Un voyage témoignage
Sylvie Lasserre est spécialiste de l’Asie centrale, une région pas nécessairement connue par la majorité des Français (dont moi). Dans Voyage au pays des Ouïghours, elle raconte son séjour au Xinjiang (le nom donné par les Chinois à cette province située à l’ouest du pays) en 2007. Elle nous livre les principales étapes de son voyage, accompagnées de ses observations et de ses sentiments. Par moments, on a presque l’impression d’être dans sa tête et de ressentir ses sentiments. Il faut voir par exemple comme elle prend rapidement en grippe une traductrice : dès les premiers mots, on sent l’antipathie, qui ne va cesser de grandir au cours des pages. Elle nous transmet sa gêne ou sa crainte dans certaines situations, de façon presque naïve, mais très efficace.
Et, autour de ce voyage, elle nous parle de la situation des Ouïghours dans leur propre pays (même si ce n’en est pas un). Les évènements qu’elle narre vont de 2006 à 2020 dans cette deuxième version de l’ouvrage (une première version était parue en 2010). Selon l’autrice, les Chinois (les Han), veulent faire disparaître purement et simplement les Ouïghours en les mélangeant aux Hans, voire en les remplaçant par eux. Ces derniers représentaient une infime partie de la population du Xinjiang voilà quelques années. Aujourd’hui, ils sont près de 50 %. Et ils sont, évidemment, favorisés par le régime pour les emplois et autres contingences matérielles. De plus, ce même régime détruit les vieilles villes à la vitesse de l’éclair pour les remplacer par des infrastructures modernes, mais aseptisées, loin de tout héritage culturel ouïghour. Comme s’il voulait faire disparaître toute trace. Et, comme toujours avec la Chine, le silence le plus épais règne sur ces actes. Et, surtout, sur la répression terrible exercée sur toute forme de protestation : arrestations par dizaines, voire centaines. Et torture. Sans parler de la confiscation des passeports.
On ne sort donc pas indemne de la lecture de ce journal de voyage. Les faits exposés par l’autrice sont proprement horribles et, même si tout n’est pas vérifié, loin de là, tant le régime chinois est puissant en matière de rétention d’informations, le bilan est terrifiant.
Une vérité bien cachée
La forme de l’ouvrage est avant tout touchante : on se sent que Sylvie Lasserre se donne cœur et âme et elle ne cache pas ses sentiments. On voit combien elle est émue et ravagée par l’horreur de ce qu’elle voit. Mais aussi consciente du devoir qu’elle s’est donnée : observer, obtenir des informations et témoigner. En parler à l’extérieur du pays, faire connaître la situation désastreuse dans laquelle se trouve un peuple, pourtant riche d’une histoire ancienne (l’autrice nous brosse un rapide tableau de cette civilisation et de ses développements à travers les siècles). D’ailleurs, elle ne cache pas ses amitiés, ni son engagement. Il suffit d’aller sur son blog (https://surlesroutesdasiecentrale.wordpress.com) pour s’en apercevoir. Et elle l’annonce clairement dans le livre. On peut mettre en doute certains chiffres, mais l’autrice se montre prudente car, comme elle le dit, « comment se fier à des chiffres émis par les autorités chinoises, quand on sait de quelle façon Pékin manipule les médias et censure les canaux de communication qu'elle ne contrôle pas ? » Et ce sont les seuls chiffres que l’on peut avoir. Quelques agences des droits de l’homme tentent des approximations par des témoignages (rares, car parler est souvent synonyme de prison, de torture et de menace sur la famille entière). Donc, en tant que lecteur, difficile de se faire une véritable idée de ce qu’il en est exactement. Mais le témoignage de Sylvie Lasserre est fort. Et comme elle dit clairement dans quel sens vont ses préférences, on n’est pas pris en traître.
Lire Voyage au pays des Ouïghours est plus qu’utile : il faut prendre connaissance de ce qui se trame dans l’extrémité ouest de la Chine. Comme au Tibet, les dirigeants de ce vaste pays veulent imposer des règles parfois bien trop strictes. Et ils semblent vouloir écraser les particularités culturelles d’un peuple, impuissant car enfermé dans des frontières hermétiques et dans un silence bien trop fort.
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