauté lui faisait mal. Il s’était enfui loin de lui-même, exilé dans un no-self-land. Ô sorcières, ô misère, ô haine, c’est à elles qu’il avait confié son trésor ; à la misère intérieure d’abord et durablement, à la haine pour finir, avec brutalité. Celle-ci avait fait sur lui le bond sourd de la bête féroce, elle l’avait étranglé, mordu, entravé, étouffé, inversant la dynamique libératrice de Rimbaud. Alors il avait rusé avec sa haine, à chaque assaut qu’elle lui livrait il avait répondu par l’envoi d’un bouquet à la personne qui en était la source pour tenter d’assécher cette dernière, de la tarir sous un amoncellement de fraîcheur, de délicatesse et de faste. Il inspectait des sites de livraison de fleurs et choisissait des bouquets en fonction de leur composition, de leur dominante de couleur et du nom qui leur était attribué.